Qui veut la peau de Jean-Marc Rouillan ?

Qui veut la peau de Jean-Marc Rouillan ?

À quelques jours de la sortie de la suite des « mémoires » de Jann-Marc Rouillan, nous avons voulu poser quelques questions aux éditions Agone qui ont perdu, en octobre 2008, leur plus célèbre collaborateur. On se souvient que la semi-liberté de Rouillan a été suspendue suite à un faux scoop de L’Express… Aujourd’hui, ses proches s’alarment pour sa santé.

Le 17 mars, les éditions Agone vont faire paraître De Mémoire (2), un nouveau titre de l’écrivain Jann-Marc Rouillan. Comme nous l’avions fait pour De Mémoire (1), nous commenterons prochainement ce témoignage de l’engagement de Rouillan contre la dictature de l’Espagne franquiste.

Pour l’heure, une autre préoccupation nous anime. Elle concerne la situation de l’ex-militant d’Action directe Jean-Marc Rouillan, 56 ans. Petit flash-back. Entre décembre 2007 et octobre 2008, ayant obtenu un régime de semi-liberté au bout de vingt-cinq années de détention (dont onze ans de QHS), Jean-Marc Rouillan a travaillé à Marseille au sein de la maison d’édition Agone. Éditeur le jour, taulard la nuit et les week-ends, Rouillan, louchait vers une libération en bonne et due forme.

C’était compter sans une interview parue dans le magazine L’Express du 2 octobre 2008. Alors que Rouillan avait déjà donné, sans souci particulier, des interviews, notamment au Mague, à CQFD et à des journaux espagnols ; alors que le quotidien Libération sortait ce même 2 octobre une interview dans des conditions normales, le faux scoop de L’Express (et le fait que de nombreux commentateurs politico-flico-médiatiques se sont arrangés pour lui faire dire ce qu’il n’avait pas dit) est venu ratiboiser tout espoir de retour à une vie militante ordinaire.

Le 4 octobre 2008, Jean-Marc Rouillan a été réincarcéré à plein temps à la prison des Baumettes, à Marseille. Le 4 février dernier, il a vu le tribunal de l’application des peines de Paris rejeter sa demande de libération conditionnelle. Selon le régime applicable aux condamnés à perpétuité, il faut en effet, au minimum, un an de semi-liberté pour prétendre à une libération conditionnelle. Dans une logique ubuesque, suite à son retour express en prison, Rouillan ne remplit plus les conditions légales pour que sa requête soit examinée rapidement. Le rejet repousse la possibilité d’un nouvel aménagement de peine à la saint Glinglin. Il devra attendre que deux ans passent. Au minimum…

La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté n’est pas faite pour accélérer les choses. Elle précise que toute nouvelle demande de libération conditionnelle doit être précédée d’un séjour de six semaines au centre national d’observation (CNO) de Fresnes. Là, des psychiatres sont chargés de doser le degré de dangerosité du condamné avant de rendre un avis aux juges. Une démarche qui peut prendre de très longs mois. À titre d’exemple, citons le cas de Georges Cipriani, autre ancien membre d’Action directe condamné pour les mêmes faits. Sa demande de semi-liberté, déposée fin 2007, n’a toujours pas été examinée. Aucune date n’est fixée par le tribunal de l’application des peines alors que son passage au CNO remonte à l’été 2008.

Ce n’est pas une nouveauté. La « justice antiterroriste » est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. La vengeance de l’État est d’une férocité sans borne. Jean-Marc Rouillan, malade, sera-t-il la prochaine victime des « éliminatoriums de la République » qu’il dénonçait dans Lettre à Jules ?

Paco : Avez-vous des nouvelles récentes de Jean-Marc ? Comment supporte-t-il les suites de cette interview à L’Express ?

Éditions Agone : Après une période de communication régulière (il nous téléphone chaque matin depuis fin octobre après trois semaines d’isolement) et quelques visites de parloir depuis l’automne, le début de l’année fut assez difficile. On a constaté la détérioration brutale de sa santé lors de notre dernière rencontre, le 20 février. Nous avons aussitôt écrit au directeur de la maison d’arrêt, lui signalant notre inquiétude, notamment de l’absence de soins. Jean-Marc n’a plus été capable de se déplacer pour nous téléphoner pendant toute la dernière semaine de février. Nous avons appris qu’il avait dû rester alité et que la réponse médicale se limitait à la prise d’anti-inflammatoires. Il nous a enfin fait part hier de son état, non sans inquiétude : fiévreux, souffrant de douleurs articulaires et musculaires, perdant du poids, incapable de fixer son attention (de lire ni d’écrire) et ayant de plus en plus de difficultés à se déplacer. Cet état a alarmé un ami médecin qui lui a rendu visite ce mercredi 4 mars. Celui-ci a transmis au directeur des Baumettes une demande d’hospitalisation d’urgence. Enfin, l’avocat de Jean-Marc est informé de la situation et a déjà commencé les demandes nécessaires aussi bien du côté médical que pour son transfert en centrale – ce que Jean-Marc demande depuis des mois.

Paco : Rouillan est toujours à la maison d’arrêt des Baumettes alors qu’il ne devrait plus y être. Ça se traduit comment au quotidien pour sa santé, son travail, ses relations avec l’extérieur ?

Éditions Agone : Pour ce qu’on en sait, tout condamné à une longue peine doit la purger dans une centrale, où les conditions de détention sont aménagées. De fait très différentes de celles dont il bénéficie dans la maison d’arrêt des Baumettes (surpopulation, sous-équipement, etc.). Signalons qu’il n’a plus d’ordinateur (quand on sait l’importance de l’écriture chez lui comme instrument de résistance au quotidien carcéral), les parloirs sont plus courts (d’une demi-heure au lieu de trois heures), etc.

Paco : Quoi de neuf depuis l’adhésion de Rouillan au Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ? Comment réagissent ses nouveaux camarades ? Et ses anciens ?

Éditions Agone : Nous en savons peu du côté de son engagement au NPA, sinon que Jean-Marc nous a dit recevoir une abondante correspondance des jeunes militants, tandis qu’il reste en contact avec les anciens dirigeants de la LCR. Quant aux proches de toujours, pour ceux qu’on connaît, rien d’essentiel n’a changé.

Paco : Du fait des dernières péripéties « antiterroristes », De Mémoire (2) sort dans quelques jours avec un peu de retard sur les prévisions. Y aura-t-il des De Mémoire 3, 4… ?

Éditions Agone : Pour les péripéties (c’est-à-dire la remise à l’ombre de l’auteur et les difficultés de communication), on devrait plutôt en qualifier l’origine de « médiatico-policière »… Car sans la presse officielle, pas de « faute », donc pas de sanction. Quant à la suite des « Mémoires », tout dépendra d’abord de son état de santé et des conditions qui lui seront faites (sans ordinateur, ça va être difficile).

Paco : Le même jour que De Mémoire (2) sortira un livre de Xavier Montanyà, Les Derniers exilés de Pinochet. Rouillan a travaillé sur ce livre. En quoi ?

Éditions Agone : D’abord l’accompagnement de la traduction et les relations avec l’auteur. Ensuite le montage d’un appareil de notes et annexes. Enfin des recherches iconographiques. Sa réincarcération soudaine a mis un certain désordre dans la finalisation de l’ouvrage que nous avons dû boucler sans lui.

Paco : Comment voyez-vous l’avenir de votre collègue ? Que faut-il faire pour le soutenir ?

Éditions Agone : Nous espérons déjà que les différentes procédures en cours vont aboutir avant qu’il ne soit trop tard. Car la situation est alarmante : ses conditions de détention mettent désormais sa vie en danger. À notre niveau enfin, garder le contact avec lui, ne pas le laisser seul, et qu’il le sache, nous paraît l’urgence du moment.

Pour lui montrer qu’il existe encore des êtres humains, écrivez à Jean-Marc Rouillan numéro d’écrou 147575, centre pénitentiaire de Marseille, 239 chemin de Morgiou 13404 Marseille cedex 20.

Pour répondre par avance aux imbécillités qui ne manqueront pas d’être dites ou écrites, je vous invite à lire On dit bien que la justice est aveugle, un texte écrit en octobre 2008 par Jean-Marc Rouillan et un membre des éditions Agone, Thierry Discepolo. On mesure la différence de traitement qu’il y a toujours eu entre l’impunité de certains nazis, collabos et tortionnaires (à qui l’on n’a jamais demandé excuses ou remords) et la répression qui s’abat sur les militants révolutionnaires.