Vincent revient sur les suites de la tempête de janvier (interview)

Vincent revient sur les suites de la tempête de janvier (interview)

On connaissait les pains que multipliait le barbu. On connaît les régimes au pain sec et à l’eau. Vincent en connaît un rayon dans les pins, ces arbres magistraux qui ont dégusté ces dernières tempêtes. Il nous donne des explications concrètes quant aux retombées de Klaus et ses précédents dans le Médoc.

Le Mague : Quelle surface des massifs forestiers a été touchée dans le grand Sud Ouest et plus précisément dans le Médoc ?

Vincent : La surface est très importante dans les landes et le sud de la Gironde mais dans le Médoc, nous avons eu que très peu de casse. On avait tout testé le 27 décembre 1999 ! Le volume estimé est de 35 millions de m3, soit un million de semi-remorques et quasiment que du pin maritime. En 99 on avait 150 millions de m3 au sol mais il y avait de toutes les essences et sur toute la France : 2 tempêtes en 2 jours !

Le Mague : Quel rôle les pluies fréquentes ont joué avant le fort coup de vent ?

Vincent : Les pluies ramollissent le sol et malgré son enracinement pivotant, les pins maritimes ont beaucoup moins de tenu lorsque le sol est détrempé. Ils tiennent mieux lorsqu’ils ont les pieds dans le sable.

Le Mague : Comment sont organisées les colonies de peuplement des pins maritimes dans la région ?

Vincent : Il y a 2 types de reboisement en pin maritime : Les semis en plein ou en bande dans lesquels on fait des cloisonnements et ensuite des dépressages dans les inter bandes, ce qui fait des lignes de 1 à 4 m de largeur avec un vide de 3 m pour une densité de 3.000 pins à 10 ans par hectare. Pour les plantations, on fait des sillons espacés de 4 mètres avec une charrue et on plante des pins de 1 an dans ou au bord du sillon. La densité est alors de 1.250 plants par hectare. Donc, pour une histoire de coût, les jeunes peuplements se retrouvent en lignes ou bandes. A l’âge de trente ans, les éclaircies font disparaître ces alignements.

Le Mague : Des voix se font entendre comme quoi la diversification des massifs forestiers est nécessaire et les pins maritimes sont trop fragiles aux coups de vent. Qu’en penses-tu ?

Vincent : Un peu d’histoire : les pins maritimes ont été introduits il y a 200 ans par un certain Bremontier qui avait découvert cette variété pour reboiser les dunes du littoral et ainsi empêcher le sable des plages d’envahir les villages et assécher les "landes" qui étaient des marécages. Un pin maritime pompe en été entre 400 et 500 litres par jour et à l’âge adulte il y en a 300 par hectare ! Ces reboisements n’ont pas été faits dans un but de production de bois et d’ailleurs, le premier revenu a été le gemmage (pour récolter la résine). C’est bien après que l’on a découvert les qualités de ce bois. Donc s’il n’y a eu que du pin maritime c’est tout simplement qu’aucune autre essence ne résiste à ces types de sol, soit qu’ils soient très pauvres et secs ou au contraire trop humides et asphyxiants. Et à ce jour, on ne connaît toujours pas ce qui pourrait les remplacer. Après 3 ou 4 générations de pins, de l’humus s’est formé, et maintenant sur les terrains sableux on voit apparaître des feuillus, mais dans les Landes, le sol est acide et le niveau d’eau va très vite remonter comme en 1800. Donc on revient au point de départ et on va ressortir les échasses ! Le problème, c’est que l’on n’est pas dans un champ de mais ou l’agriculteur voit le résultat de sa semence 6 mois après. Nous, en sylviculture, on plante un arbre et on voit le résultat 40 ans après, et à ce rythme là on prend vite du retard… Il est vrai que lorsque l’on peut, le mélange résineux — feuillus tient mieux aux vents et au feux.

Le Mague : Que vont devenir les chablis et les volis ?

Vincent : C’est un très gros problème. En 2000, il y avait de la construction et donc des débouchés pour des grosses quantités de bois. Aujourd’hui, c’est la crise et personne n’en veut, même pas les Espagnols qui nous ont pris une grosse partie des pins en 2000. Donc, quoi faire ? On parle de faire des stocks monstrueux mais il faut payer l’exploitation, le débardage, le transport et le cours du pin est à 0. Ensuite, il faut arroser ce tas sans arrêt pendant 2 à 3 ans sans savoir s’il y aura une demande plus tard. C’est un gros risque que les particuliers ne peuvent pas prendre, donc il reste des fonds d’Etat mais logiquement lorsque l’on donne des milliards aux banques il n’y a plus de millions pour la forêt…

Le Mague : L’homme à vouloir trop se remplir les pognes et toucher le fruit de la filière bois est-il un prédateur pour lui-même ?

Vincent : Non, rien à voir ! Comment expliquer ? Au dessus, le commerce du pin est venu par hasard et quand même, ils ont tenu 200 ans sans problème. En sylviculture, on connaît les risques des peuplements trop clairs qui tombent comme un château de carte et les éclaircies sont faites en tenant compte des densités minimums. Là, dans le secteur touché tout est tombé et les plus jeunes (10 ans) sont couchés !

Le Mague : Quel bilan humain tires-tu de cette catastrophe à répétition ?

Vincent : Personnellement, après la tempête de 99, je suis resté sur un nuage pendant 2 à 3 mois et après il y a eu le contre coup et c’est pas bon pour le moral. Si l’on fait cette profession, c’est généralement que l’on aime la nature et voir l’environnement dans cet état là, c’est dur. La différence avec 99 c’est que dans le Médoc, les gens qui vivent uniquement des revenus de la forêt ne sont pas nombreux mais dans les Landes, ils ne vivent que de ça et là, en plus du côté sentimental, il y a le côté finances qui va très vite surgir.

Le Mague : Les paysages côtiers n’ont pas été épargnés par l’érosion féroce, même si on n’en parle moins. Du côté de l’Amélie un camping et une maison piquent du nez vers la plage. Le sable chassé, les couches argileuses apparaissent à même le sol à certains endroits. Y a-t-il une corrélation entre la tempête et les fortes marées et jusqu’où la montée des eaux s’arrêtera-t-elle ?

Vincent : Il y a eu 2 coups de vent : le premier, le 24 janvier avec un coefficient de 50 qui n’a pas eu de grosses conséquences sur l’érosion. Par contre, la mer très forte a dégraissée la plage pendant trois jours en ramenant son niveau à un point rarement atteint. Lors du 2° coup de vent du 10 février, on avait toutes les conditions réunies pour un coup d’érosion : gros coef : 105 — vent fort de sud-ouest passant nord ouest — pression atmosphérique basse et une houle de 6,50 mètres le mardi matin. Comme la plage était très basse, la mer est venue taper rapidement dans le pied de dune et a enlevé en 2 heures (de 5 à 7 heures le mardi matin), 3 à 4 mètres de dune. On a perdu en 2 heures l’érosion moyenne annuelle depuis 50 ans. Et heureusement, la houle est très vite retombée et les pressions sont remontées rapidement ce qui a permis de sauver les meubles pour cette fois. D’ailleurs, vus le beau temps et la remontée du sable sur la plage, je crois que l’on est sauvé pour cette année en attendant l’hiver prochain. Jusqu’où les eaux vont monter ? C’est une bonne question… Ce qui est sur, c’est qu’elles vont monter puisqu’il n’y a plus d’arrivée de sédiments par les fleuves (barrages) et qu’en plus, les glaciers fondent (couche d’ozone).

Le Mague : Dans ce contexte pour le moins mouvementé, comment perçois-tu l’avenir proche de notre région ?

Vincent : Humide (surtout pour nos enfants) et ensoleillé puisqu’il y a de moins en moins d’arbres pour nous faire de l’ombre. Donc moisissures….

Le Mague : Merci également à toi Vincent pour la photo d’illustration, et à bientôt !