Discrimination : pour l’égalité effective

Discrimination : pour l'égalité effective

Comme il était prévisible, l’élection de Barack Obama a mis en lumière le retard de la France dans la lutte contre les discriminations visant les descendants des esclaves et des indigènes des anciennes colonies. Car c’est bien de cela qu’il s’agit et de rien d’autre. Barack Obama a ceci de particulier qu’il est (pour moitié) le descendant d’un habitant de pays colonisé réduit au statut d’indigène par un pays occidental colonisateur.

C’est un handicap dont il a triomphé à titre personnel, grâce à son mérite, en franchissant les obstacles d’un système scolaire sélectif.

C’est aussi un handicap dont le système de choix des élites politiques en vigueur aux USA a triomphé en laissant à Obama sa chance de prouver qu’il était le meilleur.

En France, ceux qui ont réussi à franchir les obstacles scolaires les plus difficiles, s’ils ne sont pas nombreux, ne sont pas rares. En revanche, le système de cooptation des élites leur barre systématiquement la route. C’est la raison pour laquelle la réussite d’Obama, en l’état, est impossible chez nous. Tout le monde le reconnaît implicitement. Tout le monde s’accorde sur le fait qu‘il convient d’y remédier.

Pour lutter contre ces discriminations visant particulièrement les descendants d’indigènes et d’esclaves, il faut admettre que c’est l’histoire de l’expansion coloniale qu’ont subie leurs ancêtres et non la couleur de leur peau qui créée un lien entre les discriminés. La couleur n’est que l’habillage destiné à masquer les ravages de l’histoire.

Dans ces conditions, il va de soi que tout remède fondé sur la couleur serait pire que le mal.

Quant à l’idée de discrimination positive, qui vient d’être relancée, elle mérite d’être examinée. Discrimination positive, c’est une figure de style qu’on appelle un oxymore : la réunion de deux mots de sens contradictoire destinée à frapper l’imagination, à faire de l’effet. Chacun sait (et ceux qui en sont victimes plus encore que les autres) que nulle discrimination n’est positive. La discrimination, c’est au contraire ce contre quoi on doit lutter. L’utilisation d’une formule oxymorique pour exterminer un fléau laisse trop penser qu’on va s’en tenir à de la rhétorique pour suppléer toute analyse. Et c’est ce qu’on a fait jusqu’ici. Mais le temps n’est plus aux jeux de mots.

Si la discrimination positive, ce sont des mesures destinées à garantir l’égalité effective des Français entre eux, alors appelons-la plutôt : égalité effective, ce qui sera une adaptation bien plus convenable de l’idée anglo-saxonne d’"affirmative action’’. L’égalité des droits est inscrite au fronton des institutions françaises, mais elle n’est pas du tout effective pour les descendants des anciens esclaves et des anciens indigènes qui subissent aujourd’hui des discriminations particulières fondées sur des préjugés absurdes.

Quels sont les premiers obstacles à abattre ?

Ceux qui obèrent l’avenir des plus jeunes, les discriminations scolaires, objectives, résultant des ghettos où des politiques cyniques ont parqué les descendants d’indigènes et d’esclaves ; des ghettos qui empêchent leurs plus jeunes habitants de participer avec des chances égales à la sélection scolaire méritocratique sur lequel - c’est un fait - est largement fondé le système de recrutement des élites. On ne peut gagner une course à cloche-pied.

Mais à quoi bon des diplômes si c’est pour rester au bord du chemin ?

S’il l’on ne veut pas que les voitures recommencent un jour à brûler, il faut montrer de toute urgence aux plus jeunes que le mérite est payant et en finir maintenant avec cette discrimination subjective et sournoise des élites qui, à diplôme ou compétence égale, dans le système de cooptation qui complète (et parfois remplace) celui de la méritocratie, donne toujours la préférence au Français qui n‘est pas descendant d’indigène ou d’esclave. Il faut des signes forts témoignant d’une volonté sincère de lutter contre les préjugés révoltants qui frappent les Obama français, ceux qui ont franchi les obstacles de la discrimination scolaire, mais qu’on fait semblant d’ignorer.

La lutte contre la discrimination scolaire a déjà été mise en place de manière sporadique. Il est relativement facile de la renforcer en fonction de critères liés à la situation sociale ou au lieu d’habitation et fondés sur des statistiques objectives et républicaines. Le taux de chômage, par exemple, particulièrement élevé dans certaines banlieues et les départements d’outre-mer. Le principe est simple : donner un peu plus à ceux qui ont moins de chances. Plus de professeurs, par exemple, à nombre d’élèves égal, plus d’heures facultatives. C’est un choix politique.

La lutte contre la discrimination subjective dans la cooptation des élites politiques, économiques, culturelles est plus difficile à mettre en œuvre. Toute démarche fondée sur des quotas reposera fatalement sur des statistiques différentialistes et racistes, conduira exactement à l’inverse de ce qui est nécessaire, exaspérera les tendances communautaires et dressera les Français les uns contre les autres.

Le critère de la couleur favorise les plus médiocres, généralement conformistes et rassurants, et non pas les plus méritants, généralement les plus novateurs, donc les plus difficiles à coopter. Socrate, Descartes, Galilée, Spinoza, Toussaint Louverture, Delgrès, Césaire, Obama étaient dérangeants. Les quotas les auraient éliminés.

Si les victimes des discriminations contre lesquelles on veut lutter sont les descendants des anciens esclaves et des anciens indigènes des colonies françaises, pourquoi ne pas se servir de ce critère objectif qui les identifie pour mettre en place un système – pendant une période limitée - non pas de quotas mais d’incitations ?

Ainsi, dans le domaine politique, les partis, qui concourent à l’expression du suffrage universel et qui, à ce titre, bénéficient d’une aide financière publique importante fondée sur la représentativité (le nombre de voix obtenues, le nombre d’élus) pourraient se voir incités à faire élire davantage ceux de leurs adhérents dont l’un au moins des ascendants est né dans une ancienne colonie française sans avoir la qualité de citoyen français à part entière : une définition qui recoupe parfaitement tous les cas de figure des victimes de la discrimination contre laquelle on cherche à lutter, sans toutefois contrevenir au principe républicain fondamental selon lequel il n’y a pas de distinction de couleur entre citoyens français (loi du 16 octobre 1791).

On pourrait également imaginer que les grandes entreprises puissent bénéficier d’exonérations particulières (fiscales, sociales) lorsqu’elles nomment à des postes de responsabilité des Français dont l’un des ascendants serait, de même, né dans une ancienne colonie française sans avoir la qualité de citoyen français à part entière.

Cette politique incitative devrait naturellement être renforcée par une politique de lutte contre le racisme au moyen d’un aménagement spécifique des programmes scolaires (classes de philosophie, d’histoire, de français, de biologie) et de dispositions particulières dans le cahier des charges des sociétés autorisées par le CSA à exploiter un service public de radiodiffusion.