L’Académie Goncourt se met à Table avec un petit Éditeur

L'Académie Goncourt se met à Table avec un petit Éditeur

Jean-Marie Blas de Roblès, déjà récompensé par les prix du Roman Fnac, Médicis et Jean Giono, est en passe d’arracher celui du Goncourt avec un livre qui défraie la chronique… Voilà près de 10 ans que les convives de Chez Drouant n’ont pas élu un titre édité ailleurs que chez les poids lourds de l’édition française. Là où les Tigres sont chez Eux, d’abord refusé par tout le monde, consacre le talent et la vitalité de petites maisons d’édition qui n’ont pas froid aux yeux pour s’affranchir du conformisme ambiant.

La crise qui sévit dans l’édition française a eu raison du bouclage des prix littéraires autour du premier cercle germanopratin où de grands groupes se taillent la plus grande part du marché. Au fil des ans, la bataille littéraire a cédé du terrain à celle des ventes et des tirages. Pour faire pièce à la critique, l’académie Goncourt a durci ses statuts cette année : les votes par téléphone, la connivence affichée des membres du jury avec une maison d’édition sont prohibés… Toutefois, les mêmes se retrouvent à table lundi, place Gaillon, pour décerner leur prix annuel à 13 heures au livre de leur choix. Ils sont écrivains et publient chez Gallimard, comme Daniel Boulanger, Michel Tournier ou Jorge Semprun, Grasset comme Edmonde Charles-Roux et André Stil, au Seuil comme Didier Decoin, ou chez Albin Michel, comme Robert Sabatier ! Les autres ont parfois changé d’écurie : Françoise Mallet-Joris, Françoise Chandernagor ou François Nourissier…


Cette année pourtant, un éditeur inconnu du grand public est entré dans la sélection finale : Zulma. Avec un livre atypique : Là où les Tigres sont chez Eux, 800 pages découpées en 32 parties, autour d’une enquête sur un jésuite allemand, Athanase Kircher, traversée par les aventures d’une foule de personnages au fil du temps, de l’Europe du XVIIème siècle au Brésil d’aujourd’hui. Un seul auteur paraît disputer la dernière ligne droite à Jean-Marie Blas de Roblès, un écrivain et cinéaste afghan, Atiq Rahimi, avec un premier livre écrit en français chez POL, filiale de la maison de la rue Sébastien Botin. Le pavé du globe-trotter, philosophe, archéologue a fait l’événement, avec 3 récompenses tout récemment attribuées.


Tout d’abord refusé par les éditeurs de la place de Paris, le livre est soutenu par une maison indépendante qui s’est fait un nom dans la littérature érotique et le canular littéraire… des genres classés mauvais genre par leurs pairs. Fondée en 1991 par Laure Leroy, petite main éditoriale au Castor Astral et chez NYX, et Serge Safran, critique littéraire, Zulma fait référence à un poème de Tristan Corbière, et s’est installée à ses débuts dans un petit village de l’Ariège : Cadeilhan. C’est dans une école à l’abandon que les deux vaillants éditeurs fourbissent leurs premières armes. Nous sommes très éclectiques dans nos goûts. Ça donne une ouverture, explique Laure Leroy.

Actu littéraire. Roblès, prix Médicis 2008 — Nouvel Obs.


Avec Jean-Marie Blas de Roblès, le pari est en passe d’être réussi. J’ai lu le Blas de Roblès, récompensé par le Médicis, en 48 heures et avec régal, raconte un libraire : la facture de ce roman est classique, le montage exaltant. Il y a dedans un bel art de la composition. Il ne fait plus de doute que tels caractères sauront ravir les jurés du Goncourt, et puisque les barrières des conventions sont déjà franchies par plusieurs cénacles enthousiastes, la voie semble tracée pour l’écrivain exclu du format d’un système éditorial qui produit du livre au prix du papier.


Depuis 1999 avec les Éditions de Minuit, le prix n’est pas revenu à un éditeur indépendant… Les années suivantes ont fait couler beaucoup d’encre avec l’ouverture d’un mercato pour les écrivains destinés au Goncourt, et une thèse consacrée aux prix littéraires. Le monde littéraire français est extrêmement limité, écrit Sylvie Ducas en 1998. Il se compose de trois cents à quatre cents personnes, dont plusieurs sont à la fois critiques, journalistes, écrivains, jurés, membres d’une maison d’édition, et encore bien d’autres choses paralittéraires. Donc, toutes ces activités se regroupent, toutes ces personnes se connaissent ou ont affaire les unes aux autres d’une certaine façon, et sans qu’il y ait le moins du monde collusion ou corruption au sens courant du terme


Ce travail universitaire a été le coup de grâce porté à un système éditorial usé jusqu’à la corde, où certains se taillent des réputations sans vendre de livres. En 1981, Les éditions du Seuil ont commandé une enquête aux journalistes Hervé Hamon et Patrick Rotman, pour décrypter les arcanes du prix Goncourt. Hervé Bazin, président de l’académie, a fait comprendre à l’éditeur qu’il en allait de l’honneur de l’académie, et certainement de la France. Le Seuil a refusé l’ouvrage, qui a paru chez un éditeur au bord du dépôt de bilan. Mais le mal était fait, et l’aura du prix Goncourt s’est rétrécie au fil des ans et des ouvrages primés. En 2004, Michel Houellebecq quitte Flammarion pour publier la Possibilité d’une Ile chez Fayard, afin d’empocher en 2005 le prix qui revient cette année au groupe Lagardère. La polémique est tellement vive que Grasset fait triompher Trois Jours chez ma Mère.


Il y a peu de chances que le système fasse à l’avenir l’impasse sur ses turpitudes, car elles sont typiquement humaines. En revanche, la pression des lecteurs sur les libraires lui donne déjà du grain à moudre, et il y a lieu d’espérer que les jurés ne se conduisent plus comme des tigres en papier… En ce qui concerne les écrivains, après tout, la meilleure récompense est d’être lu.

 

 


Ce n’est point un roman, et pas même un récit !
Le livre est gros, mais il contient la vie entière,
Sous le ciel bleu, il nous emmène à la frontière
De grands tableaux et du trait fort qui la noircit.


Quand l’énigme au pastel de nos jours les farcit,
Les gens ne lui font pas l’accueil qui fait matière
Aux échos des grands soirs lus chez la papetière,
Nos jurés font injure à l’œuvre où l’oint rancit…


Mais ce n’est plus le cas, dira-t-on tout à l’heure
Lorsqu’ils mettront un bel entrain à ce vrai leurre :
Un prix bien mal doté dont rêve un piètre auteur.


Lui, cherche une écurie où il se dit qu’on damne
Sous le tapis grâce au noir d’encre un bon lecteur,
Mais le public n’y croit plus guère et le condamne.