Le Rendez-Vous manqué de "Vendredi"

Le Rendez-Vous manqué de "Vendredi"

L’info a quitté les kiosques à journaux, semble-t-il, puisque des journalistes emblématiques de la presse écrite ont décidé de les garnir d’une recension des meilleures, tirées du Web cette fois-ci… Vendredi est un hebdomadaire qui prend le contre-pied de la tendance actuelle : il veut faire l’expérience de la régression technologique en inventant l’agrégateur papier.

Est-ce bien raisonnable, quand tous les papis ont déjà clos leur session d’initiation auprès de leurs djeuns ? On y trouve une collection d’articles parus dans la semaine sur les blogs et les journaux en ligne, ce qui veut dire que le rédactionnel n’est pas cher payé, voire pas du tout, et l’enquête est complètement absente ! Mais quelle satisfaction pour l’internaute d’acheter le journal où figure l’article qu’il a posté plusieurs jours auparavant sur le Web ! Succès garanti auprès des copines… Là où le bât blesse, c’est que l’information n’est pas plus garantie que dans Le Monde, et n’a pas le goût de l’original.


Un point pour lui et je le confesse, il est une nouvelle que j’ai manquée cette semaine, et je me demande à présent si je dois le regretter. La sortie de Vendredi m’a surpris à midi, et je n’ai eu que le temps de feuilleter ce nouvel hebdomadaire avant de chercher à en savoir plus au sujet de ses éditeurs. Le format est amusant, il fait penser à une page Web, alors qu’il a été pensé en fonction de gazettes anglo-saxonnes. Gage d’excellence ? Si je prends cette source comme une autre, en tout cas ne puis-je y rechercher quelle idée ou quel lobby a pu exciter la plume du rédacteur ! C’est vous, c’est moi… J’espérais en savoir un peu plus sur les motivations de ceux que je lis sur la Toile, trouver à la place de leur matière brute un peu de champ sur les débats qui s’y tiennent, des analyses sur les tenants et les aboutissants de telle ou telle campagne médiatique… Je n’ai pas tout lu : j’ai eu tout de suite l’impression de l’avoir déjà fait.


(Réclame)


Nos intellectuels, journalistes et experts sont, eux aussi, très peu préparés à un autre effondrement, énorme celui-là, qui concerne le socle de croyances et d’idées qu’ils professent depuis la chute du mur de Berlin, écrit dans son 1er éditorial Philippe Cohen, rédacteur en chef de Vendredi : voilà pourquoi, au lieu de vilipender le monde d’Internet qui leur fait si peur, ils devraient se connecter ! Bel hommage au filon que ses fondateurs ont découvert et exploité depuis un bon moment. Philippe Cohen a quitté pour Vendredi la direction de l’édition en ligne de Marianne, et Jacques Rosselin Courrier International, autre magazine de recensions de nouvelles internationales, où il a éprouvé avec succès depuis 20 ans la même recette. Perplexe, Le MAGue a demandé au rédacteur en chef fondateur de Vendredi de nous expliquer cette étrange idée :

Le MAGue : Quelle est la cible de Vendredi ?

Philippe Cohen : Ceux qui voudront bien miser 1,5 € pour le lire ! Nous ne sommes pas des marketers, mais des journalistes, et nous ne visons pas un public en particulier. Ceci étant, je crois que ce journal intéressera tous ceux qui aiment l’actualité et ont l’habitude d’aller en kiosque. Ceux qui aiment les bonnes informations, les bonnes analyses et les bons commentaires vont se retrouver dans les colonnes de Vendredi. Comme à la rédaction, nous aimons ce qui sort de l’ordinaire, nous n’avons pas l’intention de faire un TF1 du Net. Nos lecteurs sont ceux qui ont envie de s’informer en se marrant !

Le MAGue : Quelles informations trouve-t-on dans Vendredi ?

Philippe Cohen : Notre équipe, qui compte une dizaine de personnes, sélectionne en priorité les informations dont les médias ne parleront pas, ou pas de cette façon. Donc des infos inédites d’une part (comme l’affaire sur les Restos du Cœur dans le n°1) mais aussi des commentaires corrosifs, des témoignages, des analyses iconoclastes, des portraits à charge, le tout avec un esprit satirique. Cela représente beaucoup de travail. Un internaute seul dans son coin n’a aucune chance de réunir la même somme d’informations, sauf à y passer des heures ! J’en prends pour témoin Éric Dupin, l’un des rares blogueurs vivant de leur art, qui a écrit sur son blog qu’il a lui-même beaucoup appris en lisant notre numéro zéro.

Le MAGue : Justement, quel choix éditorial avez-vous fait ?

Philippe Cohen : Je ne pense pas qu’on puisse faire un journal neutre ou objectif. Nous n’avons pas la prétention ni le désir d’être le miroir du Net, et encore moins le TF1 du Net, qui se contenterait de publier les infos qui buzzent. Pour autant la ligne éditoriale n’est pas une ligne politique. Un journal correspond forcément à une vision du monde, et la nôtre est plutôt critique à l’égard du système. Mais notre équipe est diverse, ce qui facilite la liberté intellectuelle du journal. J’ai participé à la création de Marianne et Jacques Rosselin a fondé Courrier International. De la même manière, notre journal n’appartient pas à un groupe de presse. Nous avons ensemble, avec Emmanuel de Moutis, Jacques Rosselin et Pierre Bergé réuni le capital nécessaire au lancement de Vendredi.

Le MAGue : Reprenez-vous stricto sensu ce qui s’écrit sur Internet ?

Philippe Cohen : Le journal comprend enciron 25 à 30% d’articles originaux : des chroniques et des éditoriaux, mais aussi des enquêtes effectuées par nos propres journalistes, enquêtes réalisées presque exclusivement sur le Net : ainsi pour ce n°1, la netenquête (c’est le nom que nous donnons à cette investigation sur le Web) sur les dérives spéculatives dans le secteur des éoliennes, ou le portrait saillant de Christine Lagarde, lui aussi puisé entièrement sur le Net. En ce qui concerne la vérification des sources, nous reprenons les informations de sites et de blogueurs, qui, d’expérience, nous paraissent fiables. Lorsqu’il y a un doute, nous pouvons être amenés à croiser par nous-même les informations à publier.

 

 


La presse a bien du mal à descendre un étage,
Celui du ciel lui sied comme un gant, dirait-on
À voir les bâtiments faits d’un trop beau béton
Où elle est bien assise et dont elle est l’otage…


Quoi de neuf ? D’un écho, il faut faire un battage,
Du papier, s’il s’en vend tout va bien au fronton,
Tant pis ! Car au sous-sol le plomb vire au laiton
Or, rien ne presse au siège où l’on rêve au portage.


Au fond, comment coucher l’écran d’ordinateur
Sur le marbre au profit d’un plus trouble éditeur ?
Ce problème est encore un os qui vaut le coup…


Elle est prise à son jeu de nourrir de mensonges
Son petit monde et le public lui doit beaucoup :
La presse a bien vécu sa splendeur dans les songes.

 


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