Paula, en profil perdu

Paula, en profil perdu

La narratrice vit dans un lotissement oublié, au calme au fond d’une impasse, un lieu-dit, un havre de paix, la Villa Heureuse, tout un programme pour celle qui a choisit l’art et le plaisir du temps qui passe plutôt que la course à l’argent dans une société qui ne sait plus dans quel sens aller.

Sa porte est toujours ouverte, si bien qu’une chatte vient y donner naissance à deux chatons. Et que son voisin, Jacob, n’hésite pas à entrer pour entretenir la conversation. Il s’adonne à la réfection de cadres anciens. Ils parlent d’art et au détour d’une phrase il l’emmène à Paris, au musée. Il faut qu’elle voit ces tableaux de Paula Modersohn-Becker car cette jeune femme qui mourut trop tôt – à trente ans – fut une peintre postimpressionniste de grand talent, même si elle fut oubliée …
L’exposition est un choc. Cette peinture la saisit, lui parle et lui raconte les errances de Paula, ses dérives dans le Paris des années 1900 avec Rilke qui erre, comme elle, à la recherche d’une inspiration qui le taraude et lui fait abandonner femme et enfant pour s’isoler dans cette pension de la rue Cassette.

De retour chez elle la peinture n’aura de cesse de l’habiter. Aidée en cela par Cyril, un autre voisin, russe, collectionneur d’art, qui partage son admiration pour Paula.
Alors, au gré du temps qui s’écoule, des chats qui grandissent, d’une toile de Paula à restaurer, elle s’abandonne dans l’étude de la vie de la jeune peintre allemande et nous offre une ballade en mesure et couleurs, d’une musicalité fine et languissante, une lecture toute nuancée de poèmes et de citations qui nous ouvrent à ce Paris du tout début du XXème siècle.

Et si la narratrice "aime la paix des lieux où l’homme est absent. Cet homme impatient, avide, qui veut sortir du rang et s’imposer.", elle sait s’entourer d’amis raisonnables, le temps de mener à bien sa quête tout en laissant le tableau en devenir se recomposer dans l’éternel reflet de son profil dans le miroir. Et si repenser l’autoportrait de Paula passait par son propre visage ?
Après tout, Cézanne disait que "la vie devient art après avoir été labeur" ; puisqu’il ne reste plus beaucoup de temps, oser devient une évidence.

Un petit livre à choyer, que l’on gardera près de soi, pour le rouvrir à l’occasion d’une émotion, d’une minute de quiétude à arracher au quotidien. Un petit livre magique, preuve que le nombre de pages ne fait pas la qualité.

Anne Walter, Paula, en profil perdu, coll. "un endroit où aller", Actes Sud, mars 2009, 108 p. – 14,80 €