La Reine des lectrices

La Reine des lectrices

Lire, est-ce un simple passe temps ? "Les livres sont tout sauf un passe-temps." s’enflamme Elisabeth II. Ils sont porteurs d’un message. D’un témoignage d’autres vies, de mondes différents que vous êtes à cent lieus de connaître …

Tempête dans un verre d’eau, au début tout le moins. Mais lorsque sir Kevin, le secrétaire particulier de la reine d’Angleterre, prend l’exacte mesure de la nouvelle passion de la souveraine, rien ne va plus ! Le Premier ministre se voit sommer de lire Proust. Le président de la République française en visite officielle se voit questionner sur Jean Genet. L’agenda prend de plus en plus de retard car la souveraine est plongée dans ses livres. Quand on connaît l’importance du protocole outre-Manche, on appréciera l’irrévérence qui est faite dans ce livre.
Car Alan Bennett manie l’humour et la dérision comme ses pairs anglais qui, depuis des siècles, saupoudrent d’un zeste d’insolence leurs écrits. So british !

Et si le rêve d’Elisabeth n’était pas d’être une simple lectrice ? Car un lecteur, au fond, n’est que le regardeur d’un spectacle qui se joue devant ses yeux. Il n’intervient en rien dans le déroulement de l’histoire. La lecture attendrit celui qui s’y adonne. Tandis que l’écriture produit l’effet inverse. Il faut s’endurcir pour écrire. N’est-il pas ?
L’écrivain agit, lui. Il maîtrise l’action. Et la reine n’est-elle pas au fait de son domaine de prédilection dans la gestion de l’action ? Et ne répond-elle pas ainsi à la charge qui est sienne ? Elisabeth II ne va pas tarder à s’en convaincre. Fidèle à ses habitudes et à son caractère, elle ira jusqu’au bout de son ambition. Avec les conséquences que cela sous-entend …

Marchant à grands pas sur les traces de E.M. Forster, elle mettra en chantier son Grand Œuvre. S’associant à la maxime du romancier. "Dites toute la vérité, mais dites-la de manière oblique : la réussite réside dans les circonvolutions." La chute n’est sera que plus épique !
Les intrigues de palais n’y pourront rien. Si le tabellion de la reine est éloigné, le mal est fait. Les livres auront raison de la raison d’état. Car même une apostille peut provoquer une révolution. Alors écrire un livre, pensez donc !

Cette farce invite aussi à la réflexion et à sortir du solipsisme royal. Car, à la fin : lire est-ce une démarche égoïste ou une inclinaison altruiste ?

Alan Bennett, La Reine des lectrices, coll. "& d’ailleurs", traduit de l’anglais par Pierre Ménard, Denoël, janvier 2009, 174 p. – 12,00 €