HADOPI existe : je l’ai rencontrée

HADOPI existe : je l'ai rencontrée

La loi Création et Internet présentée par Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, a été votée le 2 avril 2009, comme le savent à peu près tous les internautes… Sa mise en débat au Parlement fut le théâtre de joutes oratoires et même d’invectives dans l’hémicycle et sur le réseau mondial. Une autorité publique indépendante est désormais dans les tuyaux pour s’assurer du bon usage des téléchargements sur Internet. Or, une autorité administrative a déjà été mise en place par la loi précédente, le 1er août 2006, relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. Va-t-elle disparaître ou se succéder à elle-même ? Jean Berbinau, Secrétaire Général de l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT), explique au journal Le MAGue pourquoi :

Le MAGue : Dans quelle mesure l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT) a-t-elle servi à quelque chose ?

Jean Berbinau : L’ARMT est opérationnelle depuis l’été 2007. Effectivement, elle n’a depuis lors rendu aucune décision. La complexité de la loi n’y est sans doute pas étrangère, de même que la parution tardive des décrets d’application : les associations qui représentent les personnes handicapées, par exemple, ne peuvent nous saisir que depuis l’adoption d’un décret de décembre 2008. L’abandon dans le domaine de la musique de certaines formes de mesures techniques de protection très contraignantes, mises en œuvre au plus près de l’utilisateur, a certainement eu, lui aussi, une incidence sur les saisines, qu’il s’agisse de garantie de l’interopérabilité ou des exceptions. Mais cette évolution reste malgré tout limitée. Elle ne concerne que les modèles de téléchargement au titre : des systèmes de contrôle de la copie et de la diffusion sont utilisées pour la musique offerte sur abonnement ou en streaming. Au demeurant, l’abandon des DRM dans le domaine de l’audiovisuel, des jeux vidéos ou du livre numérique n’est manifestement pas à l’ordre du jour et il convient de rester vigilant quant aux restrictions susceptibles de faire obstacle à l’interopérabilité ou d’empêcher l’exercice de certaines exceptions telles que la copie privée. L’expérience vécue par l’industrie musicale a heureusement permis d’alerter l’ensemble des industries culturelles sur les risques d’une protection trop rigide ou excessivement restrictive. Les mesures techniques ne sont pas devenues obsolètes pour autant ; elles sont simplement mises en œuvre de manière plus respectueuse des intérêts des utilisateurs, plus transparente. En cas de retour en arrière, l’ARMT ou bientôt l’HADOPI utilisera, si besoin est, ses pouvoirs de sanction et d’injonction.

Le MAGue : L’ARMT est-elle destinée à disparaître ou va-t-elle satisfaire à de nouvelles missions de la part des pouvoirs publics ?

Jean Berbinau : La mission de garantie de l’interopérabilité n’est pas appelée à disparaître : elle sera intégralement reprise par l’HADOPI. Il en va de même de la garantie des exceptions : si une mesure technique empêche une personne d’exercer une exception reconnue par la loi, la saisine de l’HADOPI sera possible en vue d’obtenir la suppression ou la modification de la mesure technique. La nouveauté, avec la loi Création et Internet, c’est que, au-delà des compétences actuelles de l’ARMT, l’HADOPI pourra, dans le même champ, être saisie pour avis : la procédure sera moins lourde que celle actuellement applicable et ne représentera aucun risque financier pour le demandeur (les décisions de l’ARMT pouvant être contestées devant la Cour d’appel puis devant la Cour de cassation, ce qui entraîne des frais de procédure). Nous espérons ainsi voir mieux remplie la mission pédagogique à l’égard des titulaires de droits et des fournisseurs de mesures techniques qui auraient tendance à trop verrouiller les contenus.

Le MAGue : En 2 ans d’activité, la piraterie et la contrefaçon n’ont cessé de se développer… Les pouvoirs publics sont-ils aptes, légitimes, efficaces pour lutter contre ces fléaux ?

Jean Berbinau : Vous avez tout à fait raison de parler de fléaux au vu des conséquences sur la création qu’ont ces comportements. Le respect de la propriété intellectuelle est un problème de société, face auquel l’intervention des pouvoirs publics est d’autant plus légitime que la régulation privée a montré ses limites. Dans le domaine des mesures techniques, les solutions doivent autant que possible venir des acteurs privés : c’est en ce sens que l’ARMT s’est efforcée, depuis sa création, d’établir un dialogue avec les représentants des ayants droit, des industriels et des utilisateurs. Mais il peut exister des situations de blocage, par exemple si un titulaire de droits ne veut pas retirer ou assouplir une mesure technique qui empêche des associations représentant des personnes malvoyantes d’adapter l’œuvre protégée dans un format compatible avec des logiciels de synthèse vocale. Il est heureux que les bénéficiaires d’exception puissent alors trouver un moyen légal de faire bouger les choses.

Le MAGue : L’action des pouvoirs publics en matière de répression n’est-elle pas très limitée ?

Jean Berbinau : En ce qui concerne les pratiques de téléchargement et mise à disposition illicites sur Internet, il semblait également important d’agir sur le caractère massif des échanges illicites tout en apportant des garanties fortes en matière de protection des données à caractère personnel ; l’alternative, qui a cours dans d’autres pays, est l’obtention directe par les ayants droit auprès des FAI des coordonnées du titulaire de l’accès à Internet. De ce point de vue, l’HADOPI doit jouer un rôle de boîte noire. Les ayants droit lui transmettront les adresses IP pour lesquelles un acte de mise à disposition non autorisé d’un contenu dont ils ont décidé de surveiller la diffusion aura été constaté : mais ils ne sauront pas qui était la personne derrière l’adresse IP. Parallèlement, l’HADOPI est appelée à vérifier que les systèmes utilisés par les ayants droit pour constater les échanges illicites ne vont pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire et présentent toutes les garanties de fiabilité pour prévenir les risques d’erreur.

Le MAGue : Dans quelle mesure l’ARMT a-t-elle apporté sa contribution dans l’élaboration du texte de la loi Création et Internet ?

Jean Berbinau : L’ARMT a contribué dès l’origine à la réflexion menée par la mission Olivennes d’abord, par le gouvernement ensuite, en raison de la connexité de ses missions avec celles que l’on envisageait de confier à la future haute autorité. L’idée de confier la réponse graduée à une autorité administrative indépendant existante ayant fait son chemin, c’est assez naturellement que les pouvoirs publics ont envisagé d’accroître les compétences de l’ARMT, rebaptisée pour l’occasion. Dès janvier 2008, la ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, a confié à l’ARMT une mission d’évaluation des moyens et de préfiguration des outils opérationnels dont devrait disposer l’HADOPI. En outre, l’ARMT a suivi le processus d’élaboration du projet de loi et proposé certaines modifications du droit existant en vue d’accroître l’efficacité de son action dans le domaine de la régulation des mesures techniques. C’est ainsi qu’elle a proposé au rapporteur du texte au Sénat, Michel Thiollière, de prévoir une saisine pour avis, aujourd’hui intégrée au texte.

Le MAGue : L’ARMT a-t-elle trouvé sa place dans la société, le débat public, comme l’a trouvé depuis un certain nombre d’années le CSA ? Les difficultés d’installation que vous avez rencontrées sont-elles réglées ? Ne risquent-elles pas de se reproduire avec l’HADOPI ?

Jean Berbinau : L’ARMT trouve progressivement sa place. Certaines des exceptions qu’elle a pour mission de garantir ne sont applicables que depuis peu, soit parce que la loi prévoyait une mise en œuvre différée (cf. l’exception d’enseignement et de recherche), soit parce que les décrets d’application n’étaient pas pris (cf. l’exception au profit des personnes handicapées). Il faudra que l’HADOPI continue de promouvoir les missions de l’ARMT.

Les effectifs de l’HADOPI seront plus importants que ceux de l’ARMT mais l’installation matérielle de l’HADOPI sera facilitée par le fait qu’elle est dotée de la personnalité morale — ce qui n’est pas le cas de l’ARMT — et qu’elle pourra donc contracter en son nom (bail, personnel, matériel…).

Le MAGue : Quels sont les atouts dont dispose l’ARMT pour prendre en charge les missions de l’HADOPI ? Sinon, doit-elle exercer de façon parallèle et différente, ou disparaître ?

Jean Berbinau : L’ARMT intervient dans le domaine de la création, et sur des questions d’une forte technicité. Il n’est pas anormal, de ce point de vue, que le gouvernement ait voulu qu’elle serve de base à la construction de l’HADOPI. De fait, depuis sa création, l’ARMT s’est intéressée, dans le cadre de sa mission générale de veille, aux pratiques de piratage et aux techniques susceptibles de les contenir. Il y a une continuité entre les missions de l’ARMT et les nouvelles compétences prévues par le projet de loi création et Internet. L’HADOPI exercera l’ensemble des missions actuelles de l’ARMT. Elle veillera donc d’une part à ce que les mesures techniques de protection n’empêchent pas l’exercice des exceptions, d’autre part à ce que l’interopérabilité des mesures techniques soit assurée. Elle se voit également confier d’autres missions connexes, telles que l’évaluation des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage : là encore, il s’agit de s’assurer que les procédés employés offrent des garanties en terme d’efficacité et de respect des droits des utilisateurs et de leur sphère privée.

Le MAGue : Considérez-vous l’évolution des textes législatifs et réglementaires trop rapide, ou trop tardive, par rapport à la démocratisation de l’accès au réseau mondial virtuel ?

Jean Berbinau : Le projet de loi Création et Internet a vocation à apporter une réponse au phénomène de contrefaçon de masse, qui fait obstacle à l’émergence — sans doute tardive — d’une offre légale riche et abordable. Il fallait agir vite pour rappeler au plus grand nombre des utilisateurs que la mise à disposition non autorisée de contenus protégés est interdite et qu’il est de leur responsabilité que leur accès à Internet ne soit pas utilisé en violation du droit d’auteur. Le mécanisme de réponse graduée a avant tout une vertu pédagogique. Il est important que la prise de conscience des préjudices causés à la création artistique se fasse sans tarder.

 

 


Les lois nous font parfois hurler à l’indécence
Tant le texte est montré monté tout à l’envers,
Mais le gouvernement sifflé n’est pas pervers
Au point d’user à mort tantôt de sa puissance !

Le marché s’organise et veut moins de licence
Pour ne pas si souvent paraître aux faits-divers
Et cherche à tout le moins d’avoir son univers,
Tout à son aise et sans souci de sa croissance…

Si les pouvoirs publics ont fait pour le marché
Mondial ce qu’ils ont fait avec du steak haché,
Alors nous n’aurons plus qu’un article inodore.

Car le problème est moins d’avoir la répression
S’exercer au service actif d’un fonds qui dore,
L’obstacle est désormais d’écrire avec passion !