Divorce par la voie du Kholea, est-ce la fin de la domination de l’homme ?

Divorce par la voie du Kholea, est-ce la fin de la domination de l'homme ?

Le visage chiffonné et le regard triste de ce petit bout de femme,
laissaient apparaître toute sa souffrance. Si elle se trouvait là
aujourd’hui, c’est à cause de son mari qui refusait de la répudier.

Assise dans la petite cours, fourmillante en cette journée pluvieuse,
du tribunal d’Hussein Dey, Lamia, semblait s’impatienter pour entendre
enfin le verdict du juge. Son avocate lui avait bien expliqué que son
affaire ne saurait traîner, car « ce type de procès s’achève au bout de
quatre séances », l’a-t-elle rassuré. Et pourtant, cette peur qui lui
nouait l’estomac, ce vertige qui la gagnait progressivement et ce
tremblement qui faisait vibrer son corps ne la quittaient point. Le
visage chiffonné et le regard triste de ce petit bout de femme,
laissaient apparaître toute sa souffrance. Si elle se trouvait là
aujourd’hui, c’est à cause de son mari qui refusait de la répudier.

Oui, le divorce. Elle le désirait plus que tout. Mais son époux,
phallocrate à l’image de la société, refusait de le lui accorder. « Il
usait de sa position de supériorité, dit-elle, pour me faire subir les
plus durs sévices ». Ayant ras-le-bol d’une situation qui n’a que trop
duré, Lamia a décidé d’en finir une bonne fois pour toute. Elle a
trouvé le salut dans l’un des articles du code de la famille qui
accorde à la femme désirant divorcer sa liberté. Il s’agit en effet du
kholea, ou divorce unilatéral, par lequel la femme recouvre sa liberté
moyennant un renoncement à tous ses droits pécuniaires et après le
versement d’une somme d’argent, qui équivaut habituellement au montant
de la dot.

« Si j’ai recouru à cette loi, c’est parce que j’ai découvert que mon
époux était homosexuel et qu’il recevait ses copains chez moi à la
maison alors que je ne me doutais de rien », rétorque Assia, une autre
femme, la quarantaine dépassée. Elle évoque péniblement le choc qui a
résulté de sa découverte. « Mon traumatisme était tel que j’ai quitté
illico la demeure conjugale exigeant le divorce », relate-t-elle. Son
époux, sûr de son autorité, refusa catégoriquement, la mettant devant
le fait accompli. « Je n’étais pas au courant de cette loi.
Heureusement qu’une amie à moi, avocate, m’a informé sur l’existence
de cet article qui m’accorde le droit de divorcer », témoigne-t-elle.
Aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses les femmes, a
recourir à la loi du kholea pour se séparer de leurs conjoints pour
une raison ou une autre. Dans ce sens, nous avons appris de source
proche du ministère de la justice que le nombre des divorces par
Kholea est arrivé à 3500 cas à la fin de 2007 sur 300 mille actes de
mariage, contre 813 cas de divorce par kholea signalés en 2004 et 1477
enregistrés en 2006.

Pour plusieurs féministes, cette disposition incluse dans le code de
la famille est au profit des femmes qui peuvent dire basta au monopole
masculin et à l’autoritarisme aveugle de certains maris.
A ce sujet, Wahida, une jeune femme âgée de 40 ans, se dit satisfaite
du verdict du juge du statut personnel qui a récemment statué dans son
affaire en lui accordant le divorce par la voie du kholea. « Le premier
sentiment qui accompagne le divorce d’une femme est ordinairement la
tristesse. Dans mon cas, mon bonheur était incommensurable tant cet
homme m’a fait voir de toutes les couleurs », témoigne-t-elle.
Violentée et séquestrée par son mari, la pauvre malheureuse nous
raconte comment tout au long de sa vie conjugale elle a subi le
calvaire, croyant qu’elle ne pouvait que se résigner à son sort.
« Quand j’ai su que cette loi existait chez nous, et pas uniquement en
Égypte, j’étais soulagé. J’ai quitté mon mari exigeant le divorce.
Mais, il a ouvertement décliné ma demande », raconte-t-elle. Et
d’ajouter qu’elle a fini par prendre son courage à deux mains et
demander le divorce par kholea. L’affaire n’a pas traîné. L’épouse a
due renoncer à tous ses droits pécuniaires et verser à son époux la
somme de 50000 DA, soit le montant de sa dot, pour se retrouver enfin
libre. « Rendre la dot est préférable que de subir la lenteur de la
justice et les dépenses », avoue cette femme qui savoure le goût de la
liberté pour la première fois.

De l’avis de plusieurs observateurs avertis, de nombreux facteurs sont
derrière l’expansion des divorces par kholea. Certains attribuent ce
fait à la facilité des procédures judiciaires liées au kholea, pour
d’autres l’autonomie financière des femmes est un facteur principal,
tandis que pour quelques-uns cela revient en premier lieu au
changement du statut de la femme qui exige l’égalité et refuse, de ce
fait, d’être considéré comme inférieure à l’homme.
Il faut dire que même si la société stigmatise encore les femmes qui
demandent le kholea à leurs hommes, plusieurs, dans un plaidoyer
soutenu, avancent leurs motifs qui loin d’être futiles portent souvent
sur la violence conjugale subie, l’infidélité de l’époux, son
homosexualité et bien d’autres raisons.


Le kholea menace la stabilité du foyer algérien

De l’avis de maître Ibouchoukane, avocate prés la cours d’Alger, « Les
divorces par kholea menacent l’avenir de la famille algérienne et donc
l’équilibre de la société ». L’avocate ajoute que la loi du Kholea,
tirée de la religion musulmane, figure dans la législation algérienne,
inspirée dans son ensemble de la charia islamique. Dans ce sens, notre
interlocutrice appuie ses déclarations en soulignant que le code de la
famille de 1984, est entièrement inspiré de la charia islamique. En ce
sens, elle atteste que la loi algérienne a bien défini le mariage et
le divorce qui peut émaner d’une volonté unilatérale ou d’un divorce à
l’amiable.

Dans ce sillage, l’avocate stipule que la femme a le droit de demander
le divorce au juge par voie du kholea et ce, dans le cas
d’insatisfaction sexuelle, d’impossibilité de cohabiter avec l’époux
ou en cas de longue absence de ce dernier. Elle souligne également que
le kholea donne à la femme le droit de divorcer moyennant une somme
d’argent qui ne devra pas dépasser la dot le jour du jugement (au
tribunal). « Cette forme de divorce est garantie dans l’article 54 du
code de la famille », poursuit-elle.
Sur un autre chapitre, maître Ibouchoukane n’a pas manqué de signaler
que certaines femmes, profitant de la facilité et de la rapidité du
divorce par Kholea, recourent à cette procédure pour des raisons
futiles, tel un malentendu, une sévère dispute ou un état de lassitude
conjugale.

Face à cet état de fait, l’avocate n’a pas manqué de tirer la sonnette
d’alarme sur l’amplification de ce fléau affirmant que le mariage a
totalement perdu sa crédibilité.

Le kholea, un pas positif dans la promotion des droits de la femme
Selon, Mme F. Selmi, sociologue, l’autorité du mâle est dominante dans
notre société algérienne. « On est habitué à ce que l’homme mette fin à
la relation conjugale. La femme doit toujours se soumettre et surtout
accepter la vie qui lui est imposée pour sauvegarder son foyer et
surtout ses enfants ». L’époux parfait est celui qui est capable de
satisfaire les besoins matériels de son foyer et de procréer. « Lorsque
la femme a recours au kholea, l’entourage pense que cet homme à une
déficience quelconque », poursuit-elle.

Cependant, le kholea reste un pas positif pour la femme,
assure-t-elle. D’après elle, les pressions sociales auront des
conséquences plus importantes que la loi elle-même. « Cela pourrait
réduire une tendance générale, celle de la domination de l’homme au
sein du foyer. Tout homme réfléchira plusieurs fois avant de
tyranniser sa femme pour ne pas se voir un jour s’attribuer le statut
d’un homme « makhloue ». Mais une femme qui a recours au kholea doit
assumer sa force prodiguée par une disposition de loi et ne pas
redouter le regard de la société lourd de reproche et qui exige de la
femme, implicitement, de se soumettre à l’autorité masculine dans le
but de préserver son foyer, conclue la sociologue.

Cheikh Abdelhamid : « Le kholea protège la femme et respecte son intimité »

Pour cheikh Abdelhamid, imam à la mosquée de Gué de Constantine,
l’islam a légitimé le kholea pour protéger la femme, renforcer sa
liberté et respecter son intimité. En ce sens, si la femme trouve une
anomalie physique chez son mari, si elle n’est pas financièrement
parlant satisfaite, si elle n’éprouve plus d’affection pour son époux,
elle a le droit de le divorcer (par kholea) en lui restituant le
montant de la dot versé.

Dans ce contexte, l’imam a raconté l’histoire de cette femme qui est
venue voir le prophète Mohamed (QSSL) pour lui demander si elle
pouvait divorcer par kholea de son époux justifiant sa décision par sa
mauvaise haleine qu’elle ne pouvait supporter. Le prophète lui donna
le droit de divorcer, mais à condition de restituer à son époux le
jardin qu’il lui a donné en guise de dot. Cheikh Abdelhamid a signalé
que le divorce par la voie du kholea ne représente une menace sur
l’avenir des couples algériens que lorsqu’il est utilisé à tort et à
travers. Or, il est essentiel de noter que la majorité des femmes ne
recourent à cet article de loi que quand leur vie conjugale devient
réellement difficile.

Enfin, il est à souligner que, même si la loi du Kholea est inspirée
de la religion musulmane, cette dernière figure bel et bien
explicitement dans le code de la famille. Réprouvée par notre société
machiste qui ne tolère pas encore qu’une femme puisse détruire son
foyer pour une quelconque raison, cette loi demeure méconnue par de
nombreuses femmes algériennes.