Les jeunes Algérois à l’épreuve des élections présidentielles

Les jeunes Algérois à l'épreuve des élections présidentielles

Dans un mois et demi, les Algérien( ne)s seront appelés à élire leur président. Alors que les acteurs et les actrices de ce « one man show » veillent aux préparatifs de cet événement politique sans grande surprise, Alger suit le cours de la vie. Lentement. Doucement. Et dans cette atmosphère lisse d’apparence, que pensent les jeunes Algérois des élections présidentielles ? Iront-ils voter le jour J ? Sont-ils favorables à un troisième mandat du président sortant, A. Bouteflika ?

Alger, Ce vaste espace urbain qui ne finit pas de vibrer au rythme de cette musique lente et enivrante qui chante l’épopée de la vie populaire et de ses bas fonds.

La Casbah. le coeur de l’ancienne médina. Un quartier aux ruelles étroites et sinueuses qui a tendance à devenir de plus en plus vétuste et très pauvre, où la lutte pour la survie est le lot quotidien d’hommes et de femmes aux regards désabusés et empreints de tristesse et d’impuissance.

Direction le mausolée de Sidi Abderrahmane, le père spirituel de la ville d’Alger, ce sanctuaire construit vers la fin du XVIIe siècle qui sert de lieu de recueillement pour des âmes en peine. Cet endroit qui demeure sourd aux bruits de la ville qui se perd dans les mouvements des grandes vagues qui vibrent aux sons des va et vient de la vie et de la mort qui hantent les mémoires qui se souviennent. Et se souviennent encore !

A proximité de Sidi Abderrahmane, un groupe de six jeunes, âgés entre 25 et 35 ans discutent, debout contre le mur du mausolée. Un mégot circule d’une main à une autre, de bouche en bouche. Il n’y a aucune fille dans le groupe. La rue, cet espace public est un lieu strictement réservé au sexe masculin. Les filles, elles, ne font que passer. Ce sont des ombres ambulantes qui marchent droit devant elles, pressées d’arriver à destination.

Dans cet espace ouvert, ces jeunes hommes parlent à voix haute et s’expriment en toute liberté ne cachant rien de leur sujet de conversation qui porte sur les élections présidentielles. Une polémique intéressante et des plus étonnantes qui révèle l’existence d’un degré de maturité et de conscience chez ceux qu’on a tendance à désigner sous le vocable de « hittistes », ces chômeurs oisifs qui tiennent les murs.

« Je vais vous dire, mes frères, s’écrie l’un d’eux. L’arrivée de Boutef au pouvoir en 1999 m’avait donné l’espoir de voir mon pays calme et libre. C’est vrai, depuis quelques années, il n’y a plus d’attentats. On peut dire que la violence a disparu. Mais au fur et à mesure, cet espoir s’est évaporé. On nous dit que l’Algérie est un pays démocratique. Mais de quelle démocratie parlons-nous ? Ils ont volé la Constitution et notre droit de citoyens. Ce sera Boutef et Boutef et Boutef et ainsi de suite… Voter ou ne pas voter, c’est kif kif. Alors pourquoi se fatiguer et dépenser son énergie ? Moi, mes frères, je n’irai pas voter » ?

« Ah, voilà que tu philosophes maintenant ! Démocratie ! Mais sais-tu ce que cela veut dire ? Avant Boutef, tu ne pouvais pas rester dehors à discuter avec tes copains. C’est grâce à lui que tu vas et viens librement. Votons pour lui une troisième fois. Donnons lui la chance et les moyens de changer les choses en profondeur. Je voterai pour Boutef et pour le changement tant attendu dans mon pays . »

« Monsieur le Bouteflikiste, es-tu aveugle ou quoi ? Boutef n’a aucun pouvoir. Nous sommes gouvernés par des cadavres ambulants. Ils sont trop vieux. Ils ont gagné la guerre contre la France quand ils étaient jeunes. Et maintenant, ils ne veulent plus partir. Ils ont trahi et nous bouffent la vie. Moi, je pense qu’il est grand temps de laisser la place aux jeunes. Le jour du vote, je ne changerai rien à mes habitudes. Comme à l’accoutumée, je viendrai tenir les murs de Sidi Abderrahmane. Lui au moins je sais qu’il veille sur moi . »

« Ecoutez mes frères, comme M. Luther King, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé qu’un homme à l’allure vieillissante et aux yeux hagards s’est présenté aux élections et qu’il a été réélu à 99,99 %. Ce qui est bizarre, c’est qu’il ne ressemblait ni à un Algérien, ni à un Kabyle, ni à un Mozabite, ni à un Chaoui mais à un dinosaure. La solution, c’est Obama ! C’est un président comme Obama qu’il faut à l’Algérie . »

« Ah, tu parles toujours aussi bien, ya l’intellectuel. Prenons exemple sur le peuple américain qui a élu Obama et a donné une leçon au monde entier. Faisons de même et donnons une leçon au pouvoir en place. C’est au peuple algérien de créer le changement le jour du vote. Nous sommes le vrai pouvoir ! Est-on prêt à mourir pour des convictions autres que religieuses ? La liberté ne se donne pas. Elle s’arrache ! »

« Tu veux qu’on passe la nuit à Berrouaguia (prison) ? Tu veux qu’on nous accuse de faire de la politique ou quoi ? Moi, je veux la paix. C’est pourquoi je fume de la patience. Tout ce dont je veux c’est voter avec mes deux pieds. Les rêves américain et australien nourrissent mes espoirs. Je sais que je partirai. Et c’est ce rêve qui m’aide à tenir le coup. Alors Boutef ou pas Boutef, je m’en fous » !

Alors, dites-moi, combien sont-ils en Algérie à « fumer de la patience » ? Oui. Combien sont-ils à rêver d’un Président qui incarnera le changement et la démocratie ?