Hannelore Cayre hait les juges d’instruction et regrette leur suppression

Hannelore Cayre hait les juges d'instruction et regrette leur suppression

Derrière l’auteur des romans policiers d’Hannelore Cayre, au cynisme échevelé, vibre une avocate spécialisée dans les affaires pénales, qui voit dans la suppression du juge d’instruction l’évolution logique d’une justice qui a rompu avec les principes fondamentaux du droit français, ceux de l’individu face à l’engrenage judiciaire et l’appareil d’État. Lassée des mesquineries dont ses confrères et elle-même font constamment l’objet de la part des juges, elle envisage de ranger sa robe dans un placard pour se consacrer à l’écriture, en particulier pour le cinéma. Hannelore Cayre sera présente à Lyon pour le Quai du Polar les 26-27-28 mars où sera projeté le film Commis d’Office adapté de son roman éponyme.

Le MAGue : Quel est de votre point de vue le rôle du juge d’instruction et que pensez-vous de sa suppression ?

Hannelore Cayre : Certes, le juge d’instruction n’est concerné que par 20% des affaires pénales, mais il l’est de moins en moins, à cause de plein d’autres procédures légères, inventées par les lois Perben. Il intervient en principe dans les affaires qui ne sont pas en état d’être jugées, celles qui nécessitent un complément d’information. Le juge d’instruction ne peut enquêter que sur les faits dont il est saisi par le parquet ou par la partie civile. Mais lorsqu’il l’est, il est libre d’enquêter comme il l’entend. C’est ce qu’on a vu dans les affaires politico-financières. Dans ces cas, l’indépendance des juges s’est révélée salvatrice. Si demain, le juge d’instruction disparaît, le pouvoir exécutif se dotera d’un instrument qui lui donnera le droit de choisir les enquêtes qu’il désire voir prospérer et celles qu’il souhaite enterrer. Hélas, la presse s’intéresse au débat que suscite une telle réforme uniquement à cause des affaires politico-financières, dans la mesure où elles la nourrissent d’informations pour ses lecteurs.

Le MAGue : Le quotidien de votre métier, d’après ce qu’on peut en lire dans vos romans, concerne-t-il si souvent ce genre d’affaires ?

Hannelore Cayre : En réalité ces affaires constituent une infime partie des instructions. La plupart d’entre elles, ce sont les affaires de stups ou celles qui concernent les tripoteurs d’enfants, mais ça n’intéresse personne… Pourtant ce sont ces affaires-là qui rendent vivace la jurisprudence, et donc nos libertés publiques ! Quand on observe le juge d’instruction par le bout de la lorgnette du pénal de droit commun, on s’aperçoit que son éradication ne date pas d’hier. C’est une lente disparition du juge d’instruction qui a commencé en juin 2000 avec la loi Guigou sur la présomption d’innocence. Cette loi est venue lui retirer tout le contentieux de la détention provisoire. Avant, le juge d’instruction décidait si la personne allait en détention provisoire et combien de temps il devait y demeurer. Les juge d’instruction étaient alors juges et partie, ce qui a donné lieu à des abus mémorables en la matière. C’est pourquoi la loi transfère au juge des libertés et de la détention cette responsabilité. Mais ce dernier doit examiner 30 dossiers par jour, il ne peut prendre aucune distance par rapport au dossier. J’en ai donné un bon exemple dans mon dernier roman Ground XO : ce magistrat voit le prévenu environ 5 minutes, et en général, il suit les réquisitions du parquet. Dans le cas contraire, des procédures super-vicieuses ont été mises en place par la loi Perben I du 9 septembre 2002, avec la saisine directe et le référé détention. C’est d’ailleurs ce dernier cas qui concerne l’affaire Julien Coupat.

Le MAGue : Pour quelle raison attachez-vous tant d’importance à la détention provisoire en lien avec le travail du juge d’instruction ?

Hannelore Cayre : La mise en détention reste le principal levier d’une enquête. Il faut savoir que la plupart des gens n’ont pas les moyens de se soustraire à la justice. Aux États-Unis, ce n’est pas pareil, avec le paiement éventuel d’une caution, qui instaure une justice à deux vitesses. La détention permet au juge de garder les gens sous le coude et surtout de les mettre sous pression. Pour ce qui est des enquêtes, par le biais des commissions rogatoires, ça fait longtemps que les juges d’instruction ont délégué aux forces de l’ordre le pouvoir de les mener. La plupart des enquêtes sont sous-traitées à la police au mépris des droits de la défense… Quand une personne passe devant un juge d’instruction, elle a le droit à un avocat et à voir son dossier. Devant la police, elle n’a pas de statut, ne sait pas ce qu’on lui reproche et ne bénéficie pas du soutien d’un avocat. Bien souvent, elle est interrogée sans savoir ce qu’on lui veut. Pratiquer de la sorte invite à retirer tous les droits de la défense à la personne interrogée. J’ai le sentiment que Nicolas Sarkozy veut rendre cette pratique unique. Les juges d’instruction, en agissant ainsi, ont sapé leur propre pouvoir. Pour eux, c’est plus pratique, ça va plus vite, on se passe des avocats, et en plus ils voient les mis en cause en fin de course, entièrement ficelés avec leur dossier. L’instruction n’apporte plus aucune valeur ajoutée.

Le MAGue : À vous entendre, vous n’estimez pas beaucoup les juges d’instruction… Voudriez-vous préciser s’il vous plaît ?

Hannelore Cayre : Nous, les avocats, avons beaucoup de choses à reprocher aux juges d’instruction, mille petites mesquineries : les portes de cabinet fermées dès lors qu’il s’agit de consulter les dossiers, les convocations à 9 heures du matin pour comparution à 15 heures, les promesses non tenues… Les avocats sont malheureusement vécus par les juges comme un mal nécessaire. Les juges d’instruction, il faudrait les noter par rapport à leur indépendance et non du point de vue de leur hiérarchie, les juges des libertés et de la détention qui contreviendraient aux réquisitions du parquet… J’en connais néanmoins de très bons. Ceux-là sont indépendants parce qu’ils n’ont pas d’appétit pour la carrière. La plupart acceptent de se fondre dans le moule en suivant les réquisitions du parquet. Le juge d’instruction n’arrive pas à se sentir dans la peau d’un fonctionnaire, parce qu’il a dans sa main la liberté des gens, et pourtant c’en est un. Et quand on commence à pouvoir nommer les bons juges, ça devient inquiétant ! Ceux-là, je les regretterai.

 

 


Que vaut le prévenu devant un juge austère
S’il ne veut rien savoir, même un bon alibi ?
Rien ne sert de lui dire au fond d’un cagibi
Qui lui sert de bureau le droit du prolétaire !

Que pense un citoyen modèle à ce mystère
Du commerçant filou trouvé juste estourbi ?
Le vaurien qui l’a fait n’a rien sous le bibi
Et mérite au bas mot un tourment salutaire.

Que vaut l’homme à présent privé de liberté
Fort marri de croupir à l’ombre en plein été ?
Il est juste un dossier de plus pour la justice.

Le juge a bien instruit avec tout son instinct,
Il faut subir le temps que l’affaire aboutisse,
Hélas, le bien-fondé des gens reste indistinct.

 

Commis d’Office d’Hannelore Cayre bientôt sur vos écrans !