Supermarché : Ton Univers impitoyable

Supermarché : Ton Univers impitoyable

Licenciée pour 60 centimes… Le public s’est récemment senti mal quand la presse a rapporté la décision d’un tribunal allemand, confirmant le licenciement sans préavis d’une caissière de supermarché dans l’est berlinois, pour avoir détourné 1,30 €. Le cas n’est pas unique, puisqu’une employée de l’enseigne ATAC a gagné contre son ancien employeur, qui l’a mise à la porte en l’accusant d’avoir cagnoté pour 60 centimes.

L’affaire est semblable au-delà des frontières. En Allemagne, Barbara est convaincue d’avoir utilisé à son profit deux bons d’un montant de 48 et 82 centimes, obtenus en échange de bouteilles consignées, mais oubliés par un client. En France, Marie-Christine est accusée par la direction du magasin qui l’emploie d’avoir utilisé sa propre carte de fidélité sur les passages en caisse des clients… pour un montant d’autant plus dérisoire, que le préjudice de la direction est ramené à 40 centimes, après une minutieuse vérification.

Ainsi, la Confédération des syndicats allemands a dénoncé un jugement qui tire au canon sur des moineaux. Mais le tribunal berlinois a estimé que le licenciement de Barbara est fondé, faisant valoir que les faits avaient été confirmés par des témoignages et par les relevés de caisse. En revanche, Marie-Christine a produit une attestation de son mari, dont elle est divorcée, stipulant qu’il avait conservé la carte de fidélité de sa femme après s’être séparé d’elle. Le fautif n’appartenant pas au personnel du supermarché, le préjudice n’existe plus et le délit n’est pas constitué.

Ces deux affaires tellement proches par le préjudice dérisoire fait à des enseignes réputées pour brasser des millions, et tellement éloignées géographiquement, pose trois questions. L’honnêteté est-elle affaire de quantité ? Le tribunal, dans les 2 cas, répond par la négative. En ce qui concerne les salariés, la propriété de l’employeur n’est pas à leur disposition, quel que soit le montant en cause et même en cas d’ancienneté importante, affirment les juges à Berlin, arguant une perte de confiance irréparable entre les parties, et peut-être aussi à l’égard de la clientèle. En France, il a fallu à Marie-Christine apporter la preuve qu’elle ne pouvait pas avoir commis de délit.

Pour Anna, la blogueuse no-futur qui a fait de ses états d’âme à la caisse d’un supermarché breton huit années durant son fond de commerce, ça ne dépend pas du prix. Le fait ne la choque pas, et elle trouve naturel que la direction du supermarché se sépare d’un employé indélicat quelle que soit la valeur du préjudice : nous avons des consignes à respecter, sinon c’est un motif de licenciement, confie-t-elle au journal Le MAGue… La sanction paraît cependant lourde, au regard de l’ancienneté des deux femmes : plusieurs années dans le même magasin, alors que le turn-over dans la grande distribution est très important.

On se souvient du Journal d’un Médecin du Travail écrit par le Dr Dorothée Ramaut, et publié en 2006… Tout au long de ce témoignage émouvant, la praticienne expliquait avec force détails comment le harcèlement moral est érigé en système managérial dans une enseigne de la grande distribution, au point de publier le livre sous un nom d’emprunt, après avoir subi de nombreuses pressions de la part de l’enseigne où elle exerçait son art, et d’en taire le nom.

Le motif apparemment futile avancé pour licencier ces deux femmes est-il monnaie courante ? Anna nous parle de 2 cas dont elle a eu connaissance il y a plusieurs années, mais de telles pratiques affirme-t-elle : moi, je n’en ai jamais entendu parler dans le contexte professionnel. Il ne semble donc pas possible de généraliser ce genre d’affaires, quand bien même elles apparaissent disproportionnées.

Mais si la confiance mise par la direction dans son personnel de caisse est également un égard rendu à la clientèle du magasin, il demeure possible, dans le commerce comme c’est le cas dans toute autre activité, d’user d’un prétexte quelquefois dérisoire pour se séparer d’un employé pour d’autres raisons, peut-être juridiquement moins fondées. Barbara en l’occurrence, était syndiquée, elle a participé à une grève l’année précédente.

 

 


Un commerce est sans âme en dépit des façades
Qui vont nous faire entrer pour acheter heureux,
Mais les bons commerçants sont assez rigoureux
Avec certains aspects à tout le moins maussades.

Les murs sont faits parfois du bois des palissades,
Mais ils ne parlent pas des maux très douloureux
Quand un métier très dur use un moins valeureux,
Mais rien de ces soins n’a fait passer les passades.

Les commerçants n’ont rien du prestige apprécié
Du cambiste ou d’un grand marchand d’art initié,
Ils sont d’obscurs soutiers et dépourvus d’estime.

Le moindre et l’accessoire : on voit ces épiciers
Gratter avec grand art jusqu’au dernier centime,
Ceux qui n’ont pas compris sont ainsi licenciés !

 

Les Tribulations d’une Caissière continuent !