L’Underground musical en France : une référence !

L'Underground musical en France : une référence !

Au beau mois de mai 68, compose et joue la musique que tu veux… Des musicos libérés du carcan des lois du marché ont pulsé un autre futur musical. Les expérimentations et les revendications à fond les manettes, des groupes aux noms composites et hétéroclites crachaient des amplis : Art Zoyd, Gong, Soft Machine, Magma, Heldon, Maajun et concerts…

Aux couffins du psychédélique, bordélique joyeux, free jazz… Hors normes, ils créèrent une contre-culture et leurs propres structures pour se produire et se diffuser sur scène et en studio. Ce fut la fabuleuse aventure musicale décalée de cheval à ciel ouvert que nous conte ce livre salutaire. Alors, si vous aussi en connaissance de cause, vous voulez cracher le morceau dans la soupe mortifère des accords martiaux et autres pipos qui gargouillent sur les ondes actuelles de la zizique avortée, lisez donc ce livre.

C’est un ouvrage d’une lecture aisée. Une Histoire du Maquis sonore, le premier chapitre sur 62 pages jette les bases du patchwork musical en marge des années 68 à nos jours proches. Il analyse de façon pertinente les situations de rébellion fraternelle liées au contexte social de l’époque. Ensuite, ce livre peut se lire par butinages et lutinages convexes. L’eau à la bouche vous vient tout naturellement de facto quand vos esgourdes vous recrachent les noms des groupes musicaux qui ont fait vibrer votre petit intérieur. De fête ! Selon vos affinités électives, votre regard circulaire s’attachera plus précisément à la lecture d’un chapitre tel que : Jazz désaxé, Psychédélique Camembert, Politique ou not, Anar Rock, Chants-sons de Traverses, Électronique Guérilla, Pataphysique cantique, Les Ténèbres solaires, Spirales et Labyrinthes, Boîtes à Rythmes en Dissidence, Les Sillons alternatifs, Au-delà de l’Hexagone. À moins encore que votre curiosité de bon aloi vous conduise naturellement à lire tout à la fois.

Et puis certainement décibels pour l’oreille, la plus grande qualité du livre se trouve dans son index des noms, groupes et labels. Rien de plus facile alors d’aller puiser aux sources de votre plaisir et d’y revenir jeter les ponts entre les différentes formations musicales en calant votre platine disque aux pages correspondantes.

Sans aucune objectivité aucune, puisque je décline mes goûts musicaux soufflés par le Bartos. Je vous livre un florilège perso de mon enchantement. Dans sa première période, Soft Machine éclate une matière sonore façon puzzle, kaléidoscope psychédélique de refrains en boucles, de claviers acides et de swing déstructuré. Et puis bien sûr il a la voix finement éraillée de Robert Wyatt. Pataphysicien dans l’âme et dans les tripes, ils se proclament disciples d’Alfred Jarry. Robert Wyatt sera même très officiellement intronisé Chevalier de la Grande Gidouille (page 30).

En 1971, parait enfin, toujours chez BYG Records, le très attendu Camembert électrique, première émission officielle de Radio Gnome en direct de la planète Gong. L’album répond à toutes les attentes, une réussite totale, pas un moment faible. Ca foisonne, ça explose, ça s’enchevêtre et pourtant tout est d’une précision diabolique. Du grand art, de la magie, Ironie, humour et délire, joyeux et communicatifs (page 99).

C’est en mai 1968 dans la Sorbonne occupée que Red Noise donne sa première prestation. Le leader du groupe Patrick Vian (fils de Boris) aimait à dire : "au départ un concert de Red Noise ne se terminait que par l’intervention des flics" (page109). Albert Marcœur rassemble finalement tous ces aspects, l’approche rock, l’humour, le souci du texte, le rejet d’un show-biz manipulateur, en développant un univers très singulier (page 147).

Après le Bac, Richard Pinhas commence des études de philosophie à la Sorbonne et au Centre universitaire expérimental de Vincennes. (…) La fac de Vincennes devient un vivier de penseurs contestataires. C’est là que Richard Pinhas rencontre Gilles Deleuze en 1970. (…) Avant que Richard Pinhas ne se consacre pleinement à sa thèse sur le thème de Inconscient et Science Fiction, le groupe (Schizo) enregistre un deuxième single, autoproduit et distribué gratuitement. Gilles Deleuze accepte l’invitation qui lui est faite de venir en studio lire un texte de Nietzsche sur ce qui sera "Le Voyageur", un morceau devenu emblématique (pages 167 / 168).

Ainsi Art Zoyd se produit régulièrement lors de ciné-concerts pour les projections des films Nosferatu et Faust de F.W Murnau, Métropolis de Fritz Lang et Häxan de Benjamin Christensen (page 216).

Pour vous donner le ton du livre. Les deux auteurs sont de fins connaisseurs. Éric Deshayes notamment a également commis Au-delà du rock, la vague planante électronique et expérimentale allemande des années soixante-dix, toujours édité chez Le mot et le reste, donc j’espère du reste pouvoir le lire un jour prochain et le chroniquer de plaisir pour Le Mague ! Son acolyte Dominique Grimaud fut le fondateur des groupes Camizole et Vidéo-Aventures. Ils déménagent leurs méninges parmi les archives textuelles et musicales entre les pages par leurs analyses documentées de première qualité. Comble de l’agrément, quelques photos illustrent leurs propos.

Actuellement, autre époque et vive la sociale ainsi que toutes les autres pratiques créatrices inventées par les pionniers de l’underground musical. Tout est toujours à réinventer pour jeter des ponts entre toutes les nouvelles techniques et en avant la zizique Boris !

Éric Deshayes et Dominique Grimaud : L’Underground musical en France, éditions Le mot et le reste, novembre 2008, 23 €