Interview de Dieudonné

Interview de Dieudonné

Parce qu’un jour on m’a dit que ce type était détestable de par ses prises de positions, parce qu’on s’est indigné que je puisse le rencontrer pour lui poser quelques questions sur son nouveau spectacle, parce que contrairement à ce que l’on pense il n’est pas possible de rire de tout et de n’importe quoi mais que chez lui comme chez moi il y a cette idée d’essayer quand même, parce qu’il faut bien le dire j’avais une folle envie de savoir qui était vraiment Dieudonné, je me suis assis à sa table afin d’évaluer qui de l’homme ou de l’artiste était le plus malin.

Est-ce une forme de richesse de ne pas faire l’unanimité comme la plupart des comiques qui sont adorés des foules ?

Dieudonné : « Je souhaite susciter l’intérêt. Quand on travaille l’humour : cela me parait logique et normal au contraire que l’on ne soit pas unanime à mon égard. »

Avant d’évoquer ton nouveau spectacle j’aimerais que tu me définisses ton métier ?

Dieudonné : « Je pense que je suis un humoriste et je fais de l’humour. J’essaye en tout cas d’aller chercher le rire là ou il n’existe pas, là où cela demande un effort. »

Cela a toujours été le cas ?

Dieudonné : « J’ai évolué avec le temps et avec mon époque. Il a fallu dans un premier temps devoir vivre de ce métier donc cela s’est fait graduellement. Mais des thèmes et des sujets que j’évoquais à l’époque avec Eli je les retrouve finalement aujourd’hui. J’ai l’impression qu’une vie entière d’écriture et de scène n’arrivera pas à combler mes interrogations sur les frontières, sur la religion, sur les croyances, sur le bien et le mal. Qui sont de grands sujets humoristiques. »

Tu as toujours ce besoin de passer par le vecteur de l’humour ou pensais tu à une autre forme d’expression pour développer ces interrogations ?

Dieudonné : « J’ai beaucoup d’admiration pour les romanciers. Moi j’écris des sketchs. Ils évoluent. Livrer un roman c’est mettre un mot « FIN » alors qu’un spectacle joué deux cents fois je pourrais le faire encore gagner en rythme, en efficacité. Je pense que j’ai choisi cet espace d’expression pour entendre rire les gens. »

La phrase de Beaumarchais « je me dépêche de rire de peur d’en pleurer » te correspond bien ?

Dieudonné : « Je peux aussi bien pleurer que rire et je le fais dans mes spectacles. Dans le dernier j’ai un sketch sur les Pygmées que j’ai rencontré il y a peu de temps et j’ai été bouleversé par une femme allaitant un enfant mort. J’ai décidé de rire pour essayer de trouver de l’humanité dans certaines injustices. Ce fut le véritable déclencheur de ce nouveau spectacle. »

Comment t’es tu retrouvé là bas ?

Dieudonné : « Mon père habite là bas, maintenant qu’il est à la retraite il est retourné dans son village natal. Les pygmées qui sont des nomades de la forêt, sont aujourd’hui à cause de la déforestation, à cause des pipelines qui passent, des champs d’exploitations où ils n’ont plus leurs places. Ils sont en train de mourir autour de mon village. C’est comme les aborigènes en Australie. »

Nous sommes tous d’accord pour dénoncer l’extermination des indiens d’Amérique mais pourtant cela se perpétue encore ailleurs et de nos jours sans qu’il y ait une vraie prise de conscience ?

Dieudonné : « C’est une privation de l’espace vital. Ils étaient chez eux bien avant tout le monde. Les Pygmées négociaient leurs savoirs, leurs médecines. A l’arrivée des colons ils se sont retrouvés tout au fond du panier, au fond de la misère social. »

Après avoir constaté personnellement ce malheur, comment arrive t’on à faire rire ?

Dieudonné : « Par un rire dur. Un rire qui fait mal. Le tableau de cette mère et de son enfant. De la vierge et l’enfant c’est lourd mais les gens rient car j’ai fois en l’humour. Je pense qu’il faudrait que je le joue là bas. Mais je le ferais différemment. »

Est-il possible pour moi, petit occidental de province française de comprendre ton sketch ?

Dieudonné : « Oui ! Oui parce que je dis que ce qui m’a le plus choqué là bas ce n’est pas la misère extrême. C’est immonde mais au bout de quelques jours tu t’y habitues. Je serais militaire je m’engagerais dans une résistance armée, mais je suis humoriste donc je vais le dénoncer par le rire. Pour moi il n’y a pas de frontières ni géographiques, ni religieuses. On est juste frère en humanité face à l’injustice. Je reconnais que ce que je fais peut être insupportable. »

Dois-tu te méfier du côté « donneur de leçon » ?

Dieudonné : « C’est tout à fait juste. J’essaye de l’atténuer avec une autodérision. Je me mets moi dans le rôle du coupable en l’occurrence. Le coupable qui prend conscience. Donneur de leçon ce serait pointer un responsable alors que je pense que nous le sommes tous. »

Ton spectacle s’appelle : « J’ai fais l’con », ça pourrait être une autocritique mais cela semble surtout adressé à chacun d’entre nous ?

Dieudonné : « On fait même beaucoup plus les cons qu’autre chose. On fait les cons en permanence. On fait les cons en votant Sarkozy. Même si voter Ségolène ou Aubry c’est une connerie aussi. J’ai l’impression qu’on aime ça. Mais on se prend au sérieux aussi. C’est là où j’interviens. Pour mettre un peu la lumière sur ce sujet. On est arrivé à l’âge d’or de la connerie. La connerie faites diplomatie, philosophie, politique. La connerie faites justice, faites dieu, argent. On est arrivé au sommet de la pyramide de la bêtise. Avec l’élection de Sarkozy on n’a jamais été aussi médiocre. J’en arrive, comme humoriste, à être dépassé par la réalité. Sarko est un concurrent direct pour moi. Il est vraiment ridicule. »

Ses prises de positions te font ils peur ?

Dieudonné : « Nous n’avons jamais eu un responsable politique aussi raciste et élitiste. J’avais soutenu José Bové, le Bové que je connaissais n’était pas celui qui grattait à la porte de Royal pour avoir un ministère. J’ai dis et je le confirme que si par malheur il y avait eu un deuxième tour Le Pen-Sarko j’aurais voté sans hésitation pour Le Pen. Déjà à l’époque on s’arrachait les cheveux pour ce que j’avais dis. On arrive maintenant à une crise mondiale avec ce genre de pilote ridicule à la barre. C’est catastrophique. »

Le rire intelligent est il encore disponible dans la tête des formatés à la culture de TF1 ?

Dieudonné : « Ecoutes, les gens se marrent c’est donc qu’on a un résultat. Après la dimension, la profondeur, le degré auquel le rire que je provoque s’exprime : je ne peux pas le maîtriser. Je veux juste penser que mes contemporains me sont semblables. Les racines profondes de mon rire viennent de l’idée universelle de l’humain bon. Je sais que dans le monde de l’art il y a pas mal de monde qui travaille de manière identique à moi. Je suis une sorte de performer humoristique. Je tente des choses. La rumeur de baptême de mon enfant avec Le Pen j’ai vu ça comme une performance extraordinaire. Le baptême, le monde de la religion, Le Pen. Mon fils s’appelle Judas, baptisé dans une église traditionaliste. Judas, fils de Dieudonné, baptisé dans une église proche du pape : je trouvais que c’était une expression de liberté. »

Toutes ces rumeurs te font-elles mal ?

Dieudonné : « Elles sont livrées à l’interprétation de chacun. Moi elles m’amusent. Grosso modo je suis antisémite, extrémiste, islamiste, soutenant le terrorisme international, blanchisseur d’argent. Il faudrait plus d’une simple vie pour faire tout ça ! L’information est une fiction ou il faut des gentils et des méchants. Je suis donc un méchant. »

Pour toi, ton seul crime c’est de déranger ?

Dieudonné : « Je pense oui. Je fais office d’exemple. L’exemple à ne pas suivre. Le type qui dérange et qui doit être mis en marge pour prouver qu’il ne faut surtout pas faire ce que je fais. J’ai cette liberté de penser que le mal n’existe pas. Je ne veux pas être enfermé. »

J’aimerais évoquer le cas de Judas avec toi, ce gars était le prototype du coupable idéal qui s’est révélé au fur et à mesure du temps comme l’apôtre le plus respectueux du Christ et loin de l’image du traître qu’on lui a collé à la toge, y a-t-il eu un cas Dieudonné en l’an 33 après JC ?

Dieudonné : « Judas c’est un spectacle, c’est le nom de mon fils. Mon dernier apôtre (rire). Je n’ai jamais douté que Judas était un homme probe. On ne trahit pas pour 30 deniers alors qu’il était le plus riche des apôtres. Les autres sont quasiment tous quelque part des hommes qui sont bien content de manger en suivant le Christ. Sa trahison consiste en quoi ? D’avoir montré où était le Christ. Au vu de sa « notoriété » on peut affirmer que tout le monde savait bien où il était et qui il était. C’est incroyable que Judas ai du porter jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire en l’an 2000 : le fardeau de l’infamie. Pierre qui était le premier des fayots va le trahir 3 fois. Judas ne l’a jamais renié. Il a dit « oui je le connais, c’est lui qui par sa parole va fracasser vos cuirasses ». Mais si tu te poses la question de savoir qui a le plus trahi le monde chrétien entre Georges Bush et Judas, Judas est un saint. Ce que j’aime chez Jésus c’est qu’il était sorti du moule, il n’appartenait plus à aucun groupe. »

Tu vas faire aussi un sketch sur Collin Powell ?

Dieudonné : « Le symbole de la félonie et du nègre de maison. Pour moi c’est l’exemple type de la déchéance de l’Afrique et de l’anarchie mondiale. Il va au Conseil de Sécurité pour justifier l’intervention d’une guerre. Un mensonge à partir d’une fiole. On envoie ce « Y a bon Banania » pour cette mission. Il est la honte de l’Afrique. »

Tu me parles de couleur de peau mais pour moi la seule couleur qui compte c’est le vert : la couleur du dollar !

Dieudonné : « C’est vrais mais lorsque on le met en place c’est pour profiter de l’alibi nègre dans l’administration Bush. Nous aussi en France, style Rama Yade, on ne la prend pas pour ses compétences professionnelles, leurs philosophies ou leurs génies politiques ils sont là par alibi. Ca fait chic d’avoir un arabe ou un noir dans son gouvernement. Le problème c’est que ceux qui veulent installer une relation équitable entre le Nord et le Sud ne seront jamais invité à partager le pouvoir. »

Si moi je dis ce que tu es en train de dire : on va me traiter de raciste !

Dieudonné : « C’est pour ça que je le fais. Il est difficile de traiter un noir de bouffon, car il y a une telle culture d’anti-racisme qui s’est installé, instrumentalisé par les hommes politiques qu’effectivement on ne peut plus rien dire. Alors qu’il y a autant de crétins chez les noirs ou les blancs. D’ailleurs je suis le seul identifié « noir » sur lequel on peut dire n’importe quoi. On peut m’insulter il n’y aura pas de soucis. Charlie-Hebdo et Val c’est l’extrême droite, c’est la vrai extrême droite : il fait une couv avec ma grosse tête de noir et un cerveau qui ressemble à une cacahuète. Cela aurait été quelqu’un d’autre on aurait taxé cela de racisme. On va trouver une forme pour dire qu’il y a un bon et un mauvais noir. Rama Yade c’est une bonne négresse, en plus elle est jolie. »

J’ai beaucoup de respect pour Céline et je vois là encore du cas « Dieudo » chez lui ?

Dieudonné : « Je vois ce que tu veux dire. Par l’époque il disait ouvertement ce qui était caché dans la société mais bien pensé. Je ne veux pas prendre position dans mes sketchs mais montrer toutes les positions qui peuvent exister. Si l’humoriste ne peut pas s’exprimer la démocratie s’en retrouve handicapé. On ne peut pas retirer au peuple de rire. Il a besoin de se moquer du roi. Notre roi il en arrive à se gommer ses défauts sur des photos. »