DES NOUVELLES DE LA MAISON BLEUE…

 DES NOUVELLES DE LA MAISON BLEUE…

Née à Batavia en 1918, Hella S. Haasse est une auteure prolifique (romans, essais, pièces de théâtre). Elle est - à juste titre - considérée comme une des figures majeures des lettres néerlandaises. Avec « Des nouvelles de la maison bleue » (1986) [Berichten Van Het Blauwe Huis], édité chez Actes Sud, la romancière nous offre une oeuvre surprenante , aux contours philosophiques.

La littérature de Hella S. Haasse, d’une étonnante modernité, surfe agréablement entre réalisme et fiction , semblant glisser constamment entre mouvement et arrêt sur image.
L’on pourrait situer l’oeuvre romanesque de Haasse quelque part entre Moravia et Proust : le premier, pour une prédisposition au cosmopolitisme et l’attachement à des thèmes universels – personnages de tous les milieux décrits sous les angles individuel et social - ; le second, pour projeter sa Comédie humaine dans un temps sans cesse reconstruit, à la fois source de plaisir et de tristesse.

A priori, l’histoire du roman « Des nouvelles de la maison bleue » semble des plus neutres : après avoir vécu près d’un demi-siècle à l’étranger, deux sœurs retournent passer un été dans leur maison natale, aux abords d’Amsterdam, avant de la vendre.
La romancière, au style élégant et serpentin, nous plonge en une court roman (183 pages) dans un temps mobile (celui des retrouvailles des deux sœurs) et dans un espace beaucoup plus flottant (celui - évoqué par bribes - des vies des sœurs Lunius avant leurs retrouvailles).

Haasse nous fait ainsi le menu, sous la forme de plaisantes digressions narratives, des vies parallèles des sœurs Lunius, présentées comme aussi différentes que le jour et la nuit : l’une (Félicia), plutôt tranquille, ayant vécu dans l’ombre des ambassades de son mari ; l’autre (Nina), plutôt instable, ayant suivi la vie de bohème d’un guitariste sud-américain. En une très habile progression, Haasse fait rentrer le lecteur dans ces retrouvailles problématiques dans lesquelles l’argent, la politique, les sentiments, les conceptions sur l’éducation des enfants et les anciennes petites jalousies de l’enfance viennent quelque peu perturber le climat serein de la Maison bleue.

Cette Maison bleue où gravitent tous les personnages – principaux et secondaires – de « Nouvelles de la maison bleue » semble à la fois promesse de bonheur :
« Plus elle s’éloignait de son enfance, plus le village de Hollande était devenu pour Nina un lieu magique, avec pour cœur la Maison bleue. » (p. 28)
Et de souffrance :
« […] On ne peut jamais retrouver un lieu d’autrefois, ou revivre un état antérieur. Il y a eu un jour un état de bonheur parfait qu’au fil du temps on ne cesse de perdre et d’oublier. Pourtant, on persiste à croire qu’il est enfoui quelque part dans le passé et qu’il peut être retrouvé. » (p. 29).

Dans un autre roman beaucoup plus ancien, « La Source cachée » (1950), Haasse évoquait l’étrange communion d’un homme et d’une maison, qu’il s’apprêtait à vendre.
Parfois « Des nouvelles de la maison bleue » apparaît comme une variante de « La Source cachée » :
« Son jardin et le toit bleu qu’elle apercevait de tous les coins du jardin avaient pour elle une signification symbolique : une force magique y était cachée qu’elle ne voulait pas définir avec des mots, de peur de la briser. » (p. 92).

Haasse s’amuse visiblement dans « Des nouvelles de la maison bleue » à introduire des personnages discrets mais percutants (Nora Munt, Mme Bloemcamp, Wanda Meening) offrant un nouvel éclairage sur les sœurs Lunius. Généralement, les personnages de Haasse sont relativement complexes, et l’auteure – comme Mishima et Hesse – leur accorde volontiers plusieurs vies. Enfin, les réflexions ponctuelles d’un mystérieux « collectif d’observateurs », apparemment bouleversé par la venue des deux sœurs », donnent au roman entier un léger et savoureux parfum de Big Brother batave.

DES NOUVELLES DE LA MAISON BLEUE, de Hella S. Haasse, éditions Actes Sud, collection « Babel », 183 pages

Roman traduit du néerlandais par Annie Kroon