Jacques Mesrine : le diptyque

Jacques Mesrine : le diptyque

Le réalisateur Jean-François Richet signe le pari audacieux de sortir un film fleuve en deux épisodes, à un mois d’intervalle. Son sujet n’est autre que Jacques Mesrine, figure majeure du grand banditisme des années 1960-1980.

Alors que le premier volet L’instinct de mort se calquait sur les grands films de gangsters hollywoodiens, le deuxième volet L’ennemi public n°1 s’attarde plutôt sur la psychologie du personnage, cassant quelque peu le rythme endiablé de la première partie. En effet, réduire le personnage à ses seuls faits d’armes lui aurait enlevé toute psychologie, et ce serait un tort…

Pour prendre la pleine mesure de cette œuvre, il est important de comprendre ce qui a pu se passer dans la tête du fils d’un honnête commerçant aisé, militaire pendant la guerre d’Algérie, et finalement rien de moins qu’un jeune homme semblable à tous les autres à ses débuts. Mais voilà, la guerre l’a bien changé, imprégnant en lui ces images et ces idées de mort. C’est tout bonnement déconnecté de la vie et de la société qu’il s’en retourne en France, en 1959.

Dès lors, Jacques Mesrine, confondu entre ses valeurs, ses codes et ses faits d’armes, ne cessera de s’interroger sur sa personne. En ce sens, L’ennemi public n° 1 est un habile méli-mélo entre sa vie -qu’il continue à mener tambour battant, enchaînant les attaques de banques comme de prisons, les meurtres, ses maîtresses- et ses prises de positions. Politique, révolutionnaire, gentleman, mais malgré tout homme au caractère intraitable, Mesrine écrit coup sur coup deux livres — L’instinct de mort en 1977 et Coupable d’être innocent en 1979 —, il donne des interviews et continue à battre la campagne comme la ville, en quête de liquidités.

Parfois proche de films tel que Le dernier Gang d’Ariel Zeitoun, Jean-François Richet signe ici une œuvre où l’on ne s’ennuie jamais. Cavalant entre la France, l’Espagne, le Canada et les États-Unis, le spectateur suit le personnage dans ses péripéties, passant tour à tour de meurtres et tortures, que Mesrine juge nécessaires, à un humour bien senti.

Mesrine, détruit par cinq années passées en quartier de haute sécurité au Canada, en ressort comme un damné, devenu l’aura même du bandit, audacieux, haïssant la société, et ne reculant plus devant rien. Il rivalise alors de trouvailles et d’astuces pour s’échapper de multiples prisons, seul ou bien accompagné –et sur ce plan, le réalisateur a parfaitement soigné la mise en scène-, et n’hésite pas à prouver à la justice — cette femme pleine de vices, comme le chante si bien le groupe Trust qui lui a dédié plusieurs chansons — que les valeurs qu’elle défend sont corrompues par ses propres représentants. C’est ainsi qu’il jettera en plein procès, à la tête de Robert Broussard — alias l’homme qui a décidé de l’arrêter — les clés de ses menottes.

Sans vouloir dévoiler un scénario complexe, épatant et visiblement réaliste et fort bien documenté, il ne serait que conseillé de voir cette mini saga de « l’homme aux mille visages » qui n’a pas hésité à s’affubler de postiches et autres déguisements -y compris ceux de commissaire- afin de réaliser des braquages d’anthologie et des évasions spectaculaires. Admirablement réalisé malgré quelques petites maladresses — Gérard Lanvin se révèle vraiment peu crédible en révolutionnaire marseillais vieillissant —, et à l’esthétique toujours soignée, le diptyque cinématographique dédié à Jacques Mesrine est l’une des excellentes surprises de cette fin d’année.

Des scènes savoureuses, telle l’arrestation de Mesrine dans son appartement par le commissaire Broussard après vingt minutes d’attente, ajoutent encore un peu plus de cachet à cette superproduction, mais n’empêchent pas malgré tout certains écueils. Le film se termine, malheureusement comme trop souvent, face à face entre le gangster en marge de la société, qui finalement le fait vivre et dans laquelle il s’insère pleinement, et un policier attiré par sa carrière et sa haine du méchant… haine qui l’abaissera finalement au même niveau que les tueurs qu’il traque.

Toutefois, une mention spéciale aux seconds rôles : Ludivine Saigner, Cécile de France ou encore Mathieu Amalric en tête, qui contribuent largement au succès du film comme à celui de son héros. Le plan de fin en contre-plongée sur le visage de Mesrine baignant dans son sang est un joli résumé de l’écoulement de sa vie, divisée entre le sang et la quiétude à laquelle il aspirait…