A la découverte des Géants urbains

A la découverte des <i>Géants urbains</i>

L’illusion du monde dans lequel nous vivons nous a affranchi des contraintes. On en voit aujourd’hui le résultat sur les marchés financiers. Toute aussi déraisonnable est cette architecture fantastique que le gigantisme d’aujourd’hui semble vouloir matérialiser : se situer entre la marche en avant qui s’apparente à de la science-fiction et les designs utopiques des architectes radicaux des années 1960. Le mariage de ces deux courants donne naissance à de nouveaux buildings urbains, comme un défi lancé à la gravité.

Dès la couverture le ton est donné : nous sommes ici dans la démesure, dans ces immeubles dits de grande hauteur qui n’ont plus rien à voir avec ce que l’on connaît. Le message est clair : la verticalité n’a jamais été aussi pleine de vitalité ! Pour vous le prouver, au cours de ces deux cents pages seront analysés trente-deux constructions récentes ou en cours de réalisation, trente-deux terrains de jeu pour les plus visionnaires de nos architectes qui allient le sens de l’esthétique contemporain au concept qui veut que les limites soient toujours repoussées plus loin.

La folie créatrice n’a pas habité les architectes depuis quelques décennies mais depuis plus d’un siècle : Hermann Finsterlin (1887-1973), Hans Scharoun (1893-1972) avaient des rêves fous, sans parler de Antoni Gaudi (1852-1926) qui imaginait un gratte-ciel hôtel délirant à New York ou encore Mies van der Rohe (1886-1969) qui pensait construire deux gratte-ciel à plan curviligne et triangulaire … Certains ont vu le jour, et petit à petit nous nous sommes habitués à côtoyer ces formes futuristes. D’ailleurs, un géant en forme de voilier ou de cône n’est pas plus pop que kitsch : il s’agit d’un choix qui est le signe d’un rejet de la science académique pour laisser la place au rêve …
Désormais, en levant la tête, vous risquez bien de tomber nez à nez avec une forme qui vous rappellera un dessin de Moebius ou de Enki Bilal. Nous sommes bien dans un monde en mutation qui s’est offert bien des libertés.

Seagram BuildingTout débuta dans les années 1950 quand Mies van der Rohe et Le Corbusier brisèrent les chaînes qui entravaient les codes de construction et osèrent les parallélépipèdes en métal, verre et ciment du Seagram Building et du siège des Nations unies, par exemple. Naquit alors une élégance anti-décorative, une idée de sérialité, de modularité et une certaine rigueur dans un ensemble associé à détails qui signaient l’arrivée de l’ère des constructions étincelantes. Elles offraient aussi une densité d’habitation jamais égalée, dont le point d’orgue fut les Twin Towers de Manhattan.
Le postmodernisme a réévalué les idéologies modernistes de rigueur comme celles de transparence tectonique et fonctionnelle. Les innovations techniques donnèrent soudain une liberté totale à l’architecte qui laissa son imagination prendre le pouvoir : treillis structurels, indépendance relative et croissante de l’enveloppe externe et des espaces internes. Des thèmes symboliques émergèrent avec force, aux frontières des catégories architecturales que les gratte-ciel évoquent de par leur nature même.

Hearst Tower

Mais attention ! La métropole planétaire fourmille de constructions excessives et inexplicables, soumises à des exigences écologiques durables. De fait, elle semble même devenir folle : en attendant le cataclysme endémique de Blade Runner peut-on penser qu’elle s’inscrit dans un genre fantastique, dans l’attente d’une science-fiction supposée, désirée ?
Quelque chose est en train de se passer, qui était déjà annoncé par Spengler et Le Bon, par des signaux catastrophiques lancés par des historiens considérés comme ultraconservateurs. Mais devons-nous encore déchiffrer un message à travers ce gigantisme toujours poussé en avant ? Doit-on relire Nietzche, prophète du Surhomme au bord de l’abîme qui disait : "Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante."
Tournons les pages de cet album et grisons nous de ces constructions affolantes … la réponse y est peut-être, en image subliminale.

Merveilleusement mis en pages, dans un format qui redonne l’éclat nécessaire aux photos et schémas pour apprécier toute l’élégance de ces immeubles incroyables, ce livre abrite des trésors, parmi lesquels le Taipei 101 (101 étages pour 508 mètres de haut) qui possède les ascenseurs les plus rapide au monde : certains parvenant au sommet en 39 secondes, soit la vitesse de 60 kilomètres/heure ! Mais ce n’est pas tout : une boule d’acier de huit cents tonnes est suspendue au 92e étage pour amortir entre trente et quarante pour cent des mouvements de l’édifice provoqués par des vents violents, voire un séisme …
La HSB Turning Torso Tower de Malmö (qui illumine la couverture du livre) a une silhouette qui s’étire jusqu’à 190 mètres de haut. Composée de neuf cubes encastrés sur un noyau central – une intention manifeste de l’architecte de transmettre l’idée d’une torsion, d’un mouvement analogue à celui du corps humain – elle offre des volumes extraordinaires et grâce aux vastes vitrages, les appartements sont lumineux et donnent une vue panoramique à couper le souffle.
La Hearst Tower, conçue par Foster à New York, est tout en contrastes et s’insére habillement dans le bâtiment préexistant tout en s’en détachant. Sa structure métallique en losanges qui se superpose à la paroi de verre et s’élève jusqu’à 182 mètres ne fait pas oublier le socle Art déco, dont les angles arrondis sont décorés de gigantesques colonnes surmontées de statue. Au contraire, il y a comme une prolongation, une fusion des styles qui respecte ce bâtiment emblématique datant de 1928 qui est la base d’un gratte-ciel jamais réalisé.
Tout aussi incroyable, la bague du CCTV formée par deux énormes L renversés et reliés l’un à l’autre : le volume ainsi créé et pixellisé du nouveau siège de la télévision chinoise enveloppe et recouvre l’espace public sous-jacent à travers la grande cavité centrale.
Enfin, le plus fou de tous – à ce jour – le Burj Dubai Burj Dubai qui devrait atteindre les 818 mètres et être livré mi 2009 ! Une forme de tour hallucinante qui s’inspire de l’hymenocallis, une fleur du désert. Elle s’élève en spirale vers le ciel en s’affinant progressivement : mise en chantier en 2008 … Mais il y aura aussi pour 2010 la Burj Qatar, à Doha, immense suppositoire de 231 mètres au revêtement qui reprend les motifs du moucharabieh et crée des effets qui varient selon l’incidence des rayons du soleil ; ou pour 2011, à Londres, The Pinnacle dont la surface vitrée ira s’enrouler sur elle-même dans une forme de spirale, de la base au sommet.

Antonino Terranova & Gianpaola Spirito, Géants urbains, coll. "Architecure", relié sous jaquette, 205 x 375, 250 photos couleurs et dessins d’architecte, Editions White Star, septembre 2008, 25,00 €