LE PETIT FUGITIF…

LE PETIT FUGITIF…

« Notre Nouvelle Vague n’aurait jamais eu lieu si le jeune Américain Morris Engel (1) ne nous avait pas montré la voie avec son beau film Le Petit Fugitif. »

(François Truffaut)

A Brooklyn dans les années 50, la mère de Lennie, partant au chevet de leur grand-mère malade, lui confie la garde de son petit frère Joey, âgé de 7 ans. Irrité de la présence de son cadet, Lennie et ses copains simulent un accident de carabine dans un terrain vague. Joey, culpabilisé, croyant avoir tué Lennie s’enfuit à Coney Island.
« Le Petit Fugitif » est le récit de la journée d’errance de Joey au milieu de la foule et des attractions foraines.

D’emblée, la liberté de style de ce film, fait sans grands moyens et mêlant réalisme et fiction, surprend. Nous suivons les déambulations d’un gamin plutôt débrouillard, livré à lui-même, échappant à la monotonie des terrains vagues de Brooklyn et des jeux bruyants de son frère et sa bande. Un périple à la fois poétique et farfelu, sillonné de gags et de clins d’œil, ravivant les souvenirs d’enfance du metteur en scène Morris Engel entre Brooklyn et Coney Island.

Le royaume de Joey ? Le mythique parc d’attractions Coney Island, populaire lieu de divertissement des New-Yorkais, véhiculant toute la nostalgie des fifties. Immortalisé par les photographes [les clichés de foule de Weegee], les cinéastes [« Le Mirage de la vie » de Douglas Sirk avec Buster Keaton], les chanteurs [« Coney Island Baby » de Lou Reed], le vaste temple ludique nous apparaît comme une sorte de labyrinthe – mais sans fil d’Ariane – dans le lequel l’on se perd en une voluptueuse rêverie. Sorte de Grand Poucet, Lennie, à l’aide d’une craie, y dépose des messages aussitôt effacés par la nature ou la main des hommes…

Cette drôle de journée nous est évoquée par une image léchée offrant des angles variés : la pluie crépitant sur le remblai de la plage, la ruche bourdonnante du métro new-yorkais, la ronde tumultueuse des manèges de chevaux de bois – le style baroque de cette tournoyante masse chevaline fait songer au fameux « Inconnu du Nord-Express » (1951) d’Alfred Hitchcock, sorti deux ans avant « Le Petit Fugitif ».

Bien que le personnage de Joey n’ait rien d’un petit Charlot/Hulot, la finesse de l’observation et l’absurdité des situations à laquelle est confrontée ce Petit Fugitif évoqueront à certains un univers à la Tati. Le jeune Américain se retrouve seul devant la foule : il observe, un peu ahuri, ce monde standardisé (la séance de pose sur le stand des cow-boys) ainsi que l’univers curieux et sensuel des plages (le pantalon enseveli). Il s’initie même à un premier travail, ramassant les bouteilles de Coca-Cola en échange de quelques cents. Monnaie de singe lui permettant de s’offrir de nombreuses séances de poney !

La fin du Petit Fugitif, savoureuse, claque comme une ultime raillerie du monde adulte. De retour au foyer, la mère, mettant la fatigue des deux garçons sur le compte de la télévision, leur promet pour le week-end une virée à Coney Island. Un film, comme son titre l’indique « petit et fugitif » qui suggère tout en finesse le mystère de l’enfance, comme si cette période, à la fois rude et magique, devenait aussitôt invisible à ceux qui en sont sortis.

François Truffaut, Jean-Luc Godard et les autres cinéastes en flashant sur ce film, interprété par le talentueux Richie Andruso (Joey), avaient vu juste : il s’agit bien là d’un film culte !

(1) Le couple Engel-Orkin réalisera deux autres films : « Lovers and Lollipops » (1955) et « Weddings and Babies » (1958)

LE PETIT FUGITIF (The little fugitive), USA, 1953

Film de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley

Durée : 1 h 20

Sortie au cinéma le 11 février 2009