Les Poèmes d’Edgar Poe traduits de Main de Maître

Les Poèmes d'Edgar Poe traduits de Main de Maître

Edgar Allan Poe est plus apprécié en France pour ses Histoires Extraordinaires que pour sa production poétique. C’est hélas le lot de tous les poètes étrangers, tellement la difficulté de transposer d’une langue à une autre à la fois le sens, et les sonorités propres à leur œuvre apparaît insurmontable. Il fallait un poète, Jean Hautepierre en l’occurrence, pour relever le défi dans une traduction des poèmes du génie de Baltimore avec une telle justesse et tant de précision. C’est au journal Le MAGue que le poète français a choisi de livrer ses impressions à propos de l’œuvre de son illustre prédécesseur américain :

Le MAGue : Quel est l’intérêt d’une traduction nouvelle des poèmes d’Edgar Poe ?

Jean Hautepierre : Je me suis moi-même posé cette question dans les premiers temps où je me consacrais à cette action, et je pense qu’on me la posera également lors du colloque sur l’influence d’Edgar Poe qui aura lieu à Nice les 22 et 23 janvier 2009, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance. En effet, ma traduction n’est pas la première et succède aux réalisations des auteurs les plus prestigieux : faut-il même le rappeler ? J’ai cependant la faiblesse de penser qu’elle n’est pas inutile, car plus qu’au strict respect de la lettre des textes (qui implique assez inévitablement une traduction en prose poétique), plus qu’à l’observance systématique de la rime ou de l’assonance (qui amène, d’une façon également peu évitable, le traducteur à s’écarter largement de la signification — ou des significations — des poèmes initiaux), j’ai essayé de m’attacher au rythme de ces textes ; j’ai voulu réaliser une traduction elle-même poétique quant au fond — au plus proche de la poésie de Poe en ce qu’elle peut signifier — et quant à la forme qui, même s’agissant de vers blancs (ce qui est souvent le cas), appelle une lecture généralement conforme aux règles de diction du vers français.

Le MAGue : Comment rester fidèle au sens et restituer en même temps la puissance d’évocation de sa poésie ?

Jean Hautepierre : Après bien des hésitations j’en suis venu à penser que, pour que l’acte de traduire ait tout simplement un sens, il convient de rendre au mieux la parole de l’auteur en restituant dans un langage autre que le sien les sens, les rythmes, les sonorités qu’il déploie ; que ce faisant, il convient de rester fidèle à celui dont l’on n’est que le serviteur tout en ne pouvant, tout en ne devant se détacher absolument de son style propre : sinon, comment se mêlerait-on d’écrire des vers qui visent à prêter au créateur leur voix sans nul doute imparfaite, mais sincère ? De façon plus profonde, j’aime à penser que le poète a été le premier traducteur, le traducteur suprême, en ce qu’il a révélé dans son langage humain un aspect particulier de la Beauté — lui donnant, par cette opération, un caractère suprahumain qui me fit un jour qualifier la poésie de langage au-dessus du langage. Puis le traducteur (au sens habituel de ce mot) réalise une seconde traduction, d’où la nécessité pour lui de garder toujours à l’esprit l’existence du texte originel, non-écrit, existant peut-être de toute éternité dans le pur univers des Idées, pour tenter de restituer, plus que les mots eux-mêmes, l’impression éprouvée par le lecteur en la langue initiale — avec tous les risques de déperdition de force et de contenu poétique qu’une telle transposition implique, que l’on adhère ou non à une vision aussi platonicienne.

Le MAGue : Traduire de la poésie vous a-t-il semblé un exercice de style ou au contraire, avez-vous fait œuvre de création poétique ?

Jean Hautepierre : Je me suis forgé la conviction, d’ailleurs à peu près universellement admise, que l’on ne peut traduire la poésie que vers sa langue maternelle ; mais, à mon sens cette fois, on ne peut espérer restituer ne fût-ce qu’une parcelle de l’œuvre originale qu’à la condition de ressentir avec son auteur quelque proximité — proximité non certes forcément par le génie, l’ampleur de l’expression ou de la vision du monde ! mais entendue, tout simplement, comme une aptitude particulière à entrer de plain-pied dans son univers, de par cette délicate alchimie suivant laquelle chacun de nous se découvre plus sensible à tel ou tel de ces magiciens qui, de loin en loin, d’âges en âges, s’en vont par les temps et les lieux. La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des PHRASES pensées par moi, a écrit Charles Baudelaire au sujet d’Edgar Allan Poe. Toute traduction poétique digne de ce nom me paraît ainsi inséparable d’une certaine création personnelle, en accord avec le génie de l’auteur traduit — cette synthèse n’étant possible parce que l’on se sent chez soi chez lui.

Le MAGue : On connaît mieux les histoires fantastiques ou policières d’Edgar Poe que ses poèmes, à votre avis pourquoi ?

Jean Hautepierre : Poèmes et histoires ont été tous deux traduits par Baudelaire et Mallarmé. Certes, pour abonder dans votre sens, le premier — chronologiquement le plus proche de Poe — a surtout mis l’accent sur les récits, le second — trente ans après — sur les poésies. Cependant, si l’on considère qu’Eurêka, dans la mesure où il a été traduit par Baudelaire, a fait partie des premiers textes de Poe mis à la disposition des lecteurs français, et que ce texte majeur — dans lequel Poe s’affirme comme un visionnaire du double point de vue scientifique et philosophique, et qui pourrait bien constituer la clef de voûte de son œuvre — n’a rencontré pratiquement aucun écho jusqu’à aujourd’hui, force est de constater que le public se tourne vers les textes les plus faciles d’accès : Poe attire davantage de lecteurs lorsqu’il fonde ou refonde le récit fantastique ou le roman policier (et ce n’est tout de même pas rien !), que lorsqu’il fait apparaître une vision nouvelle de la poésie. Cet état de fait, s’il est plus manifeste encore aujourd’hui, n’est absolument pas nouveau ; la scène du Grand-Guignol en a apporté l’illustration, comme le soulignait Léon Lemonnier dans l’entre-deux-guerres, dans son essai Edgar Poe et les poètes français.

Le MAGue : Cette nouvelle traduction des poèmes d’Edgar Poe vous a-t-elle donné envie de récidiver avec une autre œuvre ?

Jean Hautepierre : J’y ai pensé de loin en loin en découvrant l’œuvre de Clark Ashton Smith, poète fantastique américain ami de Lovecraft et totalement inconnu en France ; certains considèrent qu’il fut le plus grand poète américain du XXème siècle… Voilà l’occasion de dire de façon plus ramassée ce qui me semble motiver l’investissement personnel important que représente un projet de traduction poétique. Il faut pour cela, je l’ai indiqué précédemment, se sentir chez soi dans l’univers de l’auteur traduit ; il faut également se sentir en mesure d’apporter quelque chose de nouveau au lecteur francophone. Tel fut mon sentiment en ce qui concerne les poèmes de Poe — dût-on me juger présomptueux. Au sujet des poèmes de Smith, il est question non de sentiment mais de constatation puisque, à l’exception d’un nombre très restreint de textes, cette partie de son œuvre (qui comprend également de nombreux récits fantastiques) n’a fait l’objet d’aucune traduction française : tout ou presque reste donc à faire. D’où la proposition qui m’a été faite par Philippe Marlin, Président de l’association et des éditions de l’Œil du Sphinx, de traduire une partie significative des poèmes de Clark Ashton Smith. Cette action, que je poursuis depuis plusieurs mois, prend forme et devrait aboutir dans les mois qui viennent. Je pense me consacrer ensuite, si Dieu le veut, à mes propres créations poétiques.

 

 

À Hélène (*)

 


En ta beauté, Hélène, je les vois,


Ces barques nicéennes d’autrefois


Qui, doucement sur la mer parfumée,


Portaient le voyageur à l’âme usée


Au seuil du rivage natal.

 


J’errais toujours sur les mers sans espoir ;


Des cheveux d’hyacinthe, un air de Naïade


Et ton profil m’ont ramené chez moi,


À la gloire qui fut la Grèce


Et à la grandeur qui fut Rome.

 


Oui ! Comme une statue je te vois paraître


En ta splendide niche à la fenêtre,


Portant à la main la lampe d’agate !


Ô toi, Psyché, venue de ces régions


Qui sont la Terre-Sainte !

 

(*)Poèmes d’Edgar Allan Poe, traduits par Jean Hautepierre, broché, aux éd. PubliBook, novembre 2008, 136 pages. — 16,00 € hors promotions.