MÉTRO, BOULOT, TOMBEAU ?

MÉTRO, BOULOT, TOMBEAU ?

Les députés ont adopté en catimini, dans la nuit du 31 octobre un amendement, un amendement offrant la « liberté » de travailler jusqu’à 70 ans. Sans aucun dialogue, ni concertation, ni consultation, les « élites » autoproclamées décident, enfermées dans leur bulle, de nous faire « bénéficier » de la possibilité de passer du boulot au tombeau presque sans s’en rendre compte.

Mais de qui se moque-t-on ? Ces parlementaires sont-ils des autistes vivant sur on ne sait quelle planète à des années-lumière de la réalité du monde du travail ? S’imaginent-ils, en prenant quelques cas très particuliers comme Guy Roux ou Luc Montagnier que ces derniers sont représentatifs de la majorité des salariés ? Croient-ils que chacun des membres de l’armée des « cols bleus » et des « cols blancs » de ce pays a la possibilité de vivre un travail passionnant, pour lequel l’étymologie du mot travail (trepalium, sorte d’instrument de torture chez les Romains) paraît totalement décalée ?

Qui va gober cette fable de la « liberté » de continuer à travailler, alors que les « seniors » restent les mal-aimés des « ressources humaines » ? Alors qu’une majorité des salariés de plus 55 ans ne PEUVENT tout simplement plus travailler, parce qu’on les considère comme des vieux bons à rien, ramollis du cerveau, ramollis de la [censuré], pas adaptables, pas flexibles, pas capables d’appréhender les nouvelles technologies ? Et encore, 55 ans, dans le meilleur des cas, car dans certains secteurs d’activité on est considéré comme « senior » à… 45 ans !

Et quand bien même ils le pourraient-ils, en auraient-ils vraiment envie ? Quand les conditions de travail se dégradent d’année en année, sous l’effet des réductions d’effectifs ou d’autres formes « d’économies » qui ont dégradé inexorablement l’environnement et les conditions de travail ces dix dernières années ? A un tel point que même pour ceux qui aiment la belle ouvrage, ceux qui, au départ, aimaient leur métier, le monde du travail devient de plus en plus un repoussoir.

Si l’on peut encore arriver en relativement bonne santé à 70 ans, est-ce que ce sera encore le cas si l’on doit être 10 ans de plus en contact avec toutes sortes de cochonneries de produits bizarres si l’on est « col bleu » ou soumis à 10 ans de plus de stress si l’on est « col blanc » ? Stress qui peut être un poison aussi redoutable que les poisons chimiques, susceptible d’entraîner maladies cardio-vasculaires, troubles psychiques, voire cancers ? Dans cette période l’état de santé a une forte probabilité, dans ces conditions, de se dégrader à la vitesse grand V…

Et n’aurait-on pas tout simplement le droit de VIVRE et de profiter d’un peu de liberté, dans des conditions décentes, à l’automne de sa vie ? De s’occuper de ses petits-enfants, de se consacrer à sa passion ?

Du reste, qui serait « contraint à être volontaire » pour continuer à marner après 65 ans ? Pas ceux qui ont un travail intéressant et bien payé, mais au contraire ceux qui ont les emplois les plus mal payés, ceux qui ont subi la précarité dans leur jeunesse ou au cours de leurs parcours professionnel, et bien souvent, par la même occasion, ceux qui réalisent les travaux les plus pénibles et les moins intéressants.

Et dans l’autre sens, si l’on souhaite avancer l’âge de son départ, la seule possibilité est le rachat de trimestres. Mais le coût en est si exorbitant (sans commune mesure avec le coût « normal » d’un trimestre) que seuls quelques cadres – très – supérieurs peuvent matériellement se le permettre.

Plutôt que de rechercher à réduire l’écart entre la cessation effective d’activité et l’actuel âge légal de la retraite, ces députés autistes décident, par pure idéologie, d’augmenter un âge théorique qui aura encore moins de chances d’être atteint que celui en vigueur actuellement. Objectif qui a peu de chances d’être atteint tant que la logique actuelle du capitalisme financier n’est pas remise en cause, tant que la libre circulation des capitaux ne sera pas abandonnée, tant que la dictature du court terme sévira, tant que la liberté du chantage à l’emploi, visant aussi bien les États et les collectivités que les salariés, persistera.

Ils décident pour nous, sûrs d’appartenir à l’autoproclamé « cercle de la raison », ne jugeant même pas nécessaire de consulter, même pour la forme, les partenaires sociaux. Les gueux sont sans doute incapables de comprendre ce qui est bon pour eux… Mais combien de ces politiciens professionnels ont – réellement – connu le monde du travail ? Du côté d’un « grouillot de base », bien sûr, pas depuis un poste privilégié.

Quand on sait le régime très spécial dont bénéficient les parlementaires, cela pose une nouvelle fois le problème de l’exemplarité des « élites », qui se montrent incapables de s’imposer à elles-mêmes les sacrifices qu’elles imposent aux autres. Les « soldats de la guerre économique » suivront un officier qui escaladera le premier le parapet sous les balles, mais certainement pas des généraux leur ordonnant « en avant » par téléphone, bien à l’abri dans leur bunker à l’arrière.