Ce plat pays qui est le mien : hommage à Jacques Brel

Ce plat pays qui est le mien : hommage à Jacques Brel

Il y a trente ans, le 9 octobre 1978, disparaissait Jacques Brel. Ce grand poète, qui revendiquait avec un amour immodéré sa Belgitude, a laissé derrière lui un grand vide mais surtout un répertoire immense. Tout le monde, de 0 à 99 ans, est capable de reconnaître une de ses chansons tant il a été capable de toucher chacun d’entre nous, au plus profond de nos chairs. A l’occasion de l’anniversaire de sa disparition, voici un petit hommage qui s’appuie sur un de ses titres les plus réputés : Le Plat Pays.

Ce plat pays qui est le mien, c’est d’abord celui de ces plaines flamandes et wallonnes, une terre rude et sauvage où les vallons de la Sambre et de la Meuse se mêlent à ceux de l’Ourthe, où les brumes matinales laissent entrevoir ça et là des jardins bucoliques. Dans ce plat pays qui est le mien, où les clairs de lune debussiens sont au crépuscule ce que les matins griegiens sont à l’aube, où le vent de l’Est caresse les vagues de la mer du Nord qui viennent s’épancher violemment sur les rochers, où la pluie dresse au loin un sillon d’espoir parmi les dunes, j’écoute secrètement les silences de l’âme de cet enfant du pays désormais bercée par le chant des sirènes marquisiennes.

Ce plat pays qui est le mien, c’est celui de Victor Hugo, d’Emile Verhaeren ou de Rubens, ce terrain vague dominé par les cathédrales, où la légende de Notre Dame s’étreint avec celle d’Anvers, là où les hommes désiraient toucher le ciel et devenir l’égal du Dieu tout puissant. Ce plat pays qui est le mien c’est celui d’une terre vaincue par Jules César durant la Guerre des Gaules, dévastée par les conflits et fruit de luttes acharnées et meurtrières, surnommée le champ de bataille de l’Europe, une dénomination jamais trahie.

Ce plat pays qui est le mien, c’est aussi celui de l’enfance, des souvenirs, des joies et des peines familiales et parentales, avec des émotions teintées de lyrisme voire d’ésotérisme, lorsque l’allégresse et la jubilation des printemps heureux s’épanchent inlassablement contre la laideur, la froideur hivernale et lugubre des mauvais jours. Ce plat pays restera à jamais le mien, celui de mes réminiscences immémoriales, celui de mes immortelles racines, celui de ma jeunesse, celui de mon adolescence, celui de mes premiers amours, de mes espérances et remises en question, celui de la maturité et de la vieillesse pour rejoindre ensuite la dernière demeure, trace indélébile de mon éphémère passage…

Ce plat pays qui est le mien, c’est d’abord un éternel héritage, savamment protégé et caché au fond de nos cœurs, un legs que nous transmettrons à notre tour à nos progénitures avec un amour si tendre lorsque l’heure sera venue…Ce plat pays qui est le mien c’est ce génie de la chanson française, un répertoire hors du commun témoin de cette terre et de ces étapes de la vie avec pour soucis de conserver pour chacun d’entre nous cette profondeur et cette once d’humanité qui suscite, au travers des âges, plaisirs étourdissants ou pleurs cruels.

Ce plat pays qui est le mien, c’est un pays influencé par les voix shakespeariennes. C’est celui des étoiles qui, tout là haut, gouvernent nos existences. Aussi, le poète doit être comme l’étoile, qui est un monde et paraît comme un diamant. Mais la mort ne surprend point le sage : il est toujours prêt à partir. D’ailleurs comme le souligne Charles Péguy, « il y a des larmes d’amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel. »

Dans ce plat pays qui est le mien, « la vie est encore plus vie que la vie même. » Ce pays-là, c’est le nôtre, c’est le vôtre mais en priorité…c’est celui de Jacques Brel, infiniment.