"Le Garçon du dernier Rang"

"Le Garçon du dernier Rang"

Dramaturge espagnol, né en 1965, Juan Mayorga est l’auteur d’une trentaine de pièces. Explorant dans Le Garçon du dernier Rang (El chico de la última fila) la relation complexe entre un élève et un professeur — tous deux fous de littérature —, il offre une œuvre savoureuse et étrange, efficacement mise en scène par Jorge Lavelli.

La pièce , Le Garçon du dernier rang, laisse paraître les traits spécifiques ou emblématiques de l’écriture de Mayorga », nous avertit d’emblée Jorge Lavelli. Le personnage principal de la pièce de l’auteur espagnol s’avère un adolescent plutôt borderline comme l’exprime le dramaturge :

En Argentine, depuis la création de la pièce, on parle dans le milieu de la psychiatrie du syndrome du "garçon du dernier rang" pour désigner un type d’adolescent issu d’une famille disloquée, agressif, manipulateur mais doué, qui est à la recherche d’un père et d’une mère.

Mais il s’agit d’un adolescent plutôt sérieux, paradoxalement élève modèle, bien que se réfugiant au dernier rang de la classe. En outre, il a une drôle de particularité : ce surdoué partage certains codes esthétiques de son professeur. D’ailleurs la pièce démarre comme une blague de potache : le professeur (Germain), fasciné par le talent littéraire d’un de ses élèves (Claude) l’encourage dans une rédaction-feuilleton sans fin.

Le gratte-papier y consigne tout ce qu’il entend et voit, développant — selon ses humeurs — une prose réaliste, naturaliste ou même lyrique. Objet de fascination et de jalousie — puis plus tard de répulsion, Claude suscite compliments et sarcasmes de la part de ce professeur à l’humeur atrabilaire.

De cette fable réaliste, Lavelli, grand admirateur de Mayorga, qu’il considère comme l’un des auteurs majeurs de ce début du siècle en Espagne — il avait mis en scène en 2007 Chemin du Ciel (Himmelweg) de Mayorga, Théâtre de la Tempête, 2007 — nous offre une mise en scène pimpante, aux contours serpentins, se glissant subtilement dans cette histoire à la cruauté risible.

Les questionnements sur l’éducation et les rapports hiérarchiques entre élèves et professeurs sont habilement suggérés, tout en restant en veilleuse. Avec un art jubilatoire, l’auteur du Garçon du dernier Rang, docteur en philosophie, démonte les mécanismes psychologiques de ses personnages, les croquant à belles dents.

Ainsi, Germain nous apparaît comme l’image parfaite du fou subjectif — ici un fou de littérature, cynique et désabusé, ne jurant que par Tolstoï et Dostoïevski. Un antihéros, qui s’énerve vite, interrogeant sans cesse Claude, le monstrueux surdoué, qu’il traite tantôt comme un larbin, tantôt comme la septième merveille du monde.

Ne m’appelle pas maestro, gueule Germain à son élève de façon récurrente, semblant à la fois réjoui et troublé par la soif culturelle — envahissante — de ce clone de plus en plus arrogant. Quant à Jeanne (femme de Germain), elle offre un truculent personnage de folledingue, un brin harceleuse, s’agitant tel un Minotaure enfermé dans une labyrinthique galerie d’art. De ce dernier point névralgique, le couple refait le quotidien, dissertant sans fin sur les rapports existant entre art, vie et littérature.

La famille de Rapha — un camarade d’école à qui il enseigne le mystère ésotérique des mathématiques — offre un cadre stratégique à l’inspiration de ses rédactions. Le terreau de ses observations/obsessions/investigations littéraires s’enracine dans des éléments aussi banals qu’une paire de chaussures, une tablette d’Efferalgan ou des feuilles jaunies par l’automne (!).

Surfant habilement sur l’espace et le temps scéniques, Lavelli plante cet adolescent ingénu et un rien manipulateur — joué avec beaucoup de talent par Pierre-Alain Chapuis — dans cette belle villa imaginaire au parc immense. Claude, tel un vampire tranquille, s’y glisse, se mêlant au quotidien des parents de son camarade — un cadre surmené, empêtré dans des relations d’affaires et une bourgeoise oisive, exhibant à Claude, fasciné, ses tableaux de Paul Klee.

Mais peut-être, la description minutieuse de l’univers des Rapha — immortalisée par les écrits de Claude — n’est-elle qu’un leurre… Le nerf de la guerre — psychologique — ne réside-t-il pas avant tout dans une confrontation inévitable Germain/Claude ? L’adolescent capricieux se cabre, menaçant l’univers intellectuel de Gemain, soumettant maintenant ce dernier à ses caprices d’enfant gâté.

Sortant du rôle — ou plutôt du rédactionnel — qui lui était imparti , il passe peu après ses rencontres avec Esther et Jeanne du rôle d’observateur à celui de séducteur. D’une certaine façon, la pièce de Mayorga s’avère une histoire désopilante et cruelle d’arroseur arrosé, dans laquelle un jeune homme dominé sur le plan psychologique passe au statut de dominant.

Le Garçon du dernier rang est une pièce grinçante et drôle — à la construction narrative des plus originales —, pleine d’une malice qui sent le soufre.

Durée : 2 h

Le Garçon du dernier Rang de Juan Mayorga,
conception et mise en scène de Jorge Lavelli,
au Théâtre de la Tempête – Cartoucherie – Route du Champ-de-manœuvre 75012 Paris,
Représentations du 3 mars au 12 avril 2009,
mardi, mercredi, vendredi, samedi 20 h 30
jeudi 19h30, dimanche 16h.

À signaler : entretien avec Jorge Lavelli dans La Terrasse n° 166 de mars 2009.