"La Baïne " d’Eric Holder

 "La Baïne " d'Eric Holder

"La Baïne " d’Eric Holder : entrez dans le grand bain de ce roman et laissez-vous porter par le courant des larmes de l’Atlantique

Baïne, baïne, voilà les Dalton, c’était la chanson d’attaque de Jo Dasone, première aux chartes de l’eau de Cologne mais sans Rantanplan chien maton. Bref une chanson à la con qui se situait dans l’Ouest amerloche.
En prenant le roman d’Eric Holder dans tous les sens, j’essayais d’y voir le coulant de la lame de fond qui allait m’emporter cette fois dans le Sud-Ouest. Je dirai même plus en direct du Médoc, et toc. Je ne fus pas déçu par ses personnages campés et décantés au cour de cette aventure amoureuse des plus dangereuse.

Je me suis prise au jeu à déambuler sur les plages de l’atlantique à la recherche de la définition de « la baïne ou bahine : cuvette creusée sur la plage par des courants et conservant l’eau à basse mer comme une baignoire, provoquant d’autres courants au changement de marée », (in lexique de « Montalivet » de Jean Dufour aux éditions Delphine Montalant, page 146).

Comment cette marée moteur pouvait-elle donner corps au titre propice à l’ouvrage en question ? C’était toute l’astuce et le savoir faire littéraire d’Eric Holder. Mais laissons donc aux deux tourtereaux principaux le soin d’énoncer les menaces latentes du phénomène :

« - Tu as senti le courrant ? demanda-t-elle ?
Il tire au large.

- Si un jour tu es emporté (le doigts quitta le sourcil et vint toquer le front, en signe de superstition), abstiens-toi de lutter, contente-toi de flotter, ménage tes forces. Tu échoueras plus loin, à moins qu’on ne te repère. Des hélicoptères assurent la surveillance côtière. (…)
- Certaines vagues peuvent s’avérer dangereuse dès que tu entres dans l’eau. Elles te roulent comme un paquet de chiffons et t’assomment au fond. » (page 128).

C’est une histoire toute simple au demeurant qui se situe principalement à Soulac et ses environs, au pays du Médoc : « la région au milieu du flot. De là vient qu’à Soulac, située près de la pointe, côté salé, on nous prête un tempérament d’îliens » (page 7). Cette précision de géographie appliquée s’imposait à l’esprit germanopratin de certaines lectrices ou lecteurs de cet article.

Sandrine est différente de tout le monde. A l’heure où les touristes envahissent les abysses et tous les interstices laissés vaquant par la population autochtone en état de résistance passive, qui passe de 2819 âme en hiver à plus de 50 000 en été, Sandrine turbinait de juin à septembre dans un château pour apporter quelques sous à sa petite famille. Dans le jargon de ce pays, une personne inconnue du bataillon est appelée « l’Etranger », surtout ci celui-ci a posé ses valises en provenance de Paname et encore plus s’il se trouve en repérage pour un film et cherche une casemate afin que son père porte ses caméras et tourne « L’Enfant du Médoc ». Retour à la case départ, retour en arrière sur les traces de l’enfance où les mioches devenus grands se découvrent un charme et certaines affinités. De ces imbroglios peuplés de souvenirs regimbent la rumeur d’une liaison entre Sandrine et l’Etranger. C’est alors que le pays pur souche louche l’eau de mer à la bouche et en remet une louche qui touche et fait mouche, sous le regard amusé des marées jusqu’à ce que l’arrêt final profile sa tronche d’enterrement.

Eric Holder est un peintre expressionniste des mots qui sait nous offrir la jubilation du mouvement instantané des corps et des êtres qui aspirent à un autre horizon que celui bouché qui dévore le paysage de tous ses préjugés. De cette presqu’île des drames mêmes pas drôles, il sait nous tenir en haleine et s’excuser de donner à partager le point de vue de l’Etranger sans jamais vouloir froisser la susceptibilité des Médocains. Ce roman à contre courant des attendus de la narration en nœud de boudin voue un vif plaisir à creuser au scalpel la personnalité tourmentée de ses personnages attachants et bien vivants, sans jamais virer sa cuti dans le genre pompier décharné du psychologisme bêlant et du nombrilisme ambiant de la littérature de salon.
Lectrices, lecteurs nous sommes comme la ou le surfeur qui retient son souffle et glisse entre les pages de « La baïne » collées dans le rétroviseur, rétrocession de l’infini petit de notre être qui roule vers toujours plus de sang, de sueur, du sperme et des larmes sans aucun état d’âme.

L’été prochain, si vous avez le plaisir de vous frotter aux vagues de l’Atlantique, c’est sûr, votre regard brillera d’un autre feu fou dingue à vos risques et périls.

A suivre : « De loin on dirait une île »d’Eric Holder, éditions du Dilettante (2008) et une prochaine interview de son auteur

La baïne, Eric Holder, éditions le Seuil, 2007 (existe aussi en format poche)