ELOGE DU CLEBARD Que d’os, que d’os… L’homme aux abois…

ELOGE DU CLEBARD Que d'os, que d'os… L'homme aux abois…

Qui peut croire encore à la modernité ? Les électeurs peut-être… Ils sont capables de tout. Mais si le monde actuel devait être résumé en un mot, un seul mot, ce ne serait certainement pas par celui de modernité. Ce serait plutôt par celui de chenil !Chenil qui, rappelons-le, vient de chenet ou chienet (à l’origine, ces ustensiles avaient, en effet, une petite tête de chien !). Le chenil, c’est là où l’on garde les chiens. Et les chiens…

Mais nous allons revenir sur ce point. Le monde dit moderne est un gigantesque chenil ! Productiviste (Quand il le peut !) et à très, très haut débit de désinformations. Tout cela, bien sûr, ne s’est pas fait en un jour. Mais une telle évolution était prévisible depuis longtemps. Après tout, des cages à lapin des années 60 au chenil, dans son acception contemporaine, il n’y avait qu’un pas qui devait être franchi un jour ou l’autre. Pas de quoi s’en étonner ! Les urbanistes en ont fait bien d’autres. L’homo prétendu sapiens également !

L’homo sapiens sapiens, justement, parlons-en. On le croyait bipéde. On nous le certifiait proche parent des primates. On avait bien tort. On était ainsi persuadé qu’il descendait du singe (et, bien avant ce dernier, du purgatorius qui a vécu à la fin du crétacé). Tout cela est indéniablement faux : si le singe monte à l’arbre, l’homme reste lui terre à terre... C’est indiscutable ! L’homme est un faux bipède. Seule son indécrottable paresse l’amène à renoncer (provisoirement ?) à faire l’apprentissage de ses quatre pattes. Mais, petit à petit, il ne s’en transforme pas moins. Au fond, il semble avoir toujours aspiré à : devenir un chien (du latin canis). Qu’on se le dise ! L’homo sapiens canis vient de naître. D’autant plus fidèle à ses nouveaux maîtres que ceux-ci, quand ils ne lui donnent pas des coups de pieds, l’abandonnent à son triste sort ! Faut-il l’écrire ? Il aime… Serait-ce une question de niche écologique ? Ce processus semble en tout cas irrémédiable.

Beaucoup l’avaient d’ailleurs déjà pressenti. Alphonse Toussenel, dès 1847, estimait ainsi que l’on devait tout au chien et que si l’Orient était « le berceau de la civilisation », c’était « parce que l’Orient est la patrie du chien » et que « Ce qui constitue toute la supériorité de l’ancien continent sur le nouveau, c’est le chien » (cité dans le Dictionnaire de la bêtise). Parole de connaisseur ! On pourrait y ajouter que ce n’est certainement pas pour rien que, depuis la plus haute antiquité, les hommes s’accusent les uns les autres d’être des « fils de chien ». L’ethnologie nous le confirme. Certaines ethnies ont d’ailleurs été très loin dans une telle voie. Les chiens y portaient en effet les noms totémiques de la tribu ! C’est ce que nous apprend Lévi-Strauss dans La pensée sauvage. Ailleurs, comme chez les aborigènes du Cap York en Australie ou chez les Indiens Ioway et Winnebago, les canidés montaient encore d’un cran dans l’échelle sociale. Ils étaient appelés « frères » ou « fils ». Mieux encore ! Les Dayak allaient jusqu’à donner le nom de « père »(ou « mère ») de tel ou tel chien à des êtres humains…

Une telle familiarité ne doit bien évidemment rien au hasard. ». Roger Pierre apporta la preuve de telles affinités dès 1954 avec son sketch Langage pour chien. Avec une étonnante prescience des inquiétantes mutations à venir, ce lucide observateur faisait déjà remarquer les étranges changements linguistiques qui affectent l’homme dès qu’il s’adresse à son chien… Changements qui poussent l’humain toujours davantage vers l’abîme…Les primates semblent par ailleurs bien trop évolués pour leur faire l’injure de les apparenter à l’espèce humaine. Il faut ainsi savoir qu’en règle générale, les primates ne sont pas assez bêtes pour se dévorer entre eux. (G. Telecki avait néanmoins signalé, en 1975, deux cas de cannibalisme chez les chimpanzés). Un tel privilège est réservé aux hommes. Leroi-Gourhan estimait ainsi, dans Les hommes de la préhistoire, les Chasseurs, que le cannibalisme préhistorique pouvait être considéré comme une preuve d’appartenance à l’humanité ! Tout à fait sérieusement, des chercheurs se sont donc demandés si l’homme, sur un plan comportemental, devait être considéré comme un primate ou comme un carnivore. Car le cannibalisme (avec d’autres caractéristiques comme la mise en réserve de nourriture, le fait de tuer plus qu’il n’est nécessaire, l’agression « gratuite » contre d’autres espèces etc.) caractérise en effet les carnivores mais pas (ou quasiment jamais) les primates…

L’homme est-il un batrachien ?

Certes d’autres hypothèses, non moins intéressantes (si l’on doit en juger par le comportement humain) avaient été précédemment émises. Jean-Pierre Brisset pensait ainsi dans La grande nouvelle que l’homme descendait de la grenouille. Cette hypothèse est séduisante mais sans doute inexacte et tout à fait insultante pour le genre batracien. Une telle erreur est cependant excusable : L’homme nage fréquemment dans les eaux les plus glauques… La piste canine reste cependant la plus vraisemblable. Ainsi, si le Dogville de Lars Von Triers relève sans doute de la plus pure fiction, Villechien, charmante petite commune située dans la Manche, entre Avranches et Flers, est elle tout ce qu’il y a de réél. Il n’y a d’ailleurs pas que la toponymie qui prouve nos nombreux liens avec l’espèce canine. La médecine n’est pas en reste ! Les héritiers d’Esculape sont depuis longtemps sensibles aux rapports évidents existant entre l’homme et le chien. Quand l’homme ne souffre pas de la maladie de chien (ou thyphus de chien), une maladie infectieuse avec de forts accès de fièvre, il peut, le malheureux, présenter tous les symptômes de la cynanche (une forme d’angine où l’on tire la langue comme un chien haletant), souffrir de spasmes cyniques ou même de cynorexie (un appétit de chien, autrement dit de la boulimie) ! Inutile donc de s’étonner qu’existe également la cynanthropie. Pour être moins connue que la lycanthropie, cette monomanie, où l’homme se croit transformé en chien, est moins rare qu’on ne pourrait le penser. Le fils du grand Condé en était lui-même atteint. A l’occasion, nous apprennent les fameuses Chroniques de l’œil-de-Bœuf de Touchard-Lafosse, il sortait la tête par les croisées restées ouvertes et aboyait ! Les mêmes Chroniques rapportent que les chiens du duc de Vendôme « n’avaient pas d’autre chenil que le lit de leur maître, où les chiennes faisaient librement leurs petits à ses côtés. Lui-même ne se contraignit en aucune manière dans cette couche commune avec sa meute : il soutenait un jour, sérieusement, à la princesse de Conti que cet usage était général et que seulement il avait en l’avouant plus de franchise que les autres. ». La princesse de Conti n’était, quant à elle, pas cynanthrope mais parfaitement sinoque. Elle entretenait de si curieux rapports avec son petit chien qu’elle le gardait dans son lit pour se protéger des éventuels galants. Elle s’amusa même un jour à le lâcher contre son mari qui la soupçonnait d’avoir un amant : « (…) il se fourre sous le lit, la princesse lâche son petit chien, qui mord le prince jusqu’au sang… où ? Je n’ose le dire… » Le Livre des Bizarres de Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière regorge d’autres anecdotes de cynanthropie ou d’identification canine. Othon 1er, roi de Bavière, ne put ainsi jamais régner, trop occupé qu’il était à se cacher dans un coin de sa chambre, pour aboyer et mordre les mollets de tous les serviteurs qui passaient à sa portée. Le comte de Villereau disputait, quant à lui, la pâtée à son chien. Enfin, d’après Restif de la Bretonne, un homme, tombé dans la misère, s’était, dans le Paris de la fin du XVIIIe siècle, presque complètement identifié à un chien ayant perdu son maître. Au point qu’il partageait tout avec ce dernier et que tous deux couchaient ensemble dans un dessous d’escalier « qui appartenait au chien ».

La psychanalyse s’est parfois intéressée à d’aussi curieuses identifications. Pour Jacques Lacan, la phobie des chiens provenait d’un refoulement suivi d’un déplacement, de la figure paternelle projetée alors sur le chien. Moins théoriquement, Pierre Sabourin eut, quant à lui, à s’occuper de fillettes qui s’identifiaient à des chiennes (sans doute dans un contexte incestueux). L’une d’elles léchait le bureau du thérapeute en poussant des petits cris de plaisir. L’autre aboyait et son père, interdit de séjour dans le centre, la guettait par la fenêtre pour pouvoir la siffler ! Elisabeth Roudinesco n’hésita pas quant à elle à écrire La psychanalyse mère et chienne. La figure du chien, ou de la chienne, y revêtait différentes facettes. Ainsi, dans Antonin Artaud Quatre lieux sur la mer, Roudinesco rappelait que le poète s’était fait expulser de chez les Dullin, parce qu’on l’avait surpris à pisser sur le tapis du salon. Il faut dire que ce dernier était régulièrement « arrosé » par les six chiens de madame Dullin qui ne sortaient presque jamais…

Elisabeth Roudinesco en concluait que les Dullin étaient « trop comédiens (elle n’osa pas écrire trop cabots) ou trop « névrosés » pour entendre ce que les mots veulent dire : être traité comme un chien par exemple ».Dans La psychanalyse mère et chienne, on pouvait lire aussi Christian Ranucci : pas de chiens pour Œdipe. Un essai plutôt mordant où l’auteur rappelait que le plus chien n’est pas toujours celui auquel on pense. En évoquant la figure de Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la république, elle rappelait que ce dernier était « un ami des chiens » et qu’à la télévision on avait « pu le voir, assis sur la pelouse de l’Elysée au milieu de ses bêtes préférées. ». A cette occasion, rappelait l’historienne de la psychanalyse, « On l’a entendu déclarer qu’il fallait punir sévèrement les bourreaux d’animaux. C’était plus de deux ans après l’exécution de Ranucci. V ; Giscard d’Estaing est un homme sensible. » .. Cynanthropie, cynomanie… L’homme, le chien, finalement quelle différence ? La religion, peut-être ?

A Berlin, il existerait ainsi deux cimetières pour chiens : un pour les chiens catholiques, l’autre pour les chiens protestants…. Non, décidément, il n’y a guère de différences entre l’homme et le chien. La publicité d’ailleurs ne s’y est pas trompée. L’humoriste et inventeur Gaston de Pawlowski proposait, dans les années 1900, de distribuer gratuitement des chiens de race à des personnalités, lesdits chiens portant tous le nom de la marque sponsorisant l’opération. En 1962, Marlon Brando mit cette idée en application en appelant son chien Mutiny (pour faire la promotion des Révoltés (mutiny) du Bounty). L’espèce canine, l’homme, et le cynisme publicitaire, étaient, on le voit, voués à se rencontrer. Certains signes sont d’ailleurs particulièrement inquiétants. Les aboiements par exemple. De mémoire de roquet, a t-on jamais vu, dans l’histoire, autant d’aboyeurs que de nos jours ? On en trouve, en effet partout. Certains ministres et certains flics aboient ainsi à qui mieux mieux contre les jeunes des banlieues (qu’ils accusent eux-mêmes d’aboyer !). Les jeunes, de leur côté, leur réservent, et on peut les comprendre, un chien de leur chienne. Mais les aboyeurs ne s’arrêtent pas là ! On en trouve aussi, de plus en plus à la télé et autres médias (De tels aboiements étant d’ailleurs indispensables pour pouvoir espérer accéder au prime time, les présentateurs passent leur temps à se faire des niches). Non vraiment, quelle chiennerie ! Tout cela est bien triste mais il faudra nous y faire. Le chien est roi. L’abjection, la vulgarité imbécile et satisfaite, la bassesse et le mensonge sont désormais considérés comme autant de Beaux-Arts. Le phénomène n’est pas nouveau en soi. Bas les cœurs avait déjà pressenti Georges Darien. Mais, depuis 1889, (année de publication de ce roman), on a fait beaucoup de progrès. Comme chacun le sait, le chien retourne toujours à son vomi.

Des cabots et des hommes…

La multiplication des aboiements n’était cependant pas le seul signe prémonitoire des transformations venues… et à venir. Car aboyer c’est bien mais, tous les pitbulls vous le confirmeront, mordre c’est mieux, beaucoup mieux ! Les morts vont vite, paraît-il. Les morsures aussi, surtout de nos jours ! Rares furent les époques où l’on a autant mordu les pauvres qu’aujourd’hui¹. Demandez pour voir aux habitants des cités, aux travailleurs des usines, aux squatters, aux SDF, aux immigrés, aux sans-papiers, aux chômeurs, aux paumés, aux taulards, aux jeunes, ce qu’ils en pensent… Dracula, lui-même, ferait bien piètre figure au regard de l’homo sapiens canis de notre temps ! Encore que, bien souvent, l’homme-chien mord sans penser à mal (c’est qu’en fait, il ne pense pas du tout. Si « Penser, c’est considérer la mort et prendre une décision », comme l’a écrit le poète surréaliste Jacques Rigaut, l’homo canis actuel ne pense pas car il est bien incapable de prendre une décision. Il se contente de laisser faire, surtout en ce qui concerne la mort prévisible de la planète ! Tout le drame de cette dernière est bien là…). L’homo sapiens canis n’est pas, à proprement parler, cruel. Il est, c’est bien pire, d’une cécité et d’une surdité totales, d’une indifférence absolue aux ravages et aux souffrances qu’il peut provoquer. Le fond de l’écuelle a chez lui, depuis déjà bien longtemps, été remplacé par les fonds de pension ! « Le chien est sourd » affirmait, il y a de cela quelques années, Le blues du chien de Jean Vodaine. Complètement sourd même. De nos jours, Jenny-des-lupanars (L’Opéra de Quat’sous) pourrait bien s’égosiller : « Vous nous enseignez quand une femme peut/Relever ses jupes et se pâmer, beaux Messieurs./D’abord, il vous faudrait nous donner à croûter,/ Parlez après, vous serez écoutés. », l’homo canis ne l’entendrait pas. Il n’a aucune excuse. Tous les clignotants sont allumés.

Mais la pauvreté lui est devenue transparente. Que le nombre de RMIstes n’arrête pas de grimper lui importe assez peu. Les bénéfices du CAC 40 seuls l’intéresse… Si l’on ajoute à tout cela que l’homo canis a souvent, stress oblige, un caractère de chien, il serait vain de s’étonner de l’existence que mène une grande partie de nos contemporains… C’est une véritable vie de chien qui les attend !
Mas ceux laissés en bord de route ont trop souvent joué eux-mêmes les cabots. Ils ont avalé tous les os... Que l’on ne nous dise plus, à ce propos, que l’homme est un loup pour l’homme ! C’est très insultant pour le loup. Ce canidé là a, entre autres qualités, un étonnant sens social et un profond amour de la liberté. Il n’a donc rien à voir avec l’homo canis moderne qui lui n’aspire qu’à un maître (que, de préférence, il choisit le pire possible). Par goût, par instinct, mais aussi par volonté profonde ! Et tandis que les petits roquets de la politique s’entre-déchirent, l’homo canis reste là, la queue ballotante, à attendre. Si l’on ne comprend pas cette nouvelle dimension de l’humanité (ou devrait-on écrire l’humacanidé ?), l’on ne peut évidemment rien comprendre à l’impressionnante régression de cette dernière. Inutile donc de s’étonner de la passivité des masses qui acceptent, la queue entre les jambes, qu’on leur distribue force coups de pieds et qu’on jette aux orties le code du travail, leur droit à la santé et à la retraite, leur droit à l’éducation et même leurs libertés les plus élémentaires… Tout cela n’est d’ailleurs fait que pour le bien de l’homo canis lequel, autrement, ferait preuve d’une fâcheuse tendance à l’émollience (on nous pardonnera ce néologisme !). Ses bons maîtres lui ont suffisamment expliqué les tenants et les aboutissants des réformes. C’est d’une simplicité éblouissante. Plus l’on diminue (quand on ne les supprime pas purement et simplement !) les services publics et les aides sociales, plus l’on rend ainsi service au public. Une telle évidence posée, on peut aussi affirmer qu’on sera ainsi mieux à même d’aider davantage tous ceux qui se donnent un mal de chien pour survivre. Et de deux ! Même, nous assure-t-on, les chiens perdus sans colliers…

Mais, pour ces derniers, il est inutile de s’inquiéter ! Ils sont d’ores et déjà rentrés dans une autre logique. Le Kärcher ayant depuis longtemps remplacé dans les banlieues les baquets d’eau froide, ils ont vite appris que les voitures incendiées réchauffaient bien mieux que les braséros… La dureté des temps rend assurément débrouillard. Ah la la…. N’ergotons pas. Ne soyons pas chiens ! La, bien évidemment cynique, libéralisation des chiens (pardon, des biens) et des sévices ne pouvant s’arrêter là, le commerce (dit) équitable, comme le développement (dit) durable, sont devenus aussi des mots clés du libéralisme le plus effréné. Ethique » oblige. Ethique en toc, évidemment ! Mais, que voulez-vous… L’humanitaire est une chose bien trop sérieuse pour être confiée à des bénévoles désintéressés (désintéressés… Quel gros mot !). Pourquoi d’ailleurs faire sain quand on peut tout compliquer ?Non, notre époque n’est décidément pas drôle. Elle n’en a pas moins un sens de l’humour décapant ! On en raffole. Malheureusement, même les plus amusantes des comédies peuvent parfois faire un four. C’est la loi du spectacle. C’est ce qui arriva avec la Constitution européenne. Qu’on se rassure. Les él ecteurs l’avaient fait sortir par la porte. Nos histrions l’ont fait rentrer par la fenêtre. On aurait pu attendre des réactions. Mais les masses humano-canines ont été trop bien dressées. Atavisme ? Peut-être ! En 1807, Gaspard Lavater écrivait déjà « Je n’entreprendrai point de décider si les oreilles pendantes du chien sont un caractère de servitude ; c’est du moins l’opinion de M. de Buffon ». Les masses auraient-elles les oreilles pendantes ? Leur servitude est en tout cas manifeste. Elles font le gros dos, se contentant de se gratter les puces et de prendre un air de chien battu. En émettant parfois un petit grognement pour la forme…

Le chien de son maître !

Sans même en revenir à la sempiternelle justification de tous les tortionnaires et assassins, plus ou moins galonnés qui, de Nuremberg à l’Irak, ont un jour eu la mauvaise surprise de devoir passer devant un tribunal (« Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ».), il faut se souvenir des expériences dirigées par Stanley Milgram, entre 1960 et 1963, à l’université de Yale (USA). Comme par hasard (on ne peut qu’admirer l’étourderie méthodique de notre époque qui oublie toujours l’essentiel…), cette expérience n’a jamais été médiatisée comme elle aurait dû l’être ! Rappelons là en deux mots. Des volontaires, croyant envoyer des décharges électriques de plus en plus violentes sur un cobaye humain (ligoté à une chaise, il hurlait de douleur et les suppliait d’arrêter), allèrent au bout de l’expérience (jusqu’à envoyer des décharges qu’ils croyaient être de 450 volts !). La plupart le firent sans aucun état d’âme (seuls 37,5% refusèrent au cours de ces séances d’envoyer des décharges de plus en plus fortes). Les décharges étaient censées punir quelqu’un de ses erreurs de mémoire et plusieurs des apprentis tortionnaires déclarèrent que l’élève « était si bête et borné qu’il méritait bien de recevoir des chocs électriques ». Beaucoup d’autres reconnurent avoir été tout à fait conscients de ce qu’ils faisaient… mais c’était pour ajouter aussitôt qu’ils n’avaient fait que respecter les consignes …On le voit : l’homo canis peut quand même s’avérer supérieur au chien sur certains points. Il est nécessaire d’apprendre le caniveau à ce dernier alors que l’homme sait d’instinct utiliser une dynamo ! Mais, en général, si l’on se place sur un plan strictement éthologique, le comportement de l’homme semble bien inférieur à celui du chien. Comme de nombreuses expériences l’ont prouvé, le chien est tout à fait capable d’assurer sa subsistance, même si l’on place autour de cette dernière un grillage. Il « aperçoit, grâce à une très rapide analyse de la situation, des relations spatiales entre la position, la forme du grillage et la place de la nourriture, qui sont telles que la solution du problème lui apparaît avec toute la netteté désirable », expliquait à ce propos Gaston Viaud dans L’Intelligence. Le chien va donc contourner le grillage pour aller à la nourriture ! L’homo canis actuel, hélas, est bien incapable de faire preuve d’autant d’esprit de décision. Question de dressage. Il se contentera de faire tristement la queue à l’ANPE, aux Assédic, ou même au CCAS, durant de longues heures. L’espoir fait vivre, paraît-il… Un tel état d’esprit se retrouve dans les domaines les plus divers. Ne serait-ce que dans le regard que nos concitoyens portent sur leur police. Plus question de s’en gausser. De toute façon, les tribunaux veillent ! La liberté d’expression ne s’usant que si l’on s’en sert, nos législateurs ont décidé de nous aider à l’économiser. Traiter un CRS d’enculé coûte généralement (on a eu l’occasion de le constater dans un passé récent) trois mois de prison ferme. Mais dire à des jeunes de banlieue, entre autres noms d’oiseaux, qu’ils peuvent remonter sur leurs cocotiers s’ils ne sont pas contents, entraîne rarement (pour ne pas écrire jamais) des poursuites judiciaires pour peu que l’on soit un flic !

N’évoquons pas ici les arrestations musclées des anarcho-autonomes de province ou des anciens directeurs de quotidiens de gauche ; Une conception aussi particulière du droit amène bien inévitablement à une certaine prudence. « La dictature, c’est ferme ta gueule ; la démocratie, c’est cause toujours » dit, assez plaisamment, une vieille maxime. Mais, en France, il a toujours été de tradition que la démocratie soit plutôt « Cause toujours mais ferme quand même ta gueule ! ». Quand les journaux, surtout s’ils sont militants, osent un peu trop vivement parler d’affaires qui « fâchent », surtout si elles concernent la police, les poursuites judiciaires ne sont jamais bien loin. On subit la police ! On n’a pas le droit de s’en moquer. Les courses-poursuites des Harold Lloyd, Harry Langdon, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Laurel et Hardy ou la joyeuse insolence des Marx Brothers ne seraient plus de mise de nos jours. Il faut dire que l’homo canis éprouve une grande affection, mêlée de vénération, pour le chien policier. C’est un miroir de lui-même, de ce à quoi il aspire et de ce qu’il est devenu. L’installation de caméras vidéo dans les centres urbains, la diffusion des trombinoscopes de collégiens dans les commissariats, le font véritablement japper de plaisir. Et que le Conseil d’Etat, fidèle à ce qu’il a toujours été depuis sa fondation, ne tienne aucun compte, à propos de la vidéo-surveillance, des observations de la commission Informatique et Libertés, le fait affectueusement remuer de la queue !Contrairement à ce que pourrait laisser supposer la lecture des journaux et la vision des actualités télévisées, le monde actuel ne marche pas sur la tête. Il a simplement sa propre logique. Celle qui animait les « clowns » heyokas chez les Sioux, les Indiens dits « contraires » (George Orwell l’a reprise dans 1984). Vous la connaissez ? Le principe en est très simple : pour dire « oui », un heyoka va dire « non » et vice-versa ! Si c’est la canicule, il va allumer un grand feu et dire qu’il frissonne… Nos élites ont vite compris tout l’intérêt que pouvait présenter une telle weltanschauung et l’homo canis, une fois de plus, les a fort masochistement suivi (en oubliant que les Sioux, comme d’ailleurs les autres Indiens des Plaines, mangeaient les chiens et que l’ogre capitaliste a, quant à lui, une propension certaine à dévorer les hommes. Le pitoyable homo canis prouve ainsi n’avoir même pas l’instinct, pourtant élémentaire, de sa conservation.).Plus donc l’homchien voit de SDF (souvent malheureusement, de plus en plus jeunes ou, au contraire, de plus en plus âgés !) dans la rue, plus on lui explique que la pauvreté diminue !

Plus il voit de queues interminables aux Assédic et à l’ANPE, plus on lui apprend que le chômage n’arrête pas de baisser (ça, ça vient heureusement de s’arrêter mais pour combien de temps ? !). Plus il voit de conflits qui s’éternisent au milieu des famines, des mitraillages de civils, des attentats et du fracas des bombes, plus on l’informe qu’il y a de moins en moins de guerres et que ces dernières sont beaucoup moins meurtrières qu’auparavant. Tout est à l’avenant, chiffres et cautions scientifiques à l’appui ! C’est vraiment un jeu très, très amusant. L’homo canis en raffole. A chaque fois, cela le fait frétiller de la queue.

Histoires canines

Du bull dog au Pitbull, en passant par les bergers allemands, Le chien a toujours été le meilleur ami de l’homme. Des hooligans aux SS, l’unanimité se fait sur un tel point ! Ecoutons les états d’âme de la délicieuse madame Bormann, une des accusées du procès de Lunebourg d’octobre 45. Elle s’était amusée, entre autres, à faire tuer un des prisonniers de Belsen par son chien. « Le martyre des prisonniers ne lui a pas arraché une larme, le crématoire l’a laissée les yeux secs ; mais quand on rappelle aux débats que ce chien a été pendu, la Bormann pleure ; Elle pleure ce pauvre chien qui étranglait si bien les détenus. » rapportait Alexandre Vialatte dans les Bananes de Königsberg. Le chien, on le voit, peut même être le meilleur ami du bourreau ! Les conquistadors surent d’ailleurs utiliser, sans aucune modération, ces bien sympathiques animaux pour dévorer le trop plein démographique indigène (comme en témoigna Bartolomé de las Casas dans sa Très brève relation sur la destruction des Indes, trad. Julian Garavito) : « (…) aussi dressa-t-on des lévriers, chiens particulièrement méchants, qui dès qu’ils voyaient un Indien, le mettaient en pièces en un clin d’œil ; bien mieux, ils s’attaquaient à lui et le dévoraient comme s’il s’agissait d’un porc » . Vers la même époque, les fervents catholiques eurent l’intelligence de s’inspirer parfois d’une telle méthode pour résoudre le problème huguenot. Ce fut en particulier le cas à l’occasion des Saint-Barthélémy de Paris et de province. Au point que Montaigne put écrire dans ses Essais (Livre premier, chapitre XXXI Des cannibales) « Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort (…)à le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion) ».

Et que dire de l’hetman Khmelnitnitski, « libérateur (provisoire) de l’Ukraine », qui secondé par ses valeureux cosaques, fit de même à l’égard des Juifs au XVIIe siècle ( Il est vrai que ce militaire sut varier les plaisirs. Nourrir les chiens de chair hébraïque ne lui suffisait pas. Quand donc il n’obligeait pas les femmes à manger leurs propres enfants, préalablement empalés puis rôtis à la broche, il coupait les mains de ces dernières, leur ouvrait le ventre et y plaçait des chats vivants…). Ah ! C’était vraiment le bon temps pour les chiens ! Mais n’en n’oublions pas le général Rochambeau qui, le 15 germinal an XII (5 avril 1803), écrivait au général Ramel que les 28 bouledogues qui lui avaient été confiés pour reconquérir Haïti, devaient être nourris avec les Nègres… Une telle prescience de l’intimité des liens qui unissent l’homme et le chien était vraiment remarquable pour l’époque ! Pour bien montrer l’estime dans laquelle on se devait de tenir un tel précurseur, le général eut l’honneur de laisser son nom à une rue et à une place de Paris. Douce France ! A quoi a pu te mener ton amour des animaux domestiques… Chiens militaires d’un côté, chiens policiers de l’autre.

On le vit encore le 14 mai 1912 à l’occasion du siège du pavillon de Nogent-sur-Marne où s’étaient réfugiés Garnier et Valet, les derniers survivants (encore libres) de la bande à Bonnot. « (…) un policier de grade supérieur cria « Lâchez les chiens ! » Comme si les chiens y pouvaient quelque chose. Comme si l’on pouvait attendre de ces bêtes à a fois féroces et dociles qu’elles rapportassent Garnier et Valet dans leurs énormes gueules, entre leurs terribles crocs ! » en témoigna André Salmon dans La Terreur noire. Vieilles histoires ? Pas tant que ça. Dans un rapport remis le 2 janvier 1957 au gouvernement, Jean Mairey, directeur général de la Sûreté nationale, révélait que l’on n’avait pas hésité non plus à lâcher, à Médéa, le 15 décembre 1956, des chiens policiers sur les musulmans³… quand on ne les avait pas écrasés sous les autos-mitrailleuses (témoignage rapporté par Pierre Vidal-Naquet dans La torture dans la république). Cyniques ? Pour sûr. Sinoques ? Pas si certain ! Les paponneries ne relèvent généralement pas du sadisme et n’ont rien de pathologique. Elles sont, tout au contraire, froidement calculées et méthodiquement mises en oeuvre. Plus récemment encore, la police et la gendarmerie, entre autres brutalités intolérables, auraient ainsi lâché des chiens sur des réfugiés de Sangatte. Des Kurdes et des Afghans auraient été à cette occasion gravement mordus ! Sans doute, devait-on penser à la maréchaussée, que ce n’était pas si grave. En tout cas pas pour les Kurdes. Ils ont tellement l’habitude… Liberté, égalité, canidés ? Un tel passé, jamais reconnu, jamais assumé, jamais non plus regretté, n’est vraiment pas de bon augure, ni pour notre présent ni pour notre futur. « Le commissaire qu’a l’air de rien/Est plus chien encore que son chien », chantait, avec quelque apparence de raison, il y a quelques années Catherine Sauvage (Air de la Rousse)…

Universalité du chien

Ah les chiens ! Depuis quelques années, on les voit donc partout. En photos, en films, dans la rubrique « vie pratique » ou « faits de société » des magazines, à la télé, sur les affiches publicitaires ou pour « décorer ( !) » son mobile… En chair (et surtout en os !), ils remplacent tout ;Absolument tout. Librairies et disquaires ferment pour laisser la place aux toiletteurs pour chiens et les gondoles des grandes surfaces débordent de gadgets à leur usage exclusif (jusqu’à du vernis à ongles ou des teintures de poil orange ou rose…) Rien n’est trop beau pour eux. Certes, encore une fois, un tel phénomène n’est pas complètement nouveau. En 1936, on pouvait ainsi trouver sur le paquebot Normandie, qui faisait la ligne Le Havre-New-York, un menu bilingue (anglais/français) « pour votre toutou, Madame », qui comprenait Le plat de Médor, Le Régal de Sweckey, La Gâterie « Normandie », Le Régime Végétarien des Dogues etc. Mais, depuis, le phénomène n’a fait que s’amplifier ! Les chiffres Le prouvent : 465 produits pour chiens étaient trouvables en 2005 sur le marché américain.

Il n’y en avait que 291 l’année précédente. L’invasion canine n’épargnant aucun domaine, les psychanalystes et les kinésithérapeutes pour Médor, les pâtissiers pour bichons (fréquents aux Etats-Unis mais qui sont aussi apparus à Paris), les magasins de meubles pour canidés, les hôtels pour toutous, les grands couturiers pour lévriers, et bien sûr la fourrière pour les vulgaires clebs (Que voulez-vous. La lutte des classes existe aussi parmi la gent canine), ont suivi un tel mouvement. Cela a pris de telles proportions qu’une Iranienne a traîné son mari en justice. Elle le sommait de choisir entre elle et… ses vingt chiens ! En Autriche, on a résolu le problème ! Un permis à chien (facultatif) permet de vérifier les compétences des heureux maîtres… L’intelligentsia branchée ne pouvait rester indifférente devant un tel phénomène ! Elle se coucha donc (elle en a pris l’habitude), ceci avec d’autant plus de facilité que l’époque, où elle faisait mine d’avoir des idées, est révolue depuis bien longtemps. Ecoutant docilement, la voix de son maître, plutôt que de ronger son frein, elle préféra ronger les os que ce dernier voulut bien lui donner. Elle mordit donc allégrement à son tour. De préférence du côté des « petites gens » (comme disent les grands cons !), des chômeurs et des ouvriers (surtout ceux osant se mettre en grève), des alter-mondialistes, des syndicalistes, honteusement enfermés dans leurs exorbitants privilèges comme chacun le sait, des anti-constitutionnalistes européens, par essence inconscients et irresponsables, des anarchistes farfelus et autres empêcheurs de clabauder en rond… Il n’y a pas dans tout ceci de quoi fouetter un chien. Car si l’homo canis n’a guère d’affinités avec la liberté et encore moins avec les libertaires, il en a en revanche beaucoup avec le libéralisme le plus débridé. On le sait ! C’est surtout vrai de certains chiens savants (homo canis sapor, savoir et saveur ayant la même origine). Ces derniers ne savent que trop bien de quel côté sont les écuelles … et les écus !

Précisons cependant que nous en voulons davantage à l’homo canis qu’au caniche tout court. Les chiens, en tant qu’espèce animale, ne sont pas plus bêtes que les ministres. Ils peuvent même, souvent, être plus utiles que ces derniers. Aider aux secours en montagne ou en cas de catastrophe naturelle, servir de chiens de traîneaux, tenir compagnie aux SDF et aux gens esseulés… D’ailleurs, ce n’est certainement pas pour rien que deux Anglais essayèrent en 1845 de monter une caniposte (quatre chiens attelés à une voiture légère…) destinée essentiellement au transport du poisson.

Le paradoxe est que si l’homo canis devient de plus en plus chien, le chien, lui, peut finalement s’avérer assez humain. Qu’est-ce que l’homme espère à faire ainsi le chien ? Qu’est-ce qu’il croit que cela va lui apporter, à part de bons coups de pieds dans le derrière ? Nous n’avons pas de réponse…

In fine

Tout cela écrit, soyons beau joueur. On ne peut malheureusement pas grand chose contre des effets mutagènes d’une telle ampleur. Nous avons tous essayé, un jour ou un autre… Mais un sourire ne peut rien contre les aboiements de fonctionnaires en uniformes. Ni contre les effets psychotropes et dévastateurs de la rage – surtout quand celle-ci prend la forme des fonds de pension, stock-options et autres business plans. Il va donc falloir nous y faire et définitivement changer nos habitudes. Ce ne sera pas aussi difficile qu’on pourrait le penser. Après tout, il y a déjà un bail que nous avons laissé les trottoirs à la disposition du chien. La laisse et le collier ? Mais nous y sommes habitués - et depuis, malheureusement, bien longtemps. Cela fait belle lurette que l’on nous les a en effet serrés autour du cou ou parfois autour du poignet. La modernité passant par là, on les appelle d’ailleurs désormais bracelets électroniques. C’est plus chic ! De même, nous avons pris l’habitude de nous retrouver à la fourrière pour un oui ou pour un non. La démocratie, telle qu’on la conçoit de nos jours, n’a pas en effet d’autres exigences que l’exigence carcérale ! Le libéralisme adore les prisons. Et si le chien n’aime guère les matous, l’homo canis, lui, raffole visiblement du maton !

Prendre l’habitude des croquettes et des biscuits pour chiens ? Les transnationales de l’agroalimentaire nous ont déjà accoutumé à une alimentation assez similaire – quoique certainement moins goûteuse. Le progrès aidant, la pâtée pourra être servie avec ou sans O.G.M, selon vos goûts et vos moyens.Alors devenons chair à canin une fois pour toutes. Nous n’étions jusque là que de la chair à canon. Canon, canin… Simple différence de voyelle…