Le MAGue : Faites vous partie des gens qui croient que des dons de voyance existent réellement pour avoir eu l’idée d’une enquête sur ce phénomène ?

Yves Lignon : Le verbe croire n’a pas de sens scientifique. Je pense que la voyance est une faculté de l’être humain parce que depuis un siècle et demi ont été réalisées des observations parfaitement rigoureuses et plus encore des expériences de laboratoire stricto sensu qui ont mis cette faculté en évidence. Il existe aujourd’hui dans pratiquement tous les grands pays industriels des laboratoires de parapsychologie, souvent rattachés à des universités. La France est une exception parce que pour des raisons d’ordre philosophique, la communauté scientifique institutionnelle est bloquée sur ces questions. On se contente de hausser les épaules en s’appuyant sur des idées archi-fausses : quand çà marche c’est forcément truqué, chaque fois qu’on a voulu faire une expérience rigoureuse avec un voyant elle a tourné à la déconfiture de celui-ci, dont on ne cherche même pas à vérifier le bien-fondé ! Qui sait, dans notre pays, que dans une dizaine d’universités britanniques on peut mener des recherches sur ces questions ? Qu’en Allemagne, 40 chercheurs travaillent à plein temps dans un Institut de Parapsychologie ? Donc, je ne crois pas que la voyance existe. Je pense que l’existence de la voyance a été scientifiquement établie.

Le MAGue : Pour un scientifique et un universitaire, la voyance représente-t-elle un quelconque intérêt pour la science ?

Yves Lignon : Tout comme la télépathie ou les rêves prémonitoires, la voyance est l’un des aspects de la perception extra-sensorielle. On réunit sous ce terme tout ce qui a trait à l’acquisition d’information sans qu’interviennent les sens connus. Si on arrive un jour — probablement lointain étant donné l’état actuel des connaissances — à découvrir et contrôler les mécanismes de la perception extra-sensorielle, les rapports sociaux seront bouleversés. Dans une expérience réalisée avec Yolande du Châtelet, une voyante que j’ai étudiée pendant plusieurs années, un monsieur tiré au sort sur une liste de volontaires s’est entendu annoncer qu’il effectuait certaines affaires financières en le cachant à son épouse et ce malheureux (!) n’a pu que me le confirmer…

Le MAGue : Mais ces expériences assez spectaculaires ne font-elles pas dans une certaine mesure appel à la suggestion ?

Yves Lignon : L’existence de la perception extra-sensorielle conduit à s’interroger sur la nature de l’être humain, à se demander si celui-ci n’est pas autre chose qu’une machine biologique ultra perfectionnée. L’enjeu est énorme. Et ne parlons pas de l’aspect philosophique. Quand la voyance permet d’annoncer à l’avance la venue d’un événement imprévisible, la question du tout est -il écrit ? se pose avec acuité. Je pense au cas célèbre de cet étudiant en médecine qui le 27 juin 1894 a écrit sur son cahier : Casimir Périer élu Président de la République avec 451 voix, alors que pas un analyste politique n’envisageait cette possibilité… à ce français fait prisonnier le 24 aout 1914 et qui a décrit en détail aux soldats allemands ce que serait l’hitlérisme ou encore à M^me du Châtelet m’annonçant l’hospitalisation brutale et imprévue d’une personnalité célèbre.

Le MAGue : Comment avez-vous fait le plan de votre enquête et quelle en sera la méthodologie ?

Yves Lignon : Nous sommes partis de l’idée suivante : il y a en France environ 100.000 personnes qui pratiquent la voyance. La majorité sont des charlatans bien décidés à exploiter la détresse humaine. Un tout petit nombre cherche à entrer en relation avec les universitaires de mon acabit (j’en compte moins d’une vingtaine en 34 ans). Mais il existe certainement des voyants authentiques, qui pour diverses raisons parfaitement acceptables (ils ignorent l’existence de recherches ou plus simplement, et en toute honnêteté, jugent inutile l’étude scientifique de leurs capacités), restent dans leur coin. Ce sont ces voyants que nous espérons découvrir en analysant les témoignages de celles et ceux qui auraient pu les consulter.

Le MAGue : Avez-vous déjà une idée de ce que ce travail peut démontrer, ou dans le cas contraire, quelles les pistes allez-vous privilégier ?

Yves Lignon : Si nous trouvons un nombre suffisants de voyants, nous tenterons de découvrir la présence de facteurs psycho-sociologiques communs. À défaut de permettre la connaissance des mécanismes de la voyance, nous trouverons peut-être certains paramètres caractéristiques, tels que des épisodes de l’histoire personnelle ou familiale.

Le MAGue : Pratiquez-vous la voyance vous-même ou faites-vous appel à un medium pour votre usage propre ?

Yves Lignon : Non, non et non ! En matière scientifique, on ne peut être juge et partie. La rigueur impose de rester extérieur à ce que l’on étudie. Je n’ai donc jamais cherché à tester ma capacité de voyance ou à consulter moi-même.

 

 

Tout le monde aura soin d’avoir ses prévisions
Pour la nouvelle année avec l’avis d’un mage !
Chacun voudrait savoir où va sa propre image,
Au seuil d’un futur proche avec des précisions.

Les gens ne vont pas tant se nourrir d’illusions
Quand ils font diversion au spectre du chômage
En embrassant la vie en rêve, et c’est dommage
De prendre autant à cœur ces lots de confusions.

Hormis l’idiot qu’ils ont convoité de trop oindre,
En chaque esprit, l’envie a vu tel espoir poindre,
Rendu débile à force et si pieux dans son cœur !

Moins d’ambition et de cachet, nous dit un livre
En visant à l’obscur, comme à l’église un chœur,
Sans éluder qu’au mieux, l’au-delà nous délivre.

 

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Photographie : Aleister Crowley (1875-1947).