Migrations algériennes : Quel statut pour les femmes ?

Migrations algériennes : Quel statut pour les femmes ?

Les années soixante-dix marquent un tournant dans l’histoire du mouvement migratoire algérien. En effet, en septembre 1973, le gouvernement algérien officialise la suspension de l’émigration de travail. Les autorités algériennes justifient cette décision comme la réaction à la série d’attentats racistes qui ont visé des Algériens vivant en France.

De son côté, André Postel-Vinay, secrétaire d’État à l’Immigration sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (élu en mai 1974), suspend l’entrée de la main-d’œuvre étrangère en France. Cette décision fut assortie de la promulgation du décret du 29 avril 1976 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des membres des familles des ressortissants étrangers qui autorisait les hommes installés en France de faire venir leurs épouses et enfants. Selon G. P. Tapinos, le regroupement familial traduit à l’origine une double préoccupation :

Du point de vue des migrants, l’affirmation du droit pour tout travailleur expatrié d’être rejoint par sa famille. Du point de vue des pays récepteurs — la France — le souci de favoriser l’établissement définitif du migrant en vue de son intégration à la société d’accueil. La suspension de l’entrée de la main d’œuvre étrangère en France est un facteur qui a certes mis un terme à l’émigration algérienne de travail mais non de l’émigration algérienne vers la France puisque l’émigration des familles algériennes va apparaître au grand jour.

(Suite de l’article de Nadia Agsous sur Le Phénomène Migratoire Algérien)

Ainsi, au venir pour travailler s’est substitué le rester en France pour y vivre. De ce fait, l’émigration algérienne cesse officiellement d’être un émigration de travail, masculin et adulte pour devenir une migration de peuplement. Et selon A. Sayad, il aura fallu presque un demi siècle d’une émigration ininterrompue d’hommes seuls pour que cette "émigration de travail" se prolonge par l’émigration familiale.

L’arrêt de la migration de travail et la mobilité des épouses accompagnées de leurs enfants mineurs, encouragée par le regroupement familial sont deux facteurs qui ont joué un rôle important dans la modification de la nature des objectifs du phénomène migratoire algérien. En effet, après avoir été majoritairement masculine et temporaire pendant un demi-siècle environ, le processus migratoire algérien se féminise prenant ainsi l’allure d’une installation durable.

Malgré la féminisation du mouvement migratoire algérien, le nombre des hommes demeure cependant plus élevé. Selon J. Simon, ce phénomène trouve son explication dans les structures sociales du pays d’origine fondées sur un modèle familial patriarcal et dans le fait que l’immigration a été longtemps perçue comme un phénomène temporaire. L’homme partait seul, pour des raisons économiques afin de subvenir à ses besoins et à ceux restés en Algérie.

Dans le pays d’accueil, la féminisation du champ migratoire ne semble pas avoir modifié les manières de faire et de penser des autorités françaises. L’homme est et demeure l’agent central puisque les femmes dont la présence sur le territoire français trouve son origine dans la migration familiale font partie d’un groupe social qui n’est identifié que par son appartenance à l’espace familial et à son rôle domestique et éducatif. Ces primo-arrivantes qui ne sont désignées qu’en termes d’épouses d’hommes immigrés n’ont pas de statut autonome se trouvant ainsi sous la dépendance économique et notamment administrative des époux puisque les textes régissant l’entrée et le séjour des ressortissants algériens attribuent à ces épouses des droits dérivés en matière de séjour.

À leur arrivée en France, ces familles avaient tendance à reproduire les modes de vie, ainsi que le modèle d’organisation et de fonctionnement familial prédominants au pays d’origine. Ils se caractérisaient essentiellement par la primauté masculine. La famille se distinguait par l’existence d’une hiérarchie des sexes et d’une spécialisation des rôles. L’époux occupe le rang de chef de famille, dont le rôle est notamment instrumental, puisqu’il travaille au sein de la sphère publique afin d’assurer l’entretien matériel des membres de sa famille. Les femmes exercent rarement une activité professionnelle. Elles sont, d’une manière générale, cantonnées dans la sphère du privé, assumant un rôle plutôt expressif, en l’occurrence des tâches maternelles, ménagères et éducatives.

Ces femmes appartenant à l’immigration ouvrière, explique J. Minces, étaient davantage retenues à la maison. Elles sortaient rarement au début de leur séjour et presque jamais seules. Et cette idée de claustration des primo-arrivantes dans la sphère du privé est davantage développée par A. Sayad qui explique que beaucoup d’épouses, surtout les plus jeunes, connaissent en France les conditions de la femme recluse, de la rurale transplantée en ville, signe d’embourgeoisement mais aussi de défense contre l’univers "étranger" de la ville.

Parmi ces femmes, un grand nombre avaient un niveau culturel faible. Beaucoup n’avaient pas eu accès à l’instruction. Elles étaient analphabètes, ne parlaient pas la langue du pays d’accueil et éprouvaient, par conséquent, des difficultés pour accéder aux codes culturels français. Loin du pays natal Loin de la famille qui fonctionnait comme un lieu où s’exerçait une solidarité féminine notamment en matière d’éducation des enfants, ces femmes qui arrivaient en France se trouvaient confrontées à un environnement qu’elles découvraient pour la plupart, par l’intermédiaire notamment des médias, d’une part. Et d’autre part, à des modes de vie et de penser qui leur étaient totalement étrangers.

Cette rupture avec l’habitus social, culturel et familial du pays de départ a précipité ces femmes dans un état de dépaysement, d’isolement, d’ennui et de nostalgie. Pourtant, au fil des ans, un grand nombre, y compris celles qui sont analphabètes, de par leur présence en terre d’immigration et leur découverte de nouveaux modes de vie, ont peu à peu transformé la représentation qu’elles avaient d’elles-mêmes et de leur propre rôle au sein de la famille. Le sociologue A. Zehraoui, explique qu’une fois familiarisées avec ce nouveau monde — ces femmes — ont accédé à une certaine autonomie dès qu’elles ont eu des enfants pour les accompagner dans leur socialisation et dès qu’elles ont acquis un maximum de connaissance de la langue française.

En effet, le suivi médical des enfants aux centres de la Protection maternelle et infantile ainsi que leur scolarisation, vont constituer un moyen pour sortir de chez elles et tisser ainsi des liens avec la société d’accueil. Le service social est l’un des lieux institutionnels qu’elles vont investir et où elles vont déployer des stratégies visant à acquérir une forme d’autonomie ainsi qu’une mise en contact avec la société d’accueil. Ces femmes qui sont à la recherche de connaissances et de reconnaissance ont identifié le service social comme un espace de socialisation comme si le passage devant l’assistante sociale était un acte qui allait les propulser sur le chemin de l’intégration dans la société françaises et les vêtir ainsi d’un nouvel habitus qui transforme ensuite leur représentation de soi et du monde environnant. Parmi les transformations qu’ont eues à connaître les familles d’origine algérienne en France, celles portant sur les rapports hommes-femmes peuvent être considérées comme les plus décisives, écrit A. Zehraoui.

La situation d’expatriation de ces femmes ainsi que leur contact avec des valeurs prônant l’individuation, la différence individuelle et la valorisation de soi semblent avoir favoriser des changements dans leur manière de concevoir leur place et rôle familial et social Progressivement mais efficacement, écrit M. Belhadj, c’est tout l’ordre familial qui est ainsi contesté jusque dans les caractéristiques essentielles au travers de la mise en place d’un modèle plus négocié et plus équilibré ainsi qu’une redéfinition des rôles entre les sexes et l’invention de nouveaux outils d’échanges et de communication.

À Suivre…