La FANNY de Pagnol… par la Comédie-Française

A l’invitation de VENDREDI SI CA ME DIT, la nouvelle émission culturelle de France 2 animée par Christophe Hondelatte, j’ai assisté en compagnie de l’écrivain et chroniqueur Bruno de Stabenrath (que je n’avais étrangement encore jamais rencontré et qui est très sympa) à la représentation de Fanny par la troupe de la Comédie-Française au Théâtre du Vieux-Colombier. Le second volet de la célèbre trilogie de Pagnol y sera joué jusqu’au 31 octobre.

Pour un Marseillais de base comme moi, il est d’abord perturbant, voire carrément exotique, d’entendre jouer Pagnol avec des accents nordiques, sachant que pour un habitant de l’antique cité phocéenne le Nord commence au dessus d’Aix (en Provence)… Ca parle pointu, il m’a même semblé que César avait des accents ch’tis et Panisse, interprété magistralement par Andrzej Seweryn, ne dissimule pas ses origines slaves… Oui mais voilà, au bout de quelques minutes et quelques ricanements chauvins plus loin, on se laisse emporter par le texte ! Que je connais par cœur, mais j’ai ri et j’ai pleuré comme à chaque fois.

Je me réjouis que la Comédie-Française s’empare de l’œuvre de Pagnol, qui est pour moi un des meilleurs ! Il était temps, à vrai dire, comme si avoir l’accent marseillais suffisait à être mésestimé, alors que la trilogie est une œuvre majeure, qui s’inscrit désormais comme un classique du théâtre français. Cet hommage tardif n’est que justice !
N’avez-vous jamais entendu cette expression méprisante et à mon avis méprisable de « pagnolade » ? Et pourtant, qui dit mieux que Pagnol ? Pagnol qui, au-delà de la pantalonnade folklorique qu’on a longtemps voulu y voir dans une France culturelle encore très jacobine, porte à l’universel l’esprit marseillais.

La trilogie est jouée dans le monde entier, du Japon à la Suède, de Broadway à Moscou, et avait à l’époque fait l’objet d’un remake hollywoodien (assez médiocre). La metteur en scène Irène Bonnaud a d’ailleurs choisi d’en sublimer l’intemporalité, mêlant la musique de Vincent Scotto (qui ne m’est pas tout à fait étranger) à celle de Jacques Demi, ou dotant Panisse d’un téléphone portable, par exemple.

Pourquoi pas ? Les mariages forcés et le fait que les vieux messieurs qui ont de l’argent se payent des jeunes femmes n’est rien moins qu’actuel…
Le choix du second volet de la trilogie est judicieux, car il se situe au paroxysme de la tragédie (qui commence et finit dans la bluette avec les volets 1 et 3). Car Pagnol, c’est de la tragédie ! Oui, mais la tragédie des petites gens, des gens ordinaires… et la littérature a l’esprit de sérieux : alors l’accent marseillais, la rigolade et les filles de poissonnière, ce sont trois handicaps au pays des Belles Lettres, de Racine et de Corneille, avec leurs tragédies compassées mettant en scène des rois et des princesses de l’antiquité. Le grand Molière lui-même en son temps avait eu à souffrir ce mépris…

Faut-il jouer Fanny avec l’accent marseillais est encore une autre question. A l’heure où Fanny se joue à Paris, à Marseille une troupe belge joue Manon et Jean de Florette avec l’accent belge, forcément, et remporte un certain succès. Roger Hanin a joué César avec l’accent pied-noir (assez mal à mon humble avis) et Plus belle la vie cartonne à Marseille (ce qui reste d’ailleurs un mystère pour moi) alors que dégun y a l’accent marseillais, et pour cause… Même si en se référant à la version cinématographique originelle, il semblerait que Pagnol ait donné des consignes à Pierre Fresnay pour qu’il prenne l’accen : je dis bien « il semblerait » car personne à Marseille ne prendra jamais l’accent de Fresnay dans le film pour l’accent marseillais. Fresnay est parisien, Orane Demasis joue comme une pantoufle, et alors… ? Déjà un chef d’œuvre, car tout est dans le texte, on y revient !

Pour ma part je n’essaie jamais de gommer mon accent marseillais, et j’aurais trouvé tout aussi ridicule que la jolie Marie-Sophie Ferdane, qui campe « la petite Fanny », s’oblige à prendre un accent marseillais de comédie. Ce n’est pas la « revue nègre », pour laquelle les acteurs blanc camembert se barbouillait la gueule au cirage pour jouer les noirs… Le parler marseillais est vivant, riche et foisonnant, cher au cœur des marseillais qui le parlent couramment, c’est tout naturel. Il a son dictionnaire, rédigé par l’Académie de Marseille, petite sœur de l’Académie Française, une noble institution datant de 1720 ! Mais pour autant le marseillais n’est pas une langue étrangère et Pagnol est un auteur parfait, dont je prétends que l’œuvre est à considérer du point de vue de la francophonie. Je me souviens d’ailleurs avoir été une fois invité au musée Dopper à Paris, le musée des arts africains, pour parler du marseillais dans le cadre d’un colloque sur la francophonie.

Je ne vois pas qui, pour réciter par exemple du Césaire, se croirait obligé de prendre l’accent africain, à part Michel Leeb peut-être… Car Pagnol est simplement universel, je vous le répète volontiers.