Le Petit Voyeur - Rentrée 2008

Le Petit Voyeur - Rentrée 2008

Filtrant à travers la buée de ses souvenirs d’enfance, Sonallah Ibrahim tisse un roman d’apprentissage à la mode cairote.

Voilà bien longtemps que nous n’avions eu pareil récit. Depuis Cette odeur-là (du même auteur, par chez Actes Sud, en 1992) pour être précis. Comme son grand frère, ce roman poignant est bâti sur une multitude de détails qui permettent en quelques lignes de dépeindre un décor et, surtout, une atmosphère : un quotidien, à la fin des années 1940, dans une frange de la population qui frise l’extrême pauvreté, mais dont l’habile débrouille permet de continuer à rêver que la vie ira en s’améliorant ...
Le narrateur vit avec son père – avec qui il partage le même lit – dans un minuscule appartement à l’ameublement austère. Ce père omniprésent et très âgé qui tente de le mener vers l’adolescence en évitant les mille pièges de la vie qui se découvrent à chaque instant. Vie qui comporte aussi son panel d’interdits, de tabous et ses codes invisibles mais si importants ... Ainsi, le jeune garçon en sera réduit à épier la voisine qui s’épile au sucre, le voisin qui ne rentre pas tous les soirs ou encore à tenter de débusquer les livres interdits dans la bibliothèque communautaire pour parvenir à ses fins. Grandir et comprendre pourquoi ce monde des adultes paraît si lointain mais si attirant, si étrange mais aussi effrayant …

Né en 1937, au Caire, Sonallah Ibrahim a connu les geôles égyptiennes dès 1959 quand le gouvernement entreprit les purges contre les mouvements de gauche. Libéré en 1964, il épousa le journalisme afin de se donner les moyens de quitter le pays. Longtemps correspondant à Berlin, il est depuis rentré au Caire où ses romans sont accueillis avec succès.
Cette dernière livraison peut aussi se lire comme un livre d’histoire ou une étude sociologique sur les us et coutumes d’une société égyptienne trop souvent laissée à elle-même. Porté par le regard candide de cet enfant, l’écriture précise et imagée offre une grande latitude pour se représenter très précisément ce que fut l’Egypte d’après-guerre.
Une œuvre puissante qui s’impose, loin des versions officielles et des images d’Epinal. Pour qui souhaite approfondir sa connaissance de la société arabe ou tout simplement découvrir d’autres cultures, il est un guide fidèle qui porte en lui une émotion intacte.

Sonallah Ibrahim, Le Petit Voyeur, traduit de l’arabe (Egypte) par Richard Jacquemond, coll. "Mondes arabes", Actes Sud, septembre 2008, 207 p. – 19,50 €