Césaire n’appartient à personne

Césaire n'appartient à personne

Quelle ne fut pas ma surprise en allant m’incliner sur la tombe d’Aimé Césaire au cimetière La Joyaux, en Martinique, en juin dernier, de constater que le cimetière, situé hors de la ville, était à peu près introuvable et qu’il était désert. Oui, désert. Personne d’autre que moi et mon ami le romancier Jean-Marc Rosier qui m’avait servi de guide et qui a pris une photo.

Ma stupeur fut grande, moi qui m’imaginais la tombe du grand homme gardée jour et nuit par des fidèles et j’avoue avoir eu le souhait qu’on grave sur la pierre, au lieu de l’épitaphe un peu grandiloquente qui y figure, la formule plus lapidaire dont j’ai fait le titre de mon dernier livre : Le nègre vous emmerde ! J’ai assisté à quelques « hommages » avant les vacances : à chaque fois les nègres de service bien en avant ; à chaque fois une mise en scène insupportable et ampoulée avec une litanie de textes criés par des acteurs qui gâchent leur talent par des trémolos déclamatoires (je ne suis pas sûr que les poésies de Césaire gagnent à être lues à haute voix) ; à chaque fois des discours à n’en plus finir de sommités se croyant autorisées à se réclamer de Césaire et à faire mourir d’ennui une assistance hébétée ; à chaque fois des sottises débitées à la télévision par des gens qui n’ont jamais lu une ligne de Césaire, mais sont invités parce qu’ils « connaissent sa famille », des gens qui nous assurent que Toussaint Louverture est une pièce de théâtre. Jusqu’à Ségolène Royal qui en rajoute en citant le maître à la fin du congrès de La Rochelle.

Mais jamais aucune mention du Discours sur le colonialisme et de l’idée qui le sous-tend : ce que vous avez fait aux juifs, vous l’aviez fait déjà plus ou moins fait aux nègres et aux asiatiques. C’étaient des hommes, eux aussi. En voilà une formule qui défrise. La famille de Césaire se serait opposée à la panthéonisation de Césaire au motif que le corps de Césaire « appartient » à sa terre (le cimetière La Joyaux) et au PPM. Elle se serait opposée, sous menace de procès, à ce que la manifestation que Césaire lui-même avait encouragée, les Césaire de la Musique, continue à s’appeler Césaire. Césaire n’a jamais parlé de musique et ceux qui lisent ses poésies avec emphase et gravité ne l’imaginent certainement pas dansant le zouk. Mais à qui cela faisait-il tort ? Césaire en était-il moins Césaire si de jeunes artistes se réclamaient de lui ? La manifestation a changé de nom : trophées de la négritude, puis trophées des arts afro-caribéens (retransmission sur France 2 oblige). Pourquoi pas « trophées des nègres qui vous emmerdent » ?

Une récompense littéraire est prévue, paraît-il. Avec dans le jury Louis Georges Tin, le porte-parole du Cran, l’ancien promoteur d’une zouk partie pour rendre hommage aux esclaves le 10 mai 2006. Tin entouré des sommités respectables de la négrologie bien pensante : Jacques Chevrier, Lylian Kesteloot, Alain Mabanckou. Voilà qui est prometteur. Y aura-t-il aussi cinquante militants du Cran disséminés dans la salle du Châtelet avec des pancartes, comme le 10 mai après-midi, pour que la manifestation apparaisse dans la presse comme une initiative du Cran ? Mais le plus curieux, c’est le règlement né, paraît-il d’une charte signée à la demande de Tin et de son ami David Auerbach, tous deux animateurs de Tjenbé rèd, une association « partenaire » de Patrick Karam (le "délégué interministériel" qui, après avoir dansé à la gay pride pour montrer qu’il n’est pas homophobe , après avoir vainement tenté de faire octroyer par la République à Alain Guédé une gratification de 35 000 euros pour services associatifs rendus le 10 mai dernier et dans l’espoir d’une neutralité journalistique bienveillante, vient de rendre visite, en catimini, au maire de Paris). On fait d’avance un procès d’intention aux artistes afro-caribéens en précisant que seront nominés seulement ceux qui n’auront pas tenu des propos racistes, sexistes, antisémites ou homophobes. Pourquoi le préciser ?

Les Afro-Caribéens seraient-ils a priori plus racistes, sexistes, antisémites ou homophobes que les autres ? C’est comme si l’on disait dans le règlement des Victoires de la Musique que ne seront pas nominés les artistes ayant tabassé à mort leur compagne. Mais j’oubliais : les nominés des Victoires sont des « blancs ». J’ai lu un jour avec effroi dans Le Monde : « On ne peut réduire le problème des noirs à une question socio-économique et nier sa dimension raciale » ? Ah, la race ! Vieille histoire inventée pour légitimer l’esclavage, puis la colonisation.

L’auteur de cette formule digne du bon temps où la République était fière d’arracher les nègres à la sauvagerie et d’exhiber les têtes coupées des récalcitrants n’est ni Jean-Marie Le Pen, ni Kémi Séba, c’est Louis-Georges Tin. Tin, le chantre du communautarisme, comme Kémi Séba, comme Le Pen, croit dur comme fer aux « races ». Il y a les « noirs » et il y a les « blancs ». Au fait, quelqu’un qui ose valider la notion de race n’est-il pas un raciste ? Allons jusqu’au bout du raisonnement. Si les trophées des arts afro-caribéens sont affaire de « noirs » appartenant à la « race » noire, pourquoi les faire intégralement financer par des « blancs » ? Heureusement, le règlement des trophées afro-caribéens ne s’applique qu’aux artistes, pas aux membres du jury. Pauvre Césaire ! Que de sottises ne va-t-on pas débiter en ton nom. Je persiste et signe : Césaire au Panthéon ! N’en déplaise à Villepin, Bayrou et à tous les ânes. Le parti va rendre, paraît-il, hommage à Césaire à la Fête de l’Huma. Lira-t-on le poème écrit à la gloire de Staline (pour ceux que ça intéresse c’était en 1948 dans la revue Justice) ? En tout cas, je ne suis pas invité, n’étant pas, là non plus, une personnalité qualifiée pour rendre hommage à Césaire…


Droit de réponse aux propos tenus par Monsieur Claude Ribbe

Dans une tribune publiée le 10 septembre 2008 par votre site Internet lemague.net sous le titre « Césaire n’appartient à personne », Monsieur Claude Ribbe tient en substance les propos suivants : « La famille de Césaire se serait opposée [à ce que] les Césaire de la Musique [continuent] à s’appeler Césaire [...] La manifestation a changé de nom [...] Une récompense littéraire est prévue, paraît-il. Avec dans le jury Louis Georges Tin [mais] le plus curieux, c’est le règlement né, paraît-il d’une charte signée à la demande de Tin et de son ami David Auerbach, tous deux animateurs de Tjenbé Rèd, une association "partenaire" de Patrick Karam (le "délégué interministériel" qui [a] dansé à la gay pride pour montrer qu’il n’est pas homophobe [...]). »
Aux termes de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, nous vous demandons par la présente de publier le droit de réponse suivant :

Suite à une tribune intitulée « Césaire n’appartient à personne », publiée le 10 septembre 2008 par Monsieur Claude Ribbe sur le site Internet lemague.net, l’association Tjenbé Rèd, Mouvement civique pour l’action & la réflexion sur les questions noires, métisses & LGBT (lesbiennes, gaies, bi & trans) en France ultramarine & hexagonale, précise :

1°) D’une part, que Monsieur Louis-Georges Tin n’est à aucun titre chargé de son animation et ne l’a jamais été ;

2°) D’autre part, qu’elle n’est signataire d’aucune charte avec ce dernier ou avec les organisateurs des Césaire de la Musique ;

3°) D’autre part encore, que sa dernière prise de position relative à cette manifestation est son communiqué du 22 octobre 2007 intitulé : « Césaire de la Musique : la seconde édition est soutenue par la mairie de Paris malgré le maintien de la récompense accordée en 2006 à Admiral T (Quelles suites la mairie de Paris a-t-elle données à sa lettre du 30 novembre et aux voeux du Conseil de Paris du 13 décembre ?) » ;

4°) D’autre part enfin, que Monsieur Patrick Karam, délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, n’est pas venu « danser » lors de la dernière Marche des Fiertés LGBT de Paris le samedi 28 juin 2008, comme indiqué de manière si réductrice, mais représenter, par un geste politique fort et symbolique, la République auprès des personnes LGBT originaires de France ultramarine ou d’Afrique subsaharienne, qui ont encore un long chemin à faire pour établir un dialogue apaisé avec leurs communautés et qui ont bien besoin de son soutien. Monsieur Patrick Karam n’a plus à démontrer la sincérité de ce soutien, qu’il sait à l’occasion assortir d’un regard critique sur notre démarche ; en revanche, Monsieur Claude Ribbe pourrait démontrer qu’il sait éviter l’amalgame et l’insinuation que dénotent les erreurs, les conditionnels ou les précautions oratoires dont il parsème sa tribune et sur lesquels nous avons déjà attiré son attention (voir notre communication du 19 juin 2008 intitulée : « Non, Monsieur Ribbe, Patrick Karam n’est pas homophobe »).

Sincèrement,

Pour la commission Culture & Société de Tjenbé Rèd,

le président, David Auerbach Chiffrin