GAZA...SUR LES PAS DE CHATILA !

GAZA...SUR LES PAS DE CHATILA !

A Gaza, alors qu’un cessez-le feu a été décrété, les forces israéliennes maintiennent leurs troupes dans le territoire palestinien pour une durée indéterminée. Pendant ce temps, la population gazaouie continue à vivre une situation préoccupante sur le plan humain, économique et social. Ce décor où se côtoient la vie, la mort, la désolation, l’extrême dénuement, la marginalisation voire l’exclusion vient inévitablement rappeler les conditions de vie des réfugié(e)s palestinien(ne)s vivant dans le camp de Chatila à Beyrouth. Retour sur un voyage au cœur de ce lieu en dehors de tout entendement humain.

Chatila. Un lieu où m’avaient conduit mes pas en septembre 2006. Un voyage de trois jours au cœur d’une réalité aux couleurs sombres et aux senteurs d’un exil qui ne finit pas de s’éterniser au point de prendre l’allure d’un mythe.

En arrivant dans ce lieu, les propos de Jalel El Gharbi envahissent mon esprit : A peine arrivé dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à la périphérie de Beyrouth — écrit-il — je ressens le besoin d’une langue autre. Il me faut une syntaxe torturée, des phrases mutilées, une rhétorique et un lexique ourdis de silence, de colère et de colère silencieuse.
Oui. A Chatila, le besoin d’un autre langage, d’autres mots, d’un autre verbe, d’autres images afin de décrire l’inexprimable, l’indicible et l’incommunicable s’impose comme une évidence.

Le premier contact avec ce lieu qui prend l’allure d’un univers clos chargé de détritus fait l’effet d’un électrochoc. Les ruelles étroites et ombragées. Les habitations construites en verticale. Les murs chargés de dessins et d’écritures racontant l’histoire douloureuse de ce lieu sans âge et hors du temps. Les préoccupations sociales et humaines des habitants de ce camp donnent au visiteur non averti un sentiment de malaise et de profond désespoir. Le dénuement et l’aridité de l’atmosphère secouent et prennent à la gorge. Architecture de l’urgence et de l’extrême. Misère. Promiscuité. Enfermement. Marginalisation. Etouffement. Un flot de questions exprimant l’incompréhension, l’indignation et la révolte se fait de plus en plus imposant :

Pourquoi un tel traitement ? Pourquoi ce mépris et cette indifférence ? Quel sera l’avenir sur le plan humain, social et urbain de cette population doublement voire triplement discriminée ? Comment peut-on les laisser vivre dans la pauvreté la plus extrême ? La précarité ? L’isolement ? Pourquoi sont-ils interdits d’exercer certaines professions au Liban ? Pourquoi cette double, triple et énième exclusion ? Oui. Pourquoi ? . Autant de questions qui resteront sans réponse.

Malgré la misère et le permanent sentiment de non appartenance et de marginalisation, les habitants de Chatila me réserve un accueil chaleureux. Des hommes, des femmes, des enfants avenants, souriants, attentionnés, disponibles. Une disponibilité étonnante pour parler de leurs conditions de vie, de leur misère, de leur statut de réfugié(e)s qu’ils portent comme un stigmate, de leur fatigue de cette situation où la dévalorisation, l’exclusion et la non-reconnaissance sont leur lot quotidien. De leur attachement fusionnel à la Palestine, cette mère patrie tant désirée ! Tant fantasmée ! Ce territoire à la fois disparu et sauvé, installé dans le corps de ses enfants, lieu où naît et se forme le sentiment du retour (Elias Sanbar). De leur puissante et inébranlable volonté de préserver un passé par la mémoire transmise grâce à la configuration des camps organisés selon la cartographie physique et humaine des régions d’origine, avec leurs rapports intercommunautaires (Elias Sanbar). De leur impressionnante détermination de transmettre la mémoire de la terre à des générations d’enfants, nés au loin - et qui - apprennent dans leurs moindres détails les sentiers, les bâtisses, les champs, les arbres …de leur terre interdite (Elias Sanbar).

Les trois jours de visite au camp de Chatila touchent à leur fin. Malgré l’attachement à ces femmes, ces hommes et ces enfants, il me faut déjà quitter ce lieu où tout s’entassent : êtres humains. Objets. Rêves. Souvenirs. Images fabriquées, imaginées, sans cesse remodelées. Tant dis que je m’apprête à m’éloigner de cet espace qui abrite des êtres qui portent en eux les stigmates de la tragédie collective de tout un peuple qui en 1948, a été chassé de sa terre natale, je prends conscience que jamais je ne parviendrai à oublier ces visages ô combien attachants ! Leurs regards. Leurs sourires. Leur tristesse. Leur fatigue de l’invisibilité et de l‘exclusion marqueront à jamais ma mémoire et poursuivront mon périple existentiel.
Sur le chemin qui me mène vers l’aéroport, un groupe de Palestiniens m’accompagne. Au moment du départ, Wassim et Mahmoud me lancent en pleine figure « tu vas partir et tu vas nous oublier ! ». Je souris à peine tentant tant bien que mal de cacher les larmes qui s’apprêtent à inonder mes grands yeux tristes.

Peur de sombrer dans les méandres de l’oubli. Hantés par la peur de disparaître de la mémoire humaine. Peur de porter éternellement ce « voile » qui les maintient dans un statut de « non-personnes », sujets à la stigmatisation, à la non reconnaissance, à la dévalorisation. Telles sont les peurs quotidiennes et les obsessions lancinantes de ces réfugié( e)s palestinien( ne)s.

Absent ? Invisible ? Oublié, ce peuple de passage devenu des exclus du temps ? Certainement pas. Car de par le monde, de plus en plus de volontés animées par des principes humanistes, en l’occurrence la liberté, l’égalité, la solidarité portent aussi loin et aussi haut que possible la cause du peuple palestinien et la revendication du droit au retour en Palestine.