Creator Vesevo, quand l’art s’empare du Vésuve

<i>Creator Vesevo</i>, quand l'art s'empare du Vésuve

Naples est mondialement connue pour être l’une des villes les plus dangereuses de la planète. Et pas seulement à cause de la délinquance, de la Mafia ou des ordures ménagères qui s’entassent dans les rues. Naples dépend aussi des caprices du Vésuve. L’un des tout derniers volcans en activité qui peut, en l’espace de quelques heures, tuer des centaines de milliers de personnes. Nonobstant, les napolitains n’en perdent ni le sommeil, ni leur sens de l’humour. Et quel plus beau pied de nez au destin que de célébrer ce conflit millénaire entre l’homme et la nature par l’entremise de l’art ?

Que se produit-il donc dans l’esprit des gens de l’aire vésuvienne ? Comment tenter d’apporter une explication à leur enracinement, coûte que coûte, au pied du volcan ? L’on pourrait avancer comme point de départ l’observation d’Edgar Morin selon laquelle "la continuité de la nécessité du risque de mort, à travers l’histoire, prend un sens culturel et anthropologique total : le risque de mort est l’aventure humaine elle-même." Autrement dit, cela vaut toujours le coup de prendre un risque quand il s’agit de prolonger la mémoire. Car l’enjeu de la société humaine est ainsi fait qu’il porte en lui l’acceptation du risque de mourir au quotidien.
En effet, se profile alors comme une menace la possibilité que le chaos spatial et la rupture temporelle précipitent ce monde dans le néant. Et cela ne se peut pas ! Aucune identité, qu’elle soit individuelle ou collective, ne peut exister si elle est privée de sa mémoire. Le salut n’est donc pas dans la fuite, mais dans la volonté de reconstruire, de recommencer encore et encore, vaille que vaille…
Sur le Vésuve, le conflit est en acte. Et le premier d’entre eux est d’y trouver l’équilibre qui, entre nature et culture, au nom d’un bien qui devient beauté, célébrera la re-création par l’esprit. L’art est donc le seul médium pour y parvenir.

Pour oser défier les éléments, il fallait un projet un peu fou, une utopie qui s’afficherait sur les pentes du Vésuve pour narguer le destin et enraciner la présence des hommes au-delà des griffes du feu dévastateur. L’idée germa dans la tête du maire d’Herculanum au début des années 2000. Après trois ans d’obstination, Jean-Noël Schifano, le directeur artistique de cette exposition sculpturale sur les pentes du volcan, l’inaugura sous un soleil de plomb, fin octobre 2005.
Voici donc l’une des ces splendides illusions humaines portées à bout de bras, à force de volonté et d’envie folle de défier le temps, voici le musée à ciel ouvert du Vésuve, Creator Vesevo.

Le cahier des charges était simple : dix artistes vivant en Europe qui devaient réaliser une sculpture en lave du Vésuve. Une première à tout point de vue car ce patrimoine protégé n’était pas censé accueillir des sculptures sur socle. Elles-mêmes encore moins taillées à même cette fameuse lave. En des blocs de vingt à cinquante tonnes, extraits des carrières dans les flancs du monstre, ils furent extraits par des engins titanesques puis dégrossis et sculptés sur les lieux selon une maquette fournie par chaque artiste qui, pour les finitions, se sont offerts le luxe de venir tenir le maillet ou la scie à dents de diamants…
A côté de cette lave le marbre fait office de beurre mou. Ce matériau est hors du commun, stratifié depuis vingt-cinq mille ans, aucun artiste contemporain ne s’y était jamais mesuré.

Une première encore que cette route en lacets qui monte vers le cratère en exposant, fruits de ses coulées de mars 1944, des œuvres faites de la même lave, en une harmonie unique… Dix artistes qui ont trouvé leur place au hasard d’un tirage au sort qui fit bien les choses puisque L’Ange de feu d’Alekos Fassianos, dont le jeune homme ailé du bas-relief appelle les agapes et les feux du soleil couchant, se situe au plus haut vers le cratère. Hasard encore qui positionna Liestening with the Eyes de Mark Brusse est la première station de ce chemin , avec son haut regard antique démultiplié aux quatre coins de l’horizon…
Puis il y aura L’Homme et l’enfant de Johannes Grützke, Le Torse du Vésuve de Miguel Berrocal, sa dernière œuvre avant sa mort ; mais surtout l’immense crâne de Vladimir Velickovic qui rappelle les vanités trimillénaires de ceux qui ont cru occuper Naples et que Naples a absorbés dans sa civilisation : c’est L’Antenato, "L’Avant-né" qui cherche désespérément à mordre l’image de la vie, désir plus fort que tout matérialisé par ce crâne qui se repose, les orbites fiévreuses et ivre des beautés mouvantes qu’il domine jusqu’à la mort de la mort…

Mais le Vésuve ne se trouverait-il pas, par la magie du verbe et de l’esprit en Naples même ? Au-delà du clin d’œil de la perspective qui peut nous le faire penser quand on se trouve sur la terrasse de l’Observatoire, sous le cratère, il y a dans la force tranquille de cette montagne qui crache le feu et qui défie le Ciel comme un chant d’espoir. Et si le Vésuve était le reflet de l’âme de Spartacus, cette étincelle de rébellion indispensable à tout créateur ? S’il incarnait, finalement, la force de la liberté qui brisera les chaînes des hommes et leur inspirera leurs plus belles œuvres ?

Les très belles photographies N&B d’Alain Volut témoignent de cette majesté des choses qui, le temps d’un clic en pleine lumière, deviennent éternelles, comme si le temps infini pouvait révéler que la pierre peut se faire chair quand on sait la regarder sous le bon angle.

Jean-Noël Schifano, Creator Vesevo, 80 photographies d’Alain Volut, édition trilingue (français, anglais, italien), 255 x 245, Gallimard, octobre 2008, 128 p. – 29,00 €