Tout le Monde se dispute le Cadavre de Coluche

Tout le Monde se dispute le Cadavre de Coluche

Le film sort bien mercredi ! La justice a débouté l’agent du défunt Michel Colucci au terme d’une procédure en référé pour avoir réclamé le retrait de la mention l’histoire d’un mec des affiches et du générique du film que l’animateur de télévision et maintenant cinéaste Antoine de Caunes a réalisé sur le sujet de la campagne électorale qu’a menée Coluche en 1980.

Paul Lederman, qui est demeuré l’agent de l’artiste jusqu’à sa mort dans un accident de moto en 1986, n’a pas apprécié le projet d’Antoine de Caunes, qui consiste à faire revivre l’épopée homérique pour laquelle tous les Français se sont passionnés à quelques mois du dépôt des candidatures officielles pour l’élection présidentielle de 1981, qui fut en définitive, emportée par François Mitterrand. Trouvait-il le point de vue du réalisateur trop politique, une vision trop étriquée des faits ? C’est en tout cas l’avis de Romain Goupil, alors son assistant, qui conseille à l’humoriste de se présenter aux élections présidentielles après son éviction de RMC, persuadé que l’humoriste a l’opportunité d’une tribune pour s’exprimer sans être censuré.


Pour Paul Lederman, il s’agit avant tout de faire un gros coup de pub. Coluche et son équipe acceptent tout d’abord l’idée, en la considérant comme un gag. De tout temps, les scrutins électoraux ont invité des fantaisistes à mesurer leur popularité en réclamant les suffrages des électeurs. Alphonse Allais avait ainsi brigué un siège à l’Assemblée nationale aux élections du 20 août 1893, en proposant de construire les villes à la campagne pour que les enfants puissent profiter du bon air… Au siècle suivant, les étudiants du quartier latin se sont mobilisés pour faire aboutir celles de Ferdinand Lop, qui projetait de prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer. Autant de projets a priori stupides qui ont trouvé plus tard des volontés politiques pour être mis en œuvre !


Mais pour Romain Goupil, militant gauchiste des Comités d’Action lycéens de mai ’68, l’occasion est trop belle de mettre à nouveau la pagaille dans le pays. Très vite, Coluche, fils de prolétaires, s’aperçoit que les exclus attendent beaucoup de sa candidature. Plus sa cote augmente dans les sondages, plus le pouvoir se raidit. Les études d’opinion lui accordent jusqu’à 15% d’intentions de vote. Des pressions s’exercent alors sur ses proches ou sur les médias pour qu’il abandonne la course. La Gauche, elle-même, voit d’un très mauvais œil la candidature de Coluche, persuadée qu’elle peut nuire à celle de François Mitterrand en mordant sur les franges fumistes de son électorat, persuadées qu’ainsi, elles verraient l’imagination au pouvoir. L’humoriste renonce, à quelques semaines du dépôt des candidatures… La farce a failli mal tourner.

L’Histoire de ce Mec est encore Sujet à Controverse


Pourquoi revenir sur cet épisode malencontreux de la vie politique française ? Le cas de Michel Colucci n’est pas banal, mais il n’est pas exceptionnel non plus. Chaque génération s’est amusée des candidatures loufoques et c’est un des travers bien sympathique de la République française. Notre personnel politique cultive cependant le mythe qu’il pratique un art noble, et se sent en ce moment très mal perçu par les électeurs. Il ne cesse de redorer son blason à coups de déclarations tonitruantes, tout en surveillant les taux d’abstention avec un œil des plus vigilants. Le film d’Antoine de Caunes a bénéficié d’une promotion facile, et il faut reconnaître que l’image de Coluche est toujours excellente dans le public.


De qui s’agit-il pourtant ? De l’humoriste vulgaire, d’une personnalité du Tout Paris un peu trash, du promoteur des Restos du Cœur ou du candidat aux élections présidentielles de 1980 ? Le personnage est forcément multiple, et Matthieu Cordelier, avocat à la Cour de Paris, spécialiste du droit à l’image et du droit d’auteur, estime que le sujet d’Antoine de Caunes est bien choisi : en présentant un aspect public de l’humoriste, le cinéaste évite beaucoup des chicanes juridiques en ce qui concerne le respect de la vie privée. Le point de vue politique est pertinent, dans le sens où il traite un problème politique, un fait de société au travers quelques mois de la vie d’une personne.


Bande Annonce du Film


En revanche, reconnaît-il sans se prononcer sur le fond, la plainte de Paul Lederman est habile : propriétaire des droits d’un sketch de Coluche intitulé Histoire d’un Mec sous le Pont de l’Alma, il est fondé à réclamer réparations pour l’utilisation de ceux-ci dans le cas où il s’estime lésé. Les cessions de droits font l’objet d’un contrat, souvent très précisément établi par les conseils des parties, où sont présentés celui qui achète et celui qui cède ses droits, l’historique de la chaîne des droits, les territoires et les destinations, ainsi que l’objet des droits : où et pourquoi cette œuvre est-elle utilisée ? Il peut ensuite exister des mentions restrictives, comme l’interdiction de se servir d’une œuvre pour vanter les mérites d’un produit, par exemple. Le plus souvent, une copie de l’œuvre est jointe au contrat.


En revanche, précise Me Cordelier, un ayant droit comme l’est Paul Lederman ne possède aucun droit moral sur l’œuvre utilisée. C’est un droit inaliénable et imprescriptible, seul l’auteur de l’œuvre est fondé à l’exercer. Il ne peut donc pas interdire le film. Paul Lederman avait la possibilité d’agir sur plusieurs aspects juridiques, et causer bien des difficultés la veille de la sortie du film, où 470 copies avaient déjà été distribuées. Sa plainte jugée légitime, il aurait fallu modifier le générique, coller des bandeaux sur les affiches, et payer des dommages et intérêts pour tout le matériel promotionnel diffusé auprès du public… La procédure du référé d’heure en heure présente également la difficulté à la partie adverse de produire une défense dans les deux jours qui suivent le dépôt de plainte !


La légitimité de la plainte était toutefois difficile à établir, dans la mesure où il fallait au conseil de Paul Lederman, Me de Gaulle, prouver que l’histoire d’un mec est une expression attachée à un seul sketch. Ce ne fut d’ailleurs pas la conviction du juge. Dans son ordonnance, Véronique Renard a considéré que l’expression constituait une locution d’usage familier. Par conséquent, l’originalité du titre revendiqué ne s’impose pas avec l’évidence requise au juge des référés, mais devrait être abordée ultérieurement devant le juge du fond.


Après cette bataille assez dérisoire au sujet de la vie d’un homme, mais que beaucoup de Français considèrent à présent comme une icône, il paraît légitime de se demander ce qu’en aurait pensé Coluche. Il en aurait sans doute fait un sketch désopilant. En tout état de cause, il n’est plus à même de donner son avis sur l’affaire, ni sur le film, et ce sont toutes les personnes qui ont peu ou prou vécu des produits de son talent d’humoriste qui l’expriment à sa place. Il en fut même, et c’est bien là le plus comique, alors qu’il fut constamment brocardé à l’époque par l’artiste, quelqu’un d’inattendu pour se réclamer de lui ! Valéry Giscard d’Estaing n’a-t-il pas eu le bon goût d’affirmer lundi à la radio ? Il n’était pas du tout agressif contre moi. Ce n’était pas du tout un homme de gauche… Cette repartie, en tout cas, aurait bien fait marrer celui qui voulait se présenter contre lui !

 

 


Les plaideurs n’ont-ils pas toujours le mauvais rôle ?
Dans le prétoire, ils sont convaincus, mais très tristes,
La foi dans leur bon droit : ce sont de vrais piétistes,
Clamant qu’il faut les croire un peu plus sur parole…


Des soutiens, tous en chœur, sont sous la banderole
Et font valoir leurs droits sur la mort des artistes,
Ces gens, malgré des pleurs, ne sont pas défaitistes
Même en sachant qu’il faut traîner sa casserole !


Ce n’est plus dans ma veine ou de tenir pour vrai
Du trouble et un sens propre et je m’en sens navré :
Un juge oblige un peuple au grand saut dans le vide.


La raison n’a plus cours quand il s’agit d’un prix,
Tout l’art du juge et la part belle au plus avide
Qu’il réserve aux plus fins la pension des esprits !

 


Avec la gracieuse assistance juridique de Me Matthieu Cordelier, avocat à la Cour spécialiste du droit à l’image et du droit d’auteur, du droit des marques et des brevets, du droit de la presse et des NTIC, du droit du Travail et de la consommation.