Femmes et violences : De l’abnégation à la responsabilité !

Femmes et violences : De l'abnégation à la responsabilité !

Tout le mal qu’elles ont dit du mal qu’on leur faisait, elles l’ont défini comme un nouveau pouvoir de décider elles-mêmes, écrit Smaïn Laacher dans ce nouvel ouvrage sociologique qui met en lumière les pratiques et les modes de publicisation de la violence privée vécue par les femmes étrangères, et d’origine étrangère. Une enquête originale en raison de l’approche de ce sociologue de renom associé au CNRS et juge du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR).

Cette étude propose une connaissance sociologique sur le monde domestique des populations immigrées et ses différentes formes de violence mettant en scène des femmes appartenant majoritairement aux classes populaires qui, pour la première fois, brisent la loi du silence et osent franchir ce qui relevait de l’ordre de l’infranchissable, du tabou, du caché et de l’invisible.

Femmes mariées, femmes célibataires, certaines ont franchi le pas, et livrent dans cette étude des aspects de leur intimité personnelle et familiale ; elles exposent ainsi sur la sphère publique des souffrances d’ordre essentiellement privé, en l’occurrence les violences conjugales et familiales (mariage forcé) et ce, par la médiation de la lettre, du courrier électronique, du téléphone et des entretiens.

261 lettres manuscrites dont les thèmes dominants portent sur le harcèlement moral, la violence conjugale, le mariage forcé, les violences intrafamiliales… 401 fiches téléphoniques. Une trentaine d’entretiens approfondis menés auprès de femmes ayant fait l’objet de violences. Au moment du face à face avec le chercheur, certaines avaient porté plainte. D’autres pensaient le faire. Un corpus dont le matériau inédit, unique et précieux semble revêtir une dimension particulièrement innovante et selon l’auteur, il constitue des modes d’expression et de contestation discrets ou invisibles — et — instructifs sur la relation entre privé et public et ses modifications en cours.

C’est par le biais de deux associations dont la vocation est d’aider les femmes et les jeunes filles : Ni Putes Ni soumises (N.P.N.S) et Voix de Femmes que Smain Laacher, chercheur au Centre d’études des mouvements sociaux, a eu accès à la parole de ces femmes qui utilisent le langage de l’école, du droit et de la raison pour dire leurs souffrances, nommer, définir, interroger, révéler, exprimer leur refus de l’enfer à huis clos pour lui substituer la recherche d’un tiers qui restituera à chacun son dû et solliciter de l’aide.

Cette écriture de soi sur soi. Cette mise à nu de soi à travers ces moments biographiques appréhendés essentiellement comme des sources de connaissances. Ces mots qui décrivent, dévoilent, révèlent pour dénoncer ce que ces femmes ont vécu, vivent et ne veulent plus vivre. Ces souffrances privées exprimées sous forme de protestation publique, voire de plainte qui doit être entendue comme un tord qui demande à être reconnu, autrement dit qui ne doit pas échapper à une exigence de justice ou qui demande à être départager en justice.

Et la volonté des ces femmes d’enrayer la violence sont autant d’indices et d’éléments qui permettent de saisir de l’intérieur leurs systèmes de valeurs et leurs univers de croyances contribuant ainsi à une compréhension de leurs mondes intérieurs et à la reconstruction de leurs définitions des situations vécues, de l’impact des violences subies sur leur identité personnelle, de leurs motivations et des finalités de leur acte que Smaïn Laacher définit comme volontaire et souverain.

Ce nouveau pouvoir de décider elles-mêmes comment et à quelles conditions réagencer ou, mieux encore, réordonner les différentes affiliations qui déterminent ce qu’elles ont et ce qu’elles sont vient inévitablement contribuer à opérer un changement dans la conception que ces femmes portent à l’égard de leur personne. Et d’autre part, dans la représentation de la société à l’encontre de ces femmes immigrées, issues pour beaucoup d’entre elles de l’immigration.

Ainsi, en extériorisant leur souffrance. En s’interrogeant sur le sens du juste et de l’injuste. En faisant appel au droit. En recourant à un tiers pour obtenir réparation, ces rédactrices et ces appelantes plaignantes se constituent comme des sujets qui expriment leur volonté de s’approprier leur corps et leur vie et ainsi l’accès à la dignité.

Femmes invisibles. Leurs mots contre la violence, chez Calmann-Lévy, 272 pages, 18.00 €