Les nudités des filles : Attention chef-d’œuvre !

<i>Les nudités des filles</i> : Attention chef-d'œuvre !

Oui, le mot n’est pas trop fort, malgré la mode actuelle qui vaut de nommer star la première dinde venue qui se trémousse à la Star Academy et sort son premier album. Le mot, ici, n’est pas galvaudé : il requiert le minimum syndical et le maximum d’affect.

Ce livre est un grand livre, et tout d’abord parce qu’il véhicule une langue, cette fameuse langue française si souvent décriée et malmenée mais si belle en sa mélodie quand, comme ici, justement, elle est ciselée par un compositeur génial qui s’amuse des normes et ose. Le voilà donc notre troubadour des mots qui s’amuse du langage, comme Boulez des notes, et nous démontre qu’il n’y a pas que chez Minuit que l’on publie des auteurs magnifiques.
Les déferlantes, des mêmes éditions du Rouergue (que notre consœur Annabelle avait adoré), ont démontré aussi que le grand public n’est pas un sot dématérialisé que les Médias manipulent, mais bien un esthète, tout comme il l’a prouvé en encensant L’élégance du hérisson, depuis plus d’un an …
Alors, je vous le dis, voici LE livre de cette fin d’année à glisser dans une chaussette d’ici un mois et demi, à une branche d’un certain sapin ; voici un livre pour les amoureux de l’amour et du style, pour les chantres de la grammaire et du beau texte ; et puisque c’est Noël, l’histoire aussi, tant qu’on y est, n’est pas en reste, elle vous emprisonne dans l’antre du narrateur qui n’aura de cesse de vous impressionner par son érudition et son amour passionnel au-delà du possible …

Oui, plongez dans les délices de ce récit d’un amour qui s’en va, non faute d’amour mais faute de vie, faute de chance en cette vie-là qui finira sous le sceau de la maladie et contraindra les amoureux à envisager de se séparer alors que non, il ne faut pas, on ne peut pas l’admettre, comment envisager un éloignement aussi radical alors que le feu de l’amour brûle leurs sangs ?

"Si tuer érotiquement c’est prendre des couleurs, presser des tubes, comme j’aime presser les seins des femmes, étendre sur des palettes, mélanger les acryliques rutilantes comme des limaces, si c’est incliner la tête sur le côté, puis peindre, c’est-à-dire tout oublier, sauf la main qui part on ne sait où, dans sang probablement, pour qu’il coule, se répande, heureux, imbibe les sols, tache les linges blancs, s’écoule des veines gorgées, des corps blanchis jusqu’à l’extase, il jaillit comme une pluie mystique, des flancs, des artères, par à-coups qui marquent la pulsation des cœurs, il m’y faut appuyer très fort le poing pour garrotter cette fontaine, comme un ami chirurgien me le fit faire, presque enfant, sur l’autoroute, en attendant l’ambulance […]"

Si l’amour absolu d’un homme pour une femme peut se décrire d’une manière totalement désincarnée pour magnifier ce sentiment si habile à ne pas vouloir se laisser peindre, alors ce livre est l’aboutissement de cette quête impossible en un récit qui, s’il admet sa forme décousue, parvient à approcher au plus près le reflet qui surnage à la surface du miroir de nos émois. Amour et désespoir, amour et pornographie pour conjurer le sort ou épancher des soifs impures qui souillent le sentiment, à moins que ce ne soit le sentiment impur qui salirait l’hommage fait au corps ? Qui le sait ? Qui peut oser dire que sa démarche est induite par tel alors que le corps s’embrase et prend possession des actes sans remords ni violence mais dans un désir absolu de recherche du plaisir physique, comme si l’orgasme seul pouvait libérer l’âme de ses démons et accueillir l’espace d’une seconde le calme absolu de la volupté …

Si vous lisez ce livre, un avant et un après se dessineront, et vous n’irez plus de la même manière sur les chemins du monde car la visite que vous aurez reçue de ce fantôme si décrié, mais pourtant tant recherché, vous aura métamorphosé.
Comme quoi, un livre est parfois bien plus qu’un livre …

Jean-Michel Rabeau, Les nudités des filles, coll. "la brune", Editions du Rouergue, septembre 2008, 143 p. – 13,50 €