Regards sur la poésie du XXe siècle

Regards sur la poésie du XXe siècle

Puisque la mémoire collective a encore tendance à résumer le siècle dernier autour de ses sombres réalisations, cette somme poétique arrive à point nommée pour nous obliger à regarder autrement derrière nous. La poésie aura aussi réussi à éclairer d’une aura autre ces cent années et les œuvres que certains nous ont léguées participent à la marche de l’humanité vers un meilleur possible.
Le travail de Laurent Fels est donc de salubrité publique : l’apport intellectuel de ces poètes-là et leur contribution au monde sont des exemples que le grand public doit appréhender. Puisque la poésie est par essence un retour à l’originel et une tentative de rapprochement entre l’homme et l’énigme de lui-même.

Le premier tome (le second est prévu pour l’an prochain) de ces Regards favorisera certainement, pour tout amoureux des mots, une attirance, un attrait à y aller puiser des informations sur des poètes que l’on aime, mais surtout d’en découvrir de nouveaux comme, par exemple, Davertige, ce diable d’homme qui refusa tout compromis et traça son sillon sans la moindre allégeance : "il faut lire Davertige parce qu’il est l’un des poètes haïtiens les plus universels, celui qui évoque de manière surréaliste son monde intérieur et la ville" où il est né, Port-au-Prince.
Vous aurez donc le temps et le loisir de vous plonger dans ces 580 pages pour y côtoyer Celan, Cendrars, Char ou Andrée Chedid ; voire Du Bouchet, Jaccottet, Jouve, Joyce ou Bernard Noël, qui sait. A moins que ce ne soit Prévert ou Reverdy.
Sinon qui d’autres ?

Au hasard, Saint-John Perse et sa fascination pour l’ornithologie qui sont, selon Laurent Fels, à l’origine du célèbre recueil Oiseaux que Braque accompagna de douze eaux-fortes originales ; mais il y avait aussi dans l’utilisation de cet oiseau-là le symbole d’une métaphore de l’intelligence, de la rapidité et de l’imagination : ainsi l’Oiseau persien est une créature "qui incarne à la fois la sagesse et la création artistique."
Salah Stétié, nous rappelle Daniel Aranjo, possède une œuvre qui "offre une synthèse propre, particulièrement ouverte, de la plus haute et noble Arabité. L’une de celles qui peuvent le mieux nous rappeler la fertilité, la diversité extrêmes dont l’Islam, en sa fraîcheur, est capable. Ou tout ce qu’à pu et peut encore comporter d’insoumission radicale la poésie arabe de tous les temps, la plus archaïque comme la plus contemporaine, dans son lien initial au Désert."
Beckett qui osera s’approprier des langues pour les mettre au service de l’Imaginaire et créer ainsi des idiomes (im)possibles, n’ayant pas peur d’éliminer à la fois et la langage et l’image pour ne donner à (perce)voir que de l’inédit, d’emmener avec lui le lecteur dans des lieux secrets et poétiques …
Henry Bauchau (dont les œuvres complètes viennent de paraître chez Actes Sud) qui n’aurait sans doute rien publier sans l’aide précieuse de Blanche Reverchon, sa psychanalyste qui n’est autre que l’épouse de Pierre Jean Jouve.
Ion Barbu dont on prendra plaisir à découvrir sa poésie venue de Roumanie et magnifiquement traduite sous la plume de Constantin Frosin qui fait ressortir ce jeu du ravissement et de la musique, des idées et des mots car "la beauté de la poésie pourrait [bien] être comparée à celle de la Lune : elle se dissipe dès que l’on se met à la recherche de ses profondeurs."

Après ces voyages en poésie, nul doute que vous ne serez plus le même, vous vous réveillerez d’un long, très long sommeil éveillé et ce sera pour vous nouvelle aube, comme un avant matin à l’état naissant dans la fraîcheur du possible. Grâce à ce livre, à cette somme d’informations et d’émotions, de vers et de liqueur musicale, qui envoient à l’homme éternel.

Laurent Fels (sous la direction de), Regards sur la poésie du XXe siècle, Les éditions namuroises, 580 p. – 30,00 €