« C’est dur d’être aimé par des cons » : chronique en parti pris

« C'est dur d'être aimé par des cons » : chronique en parti pris

Un Documentaire sur le procès « attenté » à Charlie-Hebdo par des organisations musulmanes, au motif de la publication des caricatures danoises de Mahomet dans l’hebdomadaire satirique.

Ce documentaire est particulier à plus d’un titre : on ne nous apprend rien, pour peu qu’on ait un brin suivi l’affaire des caricatures. Daniel Leconte, le réalisateur, est partie prenante car témoin de la défense et pro-Charlie Hebdo. Et surtout, parce qu’à moins d’être de la partie adverse, il se termine bien.
Habitués aux crises énergétiques, écologiques, sociales, économiques, les « subprimes », les conflits et la guerre, ça nous change. Ici ce n’est pas - toujours - drôle mais à la fin la raison l’emporte.

Pas d’images du procès, qui est relaté par de courtes interventions des protagonistes : Philippe Val, le directeur de la publication de Charlie Hebdo, ses journalistes et dessinateurs, les avocats des deux parties et un prêtre catholique, le seul témoin présenté par l’accusation. Son témoignage indécent - il dit et répète que le Hezbollah, organisation terroriste, est plus haut dans son échelle de valeurs que Charlie Hebdo -éclaire sur la nature de l’affrontement : d’un côté des dessins, aussi choquants et irrévérencieux soient-ils ; de l’autre des assassinats - le film démarre par le meurtre de Théo Van Gogh - et des menaces de mort. Les membres et collaborateurs de « Charlie » ont été sous protection policière permanente. Mohamed Sifaoui, lui, l’est toujours, et ce depuis des années pour ses dénonciations de l’intégrisme.

Alors, OUI, ce documentaire est de parti pris. OUI, l’accusation n’a presque pas la parole, aussi parce qu’elle l’a refusé - voir la scène où Val et le recteur de la mosquée de Paris discutent après leur intervention au JT de France 2, mais les sbires du recteur interviennent pour interdire à la caméra de filmer. OUI, il ne faut pas être un con pour pouvoir l’apprécier. Mais le parti pris n’est pas de suivre un procès thèse-antithèse-synthèse/jugement.
C’est de suivre des hommes et des femmes qui travaillent pour développer la conscience et l’esprit critique en nous faisant marrer et qui se sont retrouvés pour un temps, par démission de leurs collègues, des institutions et des gens de pouvoir, défenseurs d’un droit fondamental : la liberté de parole. Qui forcément sous-tend la liberté de penser, expression à « dé-pagny-tiser » pour pouvoir l’employer à nouveau sérieusement.
Du bon boulot : on suit l’avant-procès, on assiste à la naissance de la couverture « c’est dur d’être aimé par des cons », et l’on ressent la vague de soutien qui monte, les renforts, dont des politiques de premier plan, qui s’expriment, et surtout les applaudissements au tribunal pour les gars et filles de « Charlie ».
La salle des pas perdus, où Caroline Fourest et d’autres tentent le dialogue avec des gens qui ne comprennent pas, qui surtout n’écoutent pas. La pédagogie face au dogme, à l’automatisme.
La hargne de Val : « Il y a des meurtres, des attentats, on nous fait peur, et on aurait en plus pas le droit de se foutre de la gueule de ceux qui nous font peur ? »
L’émotion de Sifaoui, musulman et collaborateur régulier de Charlie, républicain convaincu.
La jouissance drôlative des plaidoiries de Maîtres Malka et Kiejman.
Pas de poncifs, aucune longueur, de l’énervement parfois, mais singulièrement de la joie et du plaisir. Ca fait du bien de voir ça.

Les intégristes n’ont pas d’humour ; le procès de « Charlie » a malheureusement été voulu par des organisations censées représenter tous les musulmans, y compris les musulmans laïques.
Val et ses amis répètent à l’envi que non, les musulmans ne sont pas réductibles à ceux qui se réclament d’une religion pour tuer, mais qu’il est nécessaire de se moquer de ces derniers. Et que, confirmation par la relaxe, en démocratie, on peut se moquer des religions, même méchamment et pas forcément avec élégance.

Le film se termine par un plan extérieur du tribunal, les drapeaux au vent. Un symbole de l’Etat, pour une fois associé à la liberté et au bon sens.

Je vous assure, musulmans, athées, croyants…. c’est pas dur d’aimer ce film.


Au cinéma le 17 septembre.

Plus avant avec Daniel Leconte

Pour accompagner la sortie du film, de leur film, certains protagonistes accompagnent le réalisateur Daniel Leconte pour des débats dans les salles françaises. L’occasion d’un petit entretien en aparté.

Et à Metz, c’est particulièrement savoureux, car c’est Maître Szpiner, l’avocat des plaignants, présent et virulent dans le film, qui doit l’accompagner.
Le jour dit, déception, car il est retenu à Paris. Heureusement, le réalisateur et l’avocat se connaissent, assez pour que Daniel Leconte se fasse non l’avocat de l’avocat, mais son représentant.

Réaliser un documentaire sur un procès et en même temps en être un témoin, cela pose le problème de l’objectivité, non ?
La seule distance, c’est d’essayer de comprendre le point de vue des plaignants. Avant de combattre, il faut comprendre. J’ai envie de comprendre, de comprendre pourquoi ils sont cons.
Pas tant de l’objectivité que de l’honnêteté intellectuelle.

Vous êtes le réalisateur, vous étiez témoin pour Charlie-hebdo, et là en plus vous représentez la partie adverse. Ca ne fait pas trop de casquettes ?
Non, car je connais assez bien Francis Szpiner pour savoir ce qu’il pense et ce qu’il vous aurait dit. Et comme il m’accompagne parfois pour la promotion du film, c’est qu’il doit estimer avoir été pas mal représenté.

Pourtant sa partie a très peu la parole dans le film.
Ils n’ont présenté qu’un seul témoin, et Dalil Boubakeur (recteur de la grande mosquée de Paris) est la seule personne à avoir refusé d’être dans le film.

Le film alterne les ambiances…

On retrouve en quelque sorte l’opposition de deux théâtres, le traitement disons émotionnel, dans la salle des pas perdus d’un côté, et de l’autre la sérénité de la salle d’audience, qu’il fallait représenter.

…mais souvent, on voit ceux de « Charlie », y compris leurs avocats, qui se marrent.
Oui, car ils se marrent tout le temps, c’est jubilatoire ! Et le film devait être comme ça.

Quel regard portez-vous sur le procès maintenant ?

Ecoutez, durant tout le procès, les débats étaient de très haut niveau, chacun a pu aller au bout de son argumentation. Mais surtout, cette décision est incroyablement importante, elle engage la République française, et rappelle les règles de séparation de l’Eglise et de l’Etat. La force de ce procès, c’est d’ouvrir un espace démocratique sur les dérives de l’islam.
Et à la fin, que la justice française donne raison à Charlie-Hebdo, c’est savoureux quand même.

Les dérives de l’islam ?

Oui, regardez les meurtres, les attentats à Paris, à New York, à Washington, à Londres, à Madrid, tout ça est l’œuvre de personnes se réclamant de l’islam. Et il n’y a pas d’excommunions ou équivalent.
C’est un combat pour moi depuis longtemps.

Le jugement, le témoignage de votre film, quels sont leurs effets ?

Mon film va participer, j’espère, à contribuer à changer les mentalités. Je trouve déjà que, depuis le jugement, les médias ne sont plus aussi convenus sur le sujet. Il y a moins cette assimilation, dite ou non, de musulman égale terroriste, ce qui les empêchait de critiquer. Or, ce n’est pas la même chose de critiquer une religion que de critiquer des personnes.
Et puis, vous savez, même les gens bien intentionnés, s’ils n’ont pas la possibilité de critiquer, ça enferme, et on se tourne à ce moment là vers les seuls à émettre un discours non convenu, l’extrême-droite.

Le droit d’exercer la critique est donc démocratique. Qu’en pense la partie adverse ?

L’important, pour eux, était de canaliser l’indignation dans un tribunal, en venant demander réparation. D’éviter que ça dégénère dans la rue. Cela participe à l’apaisement de la société française.
Là, la machine judiciaire est un exemple extraordinaire, c’est dire à une partie « vous êtes dans le jeu », « vous faites partie de la société française ».
Réellement, Dalil Boubakeur ne tenait pas à ce procès, il y a été contraint par la pression.

Pour finir, vous avez eu du mal à produire votre film. Est-il bien diffusé, le sera-t-il plus tard dans des écoles par exemple ?

Je le souhaite, ce peut être une sorte de boîte à outils intellectuels.
En fait, au départ, j’ai décidé de le produire moi-même car les financeurs ( les groupes télés) ne souhaitaient pas s’y engager. Depuis, ils sont revenus, et le film passera sur Canal et plus tard sur France 2.
Et pour tout de suite, au cinéma dans une soixantaine de salles, ce qui est beaucoup pour un documentaire. Tant mieux, les gens y auront plus facilement accès.

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