Constat littéraire

L’homme est un animal dénaturé, une espèce hybride qui tente de formuler une pensée tout en agissant par pulsion(s). Pierre Alferi prend congé de ses contemporains pour dresser un inventaire à la Prévert, sans raton laveur, mais avec métro et le fantôme de Zazie, marionnette animée des meilleurs intentions mais vouée à l’échec, quoi qu’elle entreprenne …

Marcher sur l’eau ou voler des amphores est l’apanage d’Alain Bashung. Alferi sera plutôt enclin à l’apathie amoureuse, une sorte de jeu de rôles qui lui permet de situer ses contemporains depuis son appartement, bien au chaud derrière sa fenêtre du cinquième étage. Parasite pour les uns, oisif ou contemplateur pour les autres. Honni par les sages docteurs de la foi qui y liront une autre envie que le message officiel, un désir de soi, de pureté effilée qui ne se conquiert que le cœur léger. Un refus d’être assimilé.

Quel constat terrifiant de s’apercevoir que « tout à coup tout le monde / est vieux, dans l’air / un parfum déférent » enivre l’âme pour mieux la perdre en lui dissimulant l’exacte déchéance. Quel choc !
La galerie de portraits habille le chant du poète qui nous offre une mercière de cent vingt ans, une clocharde, des coquillages, des inconnus … Quel capharnaüm ! Quelle pagaille ! …
Société moderne qui transpire le ketchup, les algues où la vie se joue sur le cadran d’un téléphone, vous n’aurez pas mon cadavre ! semble nous dire Pierre Alferi, car il sait où se cache l’autre côté du miroir, dans le silence percutant de l’autre rive, « quand tu n’entends plus l’on se dit / ce qu’on se dit quand on se parle dans le vide. »
Le silence hypocrite est assourdissant. La perfection érigée en dogme, la pensée unique vouée même à l’anathème puisque penser est déjà un crime ! « Tu étais déjà là quand ils sont arrivés / épié par le judas d’un nom » : Big Brother brille de mille feux dans l’éclat de son règne. Plus rien à faire, sinon chanter la complainte du fou chantant, du poète maudit. Fuir de peur qu’il ne nous dévore, cet ogre nommé Société de Consommation.

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« Je suis le palanquin / qui traîne dans les couloirs », avoue Alferi. Couloirs sans fin d’une nuit dense et charbonneuse qui l’enveloppe, mais dont il saura s’extraire sous le couvert d’un vers, d’un sonnet, d’une oralité libérée du carcan des insoumis qui se répandent déjà en bataillons sous la bannière de l’Autre Voie.
Mais pourquoi se battre dans un combat déjà perdu ? Le poète n’est pas un soldat, il est l’homme de la liberté, le chantre du mot juste : « Dans un lacet de la rivière / un banc de sable entre les bras » il embrasse le monde. Il est cette « main minuscule ou bout d’un bras interminable » qui désigne le chemin de Damas.
Saurez-vous le voir ? Saurez-vous l’emprunter ?

Pierre Alferi
La voie des airs
P.O.L, 2004
96 p. - 19,00 euros