Sale Temps de Crise pour Alain Bashung

Sale Temps de Crise pour Alain Bashung

L’hiver n’est pas meilleur pour les artistes que pour les pauvres gens, quand bien même ils leur donnent plus de cœur à l’ouvrage. Pour le requin, qui doit annuler les 2 concerts reportés du Grand Rex au 27 et 28 avril, les paquets de clopes sont désormais chichement comptés. Gaby se désole dans son deux-pièces cuisine, et repasse les vieux 45 tours qui l’ont fait danser à 15 ans.

À moi aussi, ça me fout les boules… Jamais je n’ai réussi à rencontrer ce type, à décrocher la moindre interview, et maintenant, je sais que je n’y arriverai jamais ! Mais quand Gaby m’a ouvert la porte en fin d’après-midi, les notes de musique soutenaient la voix traînante et si particulière de celui qui n’a pas été l’idole des jeunes, et résonnaient sur le palier d’une drôle de façon. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a fait sourire.

Le Rock ‘n Roll, pour lui, a toujours été une petite entreprise. Pas de stade bourré de fans hurlant le nom de leur idole, juste des salles comme il faut, avec l’acoustique qui va bien, et un public finalement un peu trop sage, bien dans ses baskets et surtout dans ses poches. Pouvaient lui succéder Barbara ou Charles Trenet, aucun problème… Les accents blues se marient à merveille aux grands textes de la chanson française, et les raccourcis surréalistes des siens feront date aussi. Pas trop tôt, j’espère.

Je n’ai eu qu’à dire yeah quand Gaby m’a souri. Cette chère petite chose me rappelait tellement le temps où j’aurais bien voulu la prendre par la taille, mais je n’osais pas. Et son sourire apparaissait comme un défi à l’écume de celui qui passe, et qui nous casse ! Il a cette élégance triviale qui sied aux filles qui n’ont jamais lu Kant, mais beaucoup dansé. Je ne suis pas sûr de les préférer aux grandes bourgeoises — toutes ont leur charme — et souvent, j’imagine aussi quand madame rêve… Du coup, on n’avait plus grand-chose à se dire avec Gaby, et j’ai seulement répondu à son invitation à danser, sans oser bomber le torse.

Bon, c’est vrai : les concerts, je m’en fous ! Je n’ai plus une thune et je déteste les endroits bruyants, brillants et mal famés. Je préfère nettement les vertiges de l’amour sur un banc public, devant un kiosque à musique où jouent des gamins en riant. Et me rendre ensuite boire une bière dans un endroit où on donne de la musique en boîte. À vrai dire, je n’ai jamais eu l’oreille musicale et de goût pour les danses de salon. Et maintenant, c’est trop tard pour me racheter une conduite. Alors Gaby, c’est comment qu’on freine ?

 

 


C’est le roman d’amour du musicien
Qui ne marchait pas avec un mécène,
Tant qu’il a jugé sa passion malsaine
À ses grands airs idiots de batracien !

Il est vraiment moins bon dialecticien,
Mais le plus éloquent debout sur scène
À monter la beauté d’un geste obscène
Pour retrouver le ton d’un barde ancien.

L’oubli n’est pas pour lui si la musique
N’a jamais rendu personne amnésique…
Le disque est mort et le son nous suffit.

Les musiciens n’ont pas sur les paroles
Soustrait les jours durant un bon profit,
Mais ils ont fait plus que les casseroles.