Le Juge d’Outreau comparaît devant ses Juges

Le Juge d'Outreau comparaît devant ses Juges

La formation disciplinaire du Conseil supérieur de la Magistrature se réunit à partir de lundi pour statuer sur le sort de Fabrice Burgaud, mis en cause pour l’instruction qu’il a menée dans l’affaire de pédophilie présumée à Outreau.

Saisi en février 2001 sur un signalement des services sociaux le mois précédent concernant des abus sexuels sur des enfants vivant dans une banlieue populaire de Boulogne-sur-Mer, le juge frais émoulu de l’École nationale de la Magistrature Fabrice Burgaud aboutit par les investigations erronées qu’il a diligentées à un scandale judiciaire retentissant, qui pose aujourd’hui encore la question de la pertinence de la fonction de juge d’instruction.

Ce que lui reproche le ministère de la Justice est excessivement grave. En relevant dans le dossier de Fabrice Burgaud les insuffisances dans la maîtrise de l’information et la prise en compte d’éléments à décharge, les services de Rachida Dati font peser sur le jeune magistrat l’ensemble des fautes commises dans l’affaire des enfants d’Outreau, et lui imputent l’entière responsabilité des dérives que son travail a permis de pointer ultérieurement.

Aujourd’hui, les éléments sur lesquels le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) est invité à statuer sont plus mesurés, sur la foi d’un rapport rédigé pendant près d’un an et demi par 2 de ses membres, Dominique Latournerie et Hervé Grange. Fabrice Burgaud y apparaît comme un fonctionnaire zélé mais sans intelligence, pressé de venir à bout de sa tâche en accumulant lacunes et maladresses, lorsqu’il n’essaie pas d’orienter le dossier dans le sens qu’il entend lui donner.

C’est oublier un peu vite que Fabrice Burgaud n’œuvrait pas dans le secret de son cabinet comme on se plaît à l’imaginer… Au cours des auditions de la commission parlementaire qui s’est tenue en 2006 pour tirer les leçons du fiasco, il est apparu que le juge d’instruction s’est souvent tourné vers le procureur qui l’a saisi afin de lui demander un avis ou des conseils. Gérald Lesigne, magistrat expérimenté dirigeant depuis une dizaine d’années le parquet de Boulogne, a montré toute l’emprise qu’il exerçait sur son jeune confrère, mais il a été absous par ses pairs du CSM en juillet 2008. Il a été depuis muté dans une autre juridiction du littoral.


Le Juge Burgaud témoigne à la Commission parlementaire

Le cas d’Outreau n’est pas le premier à montrer la position fragile et l’ambiguïté du juge d’instruction, parfois accusé comme ici d’instruire uniquement à charge. Le système judiciaire français est le fruit d’une construction intellectuelle ambitieuse et tout empreinte de l’esprit des Lumières, qui fait la part belle au tempérament humain. Mais c’était un siècle avant que Nietzsche démontre sa vanité ! Le magistrat instructeur n’est pas le pur esprit qui fait jaillir la vérité du néant de la misère ambiante, le démiurge dont bien des romans policiers usent du ressort sous les traits d’un individu opiniâtre et particulièrement judicieux.

Au final, la commission d’enquête parlementaire qui a auditionné toutes les parties à l’issue de l’affaire d’Outreau n’a rien résolu, quand bien même elle a formulé des propositions relevant d’un grand pragmatisme et d’autant d’économie, la législature arrivant à bout de souffle au terme de son mandat, et la campagne électorale tardant de débuter… Il faut bien dire que les choses sont loin d’être tranchées, deux tendances s’affrontant pour infléchir l’instruction d’un côté ou de l’autre. C’est pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il décidé de confier celle-ci au parquet : il est temps que le juge d’instruction cède la place au juge de l’instruction qui contrôlera les enquêtes mais ne dirigera plus, a-t-il déclaré le 6 janvier 2009.

La conclusion provisoire de cette histoire est qu’il n’a pas fallu moins de 10 ans, à partir du moment où un drame a rendu insupportable un système bancal et inadapté à la réalité humaine, tout en montrant l’écrasante responsabilité qui pèse sur les fragiles épaules de l’un des membres de sa communauté, jusqu’au moment où l’on jugera bon de s’orienter dans une direction pour réformer l’institution judiciaire. Ce qui bien entendu, n’évite aucun risque d’erreur. Toujours est-il que la décision du président de la République consacre une tendance qui incite au parquet à ne saisir un juge d’instruction qu’en dernière analyse.

 

 


Le petit juge attend un jour son châtiment
Au motif atterrant d’une erreur judiciaire,
Si sa faute apparaît évidemment grossière,
Il est victime en fait de son aveuglement !

Il n’a pas seulement instruit suffisamment,
D’avoir prêté l’oreille au dit de la sorcière,
Le voilà maintenant pris dans la souricière
Après s’être étourdi du pouvoir goulûment.

Ce n’est pas là vraiment le fait de la justice,
Et seulement celui des gens qu’il en pâtisse
Pour faire un vilain sort au valet du pouvoir.

Que requérir de plus ? Sa carrière est brisée
Lorsqu’il nous appartient dorénavant de voir
En lui c’est bien l’erreur qui lui est refusée !