Kill Bill

L’opus premier du récent film de Quentin Tarantino, dont n’est pas seulement un hommage aux films de Sergio Leone et autres monuments du Septième Art. Il est une fresque de la vie, une tranche d’humanité. Avec sa tristesse, sa violence, son effervescence.

Mais il ne serait rien sans musique. Il convient donc de se pencher sur la bande son. « The original soundtrack from the 4th film by Quentin Tarantino », comme indiqué sur la pochette, est une pure merveille. Emotion, décalage, clin d’œil, références multiples.
Ambiance.

Eterniser l’émotion musicale sans l’altérer ? Difficile mission car le décor intérieur n’est pas reproductible. La chute de l’absolu a déjà eu lieu à la fin du film. Le générique de fin a marqué ce passage de l’extase à la déception. Mais en se précipitant chez son disquaire (ou sur le Web), on réussira à poursuivre le plaisir.
Si la musique est féerique, le film est temporel, il y a donc au départ une adéquation qu’il faudra résoudre. Comment vous parler d’émotion, vous transcrire en mots la musique qui va si vite ? Il faut s’offrir au vide pour la percevoir dans son entier, sans mentir au monde. Cadences et harmonies explosent dans vos oreilles tandis que vos yeux suivent la mécanique implacable du film. Lyrique et violent, il se repose sur la musique, ironie du sort, qui embrase l’émotion et stigmatise l’esthétique. Couleurs. Jeux d’ombres. Ralentis. Angles de vues. Tout est fait pour rendre beau l’insupportable. Miroir qui nous (re)tient dans la double psyché solidaire du fabricant d’images et du spectateur …

Le génie d’une bande son consiste donc à ne pas en confier sa réalisation à un seul compositeur, aussi talentueux soit-il. Serra ne ferait que du Eric Serra, Morricone ne ferait que du Ennio Morricone, Cosma ne ferait que du Vladimir Cosma, etc. Tarantino a donc décidé de reprendre des classiques, de les faire adapter, avec aux commandes le maître Quincy Jones. Puis de demander à des fous chantants géniaux de transmuter les musiques selon les scènes du film, en puisant dans les fondamentaux. Ainsi l’on traverse les thèmes d’"Hawaï Police d’état", "Drôles de dames", "Starsky & Hutch", mais aussi d’"Il était une fois dans l’Ouest", des "Sept Mercenaires", etc. Des clins d’œil à peine perceptibles, quelques secondes seulement où le thème est joué pour être aussitôt cassé, fondé, démantelé et recomposé dans une autre mélodie. Musique et images se marient dans l’éther du cadre minéral qui réfléchit devant vous l’histoire incroyable de cette vengeance impitoyable.

Premier plan du film : N&B, visage ensanglanté d’une femme qui a du être jolie, une voix grave dont on ne voit que la main qui nettoie le sang sur la joue et la tempe de la belle meurtrie. Monologue. Coup de feu. Noir.
Générique.
"Bang bang (my baby shot me down)". La célèbre complainte de Nancy Sinatra, ressortie de son formole où elle dormait depuis 1966, nous est servie dans une version d’une rare sobriété, mais la voix est magnifiée pour donner toute sa puissance. Nous savons que nous entrons dans la gravité. Mais aussi dans la sensualité. Nous sommes d’ores et déjà sous influence. Saisis. Pétris dans notre fauteuil. Le corps s’est libéré de l’esprit, nous ne sommes plus que sensations …
"That certain female" est un rock n’roll dans la plus pure tradition des blacks de Harlem qui nous le firent découvrir et aimer. A la deuxième écoute, l’on devine un appel du pied du côté des Stray Cats. Nos mocassins peuvent alors recouvrer vie sur la moquette du Kinopanorama … C’est vibrant, c’est poignant et amusant. Décalage. Une tête vole dans une gerbe de sang. Le sabre a rendu son jugement. Implacable …
La mort rode, le dessin s’immisce dans la trame du récit, nous voilà plongé dans le western version XXIe siècle, avec ses clins d’œil aux musiques d’Ennio Morricone : "The grand duel" mêle le son caverneux de la guimbarde, la voix clair d’une soprano et l’harmonica vibrant dans l’affolement de nos sens. Nous sommes à la fois dans l’Ouest américain du vilain Henry Fonda et dans le Japon des samouraïs. Dans un film noir et dans un manga … Le dessin animé force encore un peu plus cette musique qui fait resurgir les rémanences des bandes originales de nos films de légende, gardées bien au chaud dans un coin de notre mémoire. Et le retour est flamboyant, piégés que nous sommes face au déroulement de l’histoire, à la musique qui nous glace le dos, aux repères inconscients qui se dessinent. L’émotion prend possession de notre carcasse. Tarantino jubile, il nous fait jouir et l’on en redemande … Voilà du vrai, du grand cinéma. De l’émotion pure. De la glace bleue qui se pique de vous brûler l’âme. Miroir de nos catharsis, Kill Bill est la main qui nous retourne comme un vieux gant fatigué pour nous exposer à la lumière de la vérité suggestive … Subconscient enfin. Oubliée la fleur jaune de la mélancolie. Musique comme une cascara qui nous nettoierait dedans. Du drame jaillira le feu, de nos entrailles naîtra le lendemain.

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Il y a ici des tonalités, des pigments, une auréole qui flotte sur le chemin de la souvenance : "Blue Velvet" ou "Twin Peaks" d’Angelo Badalamenti s’imposent à nous. Et l’émoi s’amuse à rappeler l’émotion suscitée par le spectrale "Into the night" que Julie Cruise distillait de sa voix claire et envoûtante. La même Julie qui imposa son sceau sur la bande d’"Until the end of the World" de Wim Wenders.
Et pour nous prendre encore à contre pied, voici "Twisted Nerve", siffloté comme le grand Fred savait si bien le faire entre deux pas de claquettes … Mais on ne danse pas ici, on tue, on empoisonne, on survit, on se venge … On mord ! Musique maestro !

Le génie de ces partitions surréalistes est dans sa superposition aux images : nous sommes en pleine scène de combat au Japon, mais on vous inonde de mélodies mexicaines, des trompettes, des cuivres … et l’on chante en japonais ; et tout ce petit monde s’étripe à coups de sabre … Hémoglobine et pas de deux, danse du combat et aria vibrant de passion impossible. Fermez les yeux : vous êtes à Fort Alamo. Ouvrez-les : vous êtes au milieu des yakusas !
Un trio déjanté de japonaises nus pieds (les 5,6,7,8’S) joue du bee-bop à l’accent rock, ou bien est-ce un jerk tinté de disco-transe-dance ? "Woo Hoo" est une pièce à ne pas écouter après un verre de trop car vous ne pourriez pas résister : vous seriez pris d’une envie de danser irrésistible, une transe s’emparerait de votre corps le temps d’une folie acoustique.

Tambours et basses à fond de cale, tempos psychédéliques, guitare acoustique, flamenco qui se déchire en disco ("Don’t let me be misunderstood"), tchatchatcha ou twist chanté en japonais ; ballade, suite ou complément musical typique des musiques d’ascenseurs, tout est à sa juste place, en harmonie parfaite avec l’image, l’action, la mise en scène … Plan séquence, dédoublement du cadre, travelling, chaque image possède sa musique ou son silence. La magie du film se résume dans cette alchimie réussie …

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Et tout se termine avec "The lonely shepherd", une pièce sublime que l’on doit à Zamfir, où la flûte de pan nous vrille le cœur et la gorge. Pour les moins jeunes, cela vous rappellera "El Condor Passa" ou les grandes pièces de Vladimir Cosma ; et vous ne cesserez plus de siffloter le thème de cette ballade toute la journée, de l’imposer à vos collègues de bureau, de la faire hurler dans la voiture sur le chemin du retour, puis de regarder la lune briller dans la nuit projetée, avec encore et toujours cette musique qui tourne en boucle sur votre chaîne hi-fi ; les voisins taperont à votre porte, le chien hurlera à la mort, la lune sera partie depuis longtemps, mais vous serez toujours planté, là, devant votre fenêtre, avec cette rengaine lancinante qui vous cloue ses accords dans le cœur, et votre esprit qui s’est vidé, enfin, pour nager quelque part, sur les nuages blancs qui ne sont pas de la neige mais l’immaculée de vos désirs …

Pour les amateurs de VO, et ceux qui ont une très bonne mémoire, des bonus sont intercalés entre certaines chansons, et vous ferons recouvrer certaines répliques cinglantes. Plus cinq plages supplémentaires à écouter en voleur de sons, cinq cadeaux en sus des 17 indiqués sur la quatrième de couv du CD.

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