Lorsque les murs d’Alger parlent

Lorsque les murs d'Alger parlent

Considéré comme un simple gribouillis par les uns, élevé au rang de l’Art par d’autres, le tag est un phénomène qui suscite toujours un vif débat dans plusieurs pays. Expression qui répond à un besoin existentialiste, acte de vandalismes des édifices publics, entre les tenants de ces deux visions divergentes sur la pratique du tag, la polémique n’a jamais cessé d’enfler.

Cependant, depuis sa naissance dans les années 60 aux USA, le tag a réussi à se faire des adeptes dans le monde entier notamment parmi les jeunes. Aujourd’hui, qu’en est-t-il de cette pratique en Algérie ? Les jeunes algériens ont-ils été réellement séduits par le graffiti et le tag ? Une enquête menée par une sociologue de l’université d’Alger répond à ces deux questions.

Ainsi tout porte à croire que dans notre pays, depuis quelques années, les jeunes se passionnent pour la pratique du tag et du graffiti qui gagne une grande partie des rues de la Capitale. Selon une équipe de sociologues de l’université d’Alger, les tags et les graffitis ont acquis une visibilité en particulier depuis les manifestations d’octobre 1988. Cette manifestation populaire a, en effet, donné naissance à un mouvement de contestation mené particulièrement par les jeunes. Ces derniers ont trouvé dans les inscriptions sur les murs un moyen incontournable pour exprimer leur ras-le-bol. Ainsi, durant les années 90, des adolescents de tous les quartiers d’Alger en ont fait une pratique quotidienne. Un espace de liberté, soulignent plusieurs sociologues, s’ouvrait, de cette manière, à eux car il demeurait sans contrôle et sans lois.

Cependant, si elle s’est répandue sur tous les murs de la capitale, la pratique du Tag est surtout importante à El Biar, Bab El Oued, Bouzaréah, El Harrach, Kouba, et dans d’autres quartiers populaires. Pour Karima Megtef, sociologue à l’université d’Alger et auteure d’une étude sur « Kitabet elhouyout », « Tag : les murs d’Alger parlent », la pratique du Tag a atteint son point culminant dans la capitale entre 1999 et 2000. « A présent, aucun quartier n’ignore les tags et les graffitis », précise notre interlocutrice qui poursuit plus loin : « on retrouve à travers les tags de nos jeunes, des passages de chanson, des signatures et des gestes d’affirmations. Le tag du jeune algérois s’accompagne aussi de graff (dessein à forme graphique ample qui incarne un marquage propre aux adolescents tagueurs). Par ailleurs, ces inscriptions murales sont de moins en moins sauvages même si elles restent insolentes et semblent déstructurées ».

La marque d’identité d’une jeunesse HIP-HOP

D’autre part, les tags et les graffitis qui ornent désormais plusieurs quartiers d’Alger seraient, explique encore Karima Megtef, la marque d’identité d’une jeunesse HIP-HOP qui parcoure la capitale en la couvrant par une nouvelle forme d’expression. En vérité, durant les années 90, le HIP-HOP, ce mouvement culturel Nord-américain qui se manifeste par des formes artistiques variées et un style vestimentaire spécifique, a conquis une grande partie de nos jeunes notamment à travers le rap, le smurf et le tag.

Ainsi, avec les tags, les jeunes algérois transforment les murs de leurs quartiers en un espace ou tout est possible. Ces jeunes dévoilent à travers ses inscriptions murales, plus au moins structurées, ce qu’ils ont sur le cœur. Ils insultent, ils revendiquent, ils s’opposent, bref, ils mettent sur le mur une colère et une rage réprimées dans les conduites quotidiennes.

A la fois une écriture de la tristesse et des rêves, le tag peut être perçu comme étant une manière pour le jeune algérien de relater sa vie, de raconter sa déception et ses souffrances. Le mur permet en réalité à ces jeunes d’exprimer ce que l’on sait, ce que l’on croit et ce que l’on veut faire connaître. « Grâce aux tags et aux graffitis, les jeunes se sont appropriés de la Zenka pour en faire un lieu de l’affirmation de soi. Les supports de cette pratique sont des murs, des cages d’escaliers de bâtiments, des passerelles, des rebords, des bordures de routes ou autoroutes, panneaux de signalisation, des stades et des lycées. On voit bien que pour nos jeunes tagueurs et graffiteurs, l’espace urbain devient un espace de conquête et d’affirmation de soi », décrète à ce sujet Mme Megtef.

Sur un autre plan, il est à signaler que le tag algérien se différencie des autres tags occidentaux par sa valeur sociale. En fait, force est de constater que le tag à Alger n’est pas une forme d’expression d’une culture de marginalisation ou de violence sociale. Il s’agit d’avantage d’un fait de culture d’une génération avec son langage spécifique et ses aspirations. La police n’intervient pas sévèrement et les murs ne sont pas aussitôt recouverts de peinture blanche. Il n’y a pas donc ce blanc qui représente cette négation de la parole des tagueurs.

Les slogans du mal être

Autre particularité à signaler, la langue utilisée par nos tagueurs est un mélange d’Anglais, de français, d’arabe et de dialectal local. Des tags et des graffitis de nos jeunes, il en ressort également un lexique qui constitue un code propre à ces jeunes. Il apparaît à la lecture de ces graffitis avec des termes comme : Papicha (jeune beauté), Hnouche (police), Chriki (ami), Bagara (parvenu sans culture), El Heda (fuite, émigration) et bien d’autres encore. Ce code langagier, analysent les observateurs de ce phénomène, est une distinction par rapport aux autres catégories sociales dans la ville. Le Tag d’Alger est ainsi une appropriation des murs qui passe par des jeux de langues. Quant aux thèmes des tags algériens, on peut relever qu’ils couvrent aussi bien le sport que la politique. Il est vrai aussi que les contenus des tags varient aussi selon le sexe, l’appartenance géographique, le groupe de jeunes et les motivations. Dans certains quartiers populaires tels que Soustara, Saint Eugène ou Bab El-Oued, une forte appartenance communautaire qui passe par les clubs de Foot est exprimée à travers les tags. Les « Chenaoua », les joueurs et supporters du Mouloudia d’Alger, l’USMA ou le CRB, sont comme un leitmotiv qui revient à plusieurs reprises dans les graffitis des murs d’Alger. C’est ce qu’il a amené les sociologues à considérer le sport comme une référence à une appartenance locale positivement définie par nos jeunes.

Toutefois, les tags demeurent largement ancrés dans les problèmes sociaux qui frappent de plein fouet notre jeunesse. « Zawali ou fhel », « Elguelil y mout fellil », « atouna visa », « Bled chkoupi » sont à ce titre des slogans qui inspirent beaucoup nos tagueurs. Or, depuis le tremblement de terre de 2003, la formule de « menkoubin » hante également les tags de nos jeunes. En effet, « Nahnou menkoubin » (nous sommes des sinistrés) sonne souvent comme une proclamation qui résume tout le mal être des jeunes tagueurs. Par ailleurs, on peut souligner que ces tagueurs se revendiquent, eux-mêmes, comme des sinistrés. A cet effet, on peut lire dans de nombreux tags et graffitis aux Issers : « nahnou menkoubin qabla elzilzel » (nous sommes des sinistrés bien avant le tremblement de terre). « Elhoukouma madratelna oualou » (l’Etat n’a rien fait pour nous), lit-on ailleurs.

Le mal être s’exprime aussi dans des slogans qui reprennent tout à la fois : sport, politique, chômage, amour et autres. Mais souvent, c’est le désir de partir qui fait figure de « planche de salut » pour nous jeunes tagueurs. A ce propos, ce n’est pas les graffitis qui manquent. Loin s’en faut. « Visa lenglise » (Visa pour l’Angleterre), « tahya elharga » (vive l’émigration clandestine) ou bien « roma wala ntouma », « chadjra fi lenglise oula abed fi eldzair » (plutôt un arbre en Angleterre qu’un être humain en Algérie), sont, enfin, autant de cris de détresse d’une jeunesse qui a décidé de s’exprimer et dire ses maux avec ses mots à elle sur ces murs qui la séparent de l’espoir d’un avenir meilleur.

Semmar Abderrahmane

Confessions de tagueurs :

« Je tague, donc je suis »

Dans leur majorité, les tagueurs algériens accordent rarement une valeur artistique à leurs tags. Appartenant à toutes les couches sociales, pauvres ou aisées, l’âge de ces tagueurs, interrogés par des étudiants de sociologie de l’université d’Alger, varie entre 15 et 32 ans. Ils sont chômeurs, étudiants, lycéens ou travailleurs occasionnels, la majorité écrasante de ces tagueurs sont des garçons même si quelques filles se sont faites quand même remarquées. Aussi, la plupart de ces jeunes partagent les mêmes codes vestimentaires à travers le style HIP-HOP : des tennis, Puma training, casquette, Bob, béret style Che Guevara, des tenues très larges de taille XXL…etc. Leur matériel est constitué de bombes aérosol et de bombes colorantes. Les couleurs les plus souvent rencontrées dans leurs desseins et inscriptions sont le noir et le rouge. Ces deux couleurs peuvent exprimer, au premier degré, un rapport à leurs conditions de vie. Le noir comme métaphore de la mal vie, claustrophobie, l’angoisse et la misère. Le rouge comme symbole du sang, de la passion et de l’amour.

A travers les propos de ces jeunes tagueurs, l’on comprend que leur volonté d’occuper les murs traduit beaucoup plus une prise de parole revendicative, un discours sur la société et sa place dans le pays, qu’une vocation artistique. « J’ai besoin de le faire car cela m’amuse. Et puis, vous avez tout l’espace, toute cette infinité, rien que pour vous. En taguant, je suis le maître absolue de cette grande et géante page de mur », nous renseigne à ce sujet un jeune tagueur de Ben Aknoun.

En revanche, pour Dada13, pseudonyme d’une jeune tagueuse d’Alger centre, le tag est d’abord une liberté et une façon d’être. « En taguant, je suis moi-même même si je peux être le reflet de tous les jeunes de mon âge. J’ai acquis aussi grâce au Tag une grande liberté. Il me faut juste une bombe aérosol et un mur pour exprimer ce que je veux », révèle-t-elle.

De leur côté, les Black Dance, un groupe de taggueurs et de rap originaire de Staouéli, ils considèrent le tag comme une identité à part entière. « Le tag nous permet de se faire reconnaître et de sortir de l’anonymat sociale qui nous asphyxie nous les jeunes algériens. On croit que le tag, comme le rap, nous aide à nous libérer de cette amertume et de cette gêne qui nous paralyse nous les jeunes. Avec le tag, on a même réussi à créer un certain lien social avec les autres jeunes de notre âge », relève-t-on dans leur témoignage.

Pour sa part, reine de Saba, jeune tagueuse originaire de Foka marine, estime que le tag lui permet de lutter contre cette morale sociale « archaïque » qui inflige tant de « violences » aux femmes algériennes. « Pour moi, le tag est un choix qui me permet de défier cette société machiste. Ainsi, en taguant j’impose ma présence féminine dans ce monde virile. Avant même d’être un art, le tag est pour moi un outil d’expression grâce auquel nos couleurs et notre chaleur humaine prennent forme », confie-t-elle lors de l’enquête réalisée par la sociologue Karima Megtef. Soulignons enfin que pour cette dernière, les tags et les graffitis des jeunes algériens remettent largement en cause, de par leurs messages sémantiques, l’ordre symbolique qui régit le fonctionnement même de notre société.

Abderrahmane Semmar

Du paléolithique à aujourd’hui…

D’après plusieurs sources bibliographiques, le graffiti existe depuis le paléolithique puisque les hommes gravaient ou dessinaient sur les parois des grottes.

Graffiti est un mot italien signifiant "dessins gravés". Il s’agit d’inscriptions ou dessins gravés ou dessinés sur les murs, les palissades ou les véhicules de transport public.

Il faut savoir que le graffiti "moderne" est né dans les années 60 à Philadelphie en Pennsylvanie aux USA. Après Philadelphie, c’est la ville de New York qui entra dans la danse des aérosols.

Le New York Times publia un article en 1973 sur un graffiteur de Manhattan nommé Taki 183, un jeune coursier qui laissait son surnom TAKI 183 partout où il devait livrer des documents. Peu à peu, les médias commencèrent à s’intéresser à lui et la jeunesse proche du milieu rap en fit vite une idole.

A la fin des années 70 et au début 80 les graffitis devinrent un phénomène de société, New York et les autres grandes villes américaines furent envahies. Les jeunes protagonistes du mouvement formèrent des Crews (collectifs, bandes) et se donnèrent des noms. Le TAG était un des premiers Crew qui signifie Tuff Artist Group. On pense que l’utilisation du mot Tag tire ses origines du nom de ce collectif. Il y a eu une explosion de reconnaissance pour le graffiti, avec le documentaire "Style Wars", le film "Wild Style" et l’organisation de la première exposition sur la culture Hip Hop au Common Ground à New York où étaient invités des graffiteurs.

Dix ans plus tard, le phénomène se propage en Europe. En France, c’est l’émission de Sidney sur TF1 ; HIP HOP, dans les années 80, qui contribuera à l’hégémonie du mouvement. La culture du Tag et du Graf se diffusera en France, par le biais des rames du métro Parisien, des wagons, des trains, des murs, des rues et des mégalopoles recouvertes de graffitis. Quand le mouvement Hip Hop, qui n’était pour certains qu’un effet de mode, commença à perdre du terrain, les graffiteurs continueront à le faire vivre.

En Algérie, les inscriptions sur les murs ne date pas seulement des années 80. Sous l’oppression française, cette pratique a été particulièrement visible durant les années 50 notamment au cours de la bataille d’Alger. Les militants révolutionnaires utilisaient des graffitis comme moyen d’information et de sensibilisation dans les grandes villes du pays. On y pouvait lire : « Tahya ElDjezair Houra… ». Aussi, des traces de réponses des forces en faveur de la colonisation sont longtemps restées présentes comme « OAS vaincra ».

Signalons par ailleurs que cette pratique a été reprise politiquement par les militants islamistes au début des années 90. Néanmoins, c’est surtout la jeunesse qui a fait du tag et du graffiti une forme d’expression à part entière.