Le rêve californien : Dylana, Nassim, Nora, Athmane et les autres. Des Algérien(e)s à Los Angeles

Le rêve californien : Dylana, Nassim, Nora, Athmane et les autres. Des Algérien(e)s à Los Angeles

Depuis quelques années, le phénomène migratoire contemporain algérien se transforme prenant de nouvelles formes, impliquant de nouvelles populations qui explorent de nouvelles destinations contribuant à l’élargissement des territoires migratoires et ainsi à une diversification des pays d’accueil.

Depuis 1988 notamment, de plus en plus d’Algérien(e)s, toutes classes sociales et situations matrimoniales confondues, hommes, femmes, célibataires, en familles, avec ou sans capital culturel, se portent candidat(e)s à l’émigration se dirigeant vers les pays européens tels que l’Espagne, l’Italie, la Suède, la Grande-Bretagne, l’Allemagne… Et depuis cette dernière décennie, l’Amérique du Nord, en l’occurrence le Canada et les Etats-Unis d’Amérique.

Cette nouvelle donne vient en quelque sorte marquer une rupture avec « le modèle bilatéral des flux généré par l’héritage colonial » qui a pendant de très longues années caractérisé le mouvement migratoire algérien, même si la France, ex pays colonisateur, demeure dans les représentations sociales, la destination privilégiée voire fantasmée des Algériens et Algériennes. Les raisons invoquées sont en lien avec la proximité géographique, historique, culturelle et linguistique.

C’est en Californie du Sud, sur la côte pacifique et plus précisément à Los Angeles, « Cité des anges », ville réputée pour son aspect cosmopolite et l’incarnation du « rêve américain », que nous avons rencontré un groupe d’Algérien(e)s originaires notamment de la région de Kabylie, d’Alger et d’Oran.

Noura, Nassim, Dylana, Athmane, Brahim, Farida et Saïd sont entrés sur le territoire américain par le biais de l’opération « Green Card Lottery » (loterie carte verte) qui s’inscrit dans le cadre du programme de Diversification des flux migratoires et dont le tirage au sort a lieu tous les ans.

Selon nos constats, les motivations migratoires de ces hommes et ces femmes semblent obéir à des considérations d’ordre essentiellement matériel et symbolique. Autrement dit, ces migrant(e)s attribuent à l’acte de migrer aux Etats-Unis d’Amérique une dimension essentiellement positive et structurante puisque de leur point de vue, « c’est le moteur de l’initiative personnelle » ? « C’est un moyen de promotion économique et sociale ». C’est la perspective d’ouverture sur un nouveau monde, de nouvelles mentalités et de nouveaux modes de vie. Ainsi, à la lumière de ces arguments, il ressort que la migration aux Etats-Unis d’Amérique offre l’opportunité d’une vie nouvelle et meilleure, d’un enrichissement de leur capital culturel et social et d’acquisition de nouveaux savoirs-faire et savoirs-être.

« J’ai toujours voulu vivre aux Etats-Unis d’Amérique », explique Nassim qui vit à Los Angeles depuis cinq ans. C’est un monde qui me fascinait. Je savais qu’en vivant dans ce pays, ma qualité de vie s’améliorerait. »

« Lorsque nous avons été tirés au sort à la loterie, j’étais très heureux », raconte fièrement Athmane. Cet événement est arrivé à une période où la vie en Algérie était devenue impossible. Je vivais dans une société de plus en plus conservatrice où il y avait une absence de liberté à tous points de vue. C’était pesant et frustrant. La perspective américaine était l’occasion rêvée pour m’ouvrir sur le monde et m’aérer l’esprit. J’allais devenir un homme nouveau », poursuit-il sur un ton qui pourtant laisse échapper une note d’insatisfaction. Une note qui semble difficile à définir et à qualifier mais qui évoque malgré tout et de manière très subtile, les sonorités de la nostalgie, ce sentiment qui se nourrit des affres de l’absence.

Saïd, 40 ans, vit aux Etats-Unis d’Amérique depuis 1994. C’est à l’âge de 27 ans, après avoir pendant de nombreuses années tourné en rond, versé dans le trabendo (marché noir) et failli rejoindre le maquis des groupes terroristes, qu’il migre aux Etats-Unis d’Amérique. C’est d’abord à New York qu’il atterrit. Puis il prend la décision de tenter sa chance en Californie du Sud et s’installe à Los Angeles où il travaille chez un concessionnaire automobile. Malgré les déboires et les difficultés rencontrées tout au long de sa trajectoire migratoire, Saïd a une conception très positive de son expérience américaine.

« Ici, le travail n’est pas un problème, explique-t-il très sûr de lui. Tu peux avoir un, deux parfois trois boulots. Tu deviens ton propre entrepreneur. D’ailleurs, je gagne très bien ma vie. Grâce à l’argent gagné, j’ai aidé ma famille à acheter une maison et mes frères à ouvrir des commerces. Actuellement, j’aide mon plus jeune frère qui a été tiré au sort à la loterie à venir s’installer ici, car c’est réellement le pays des opportunités. Si tu bosses et que tu es sérieux et déterminé, ta réussite est assurée », poursuit-il tout en veillant à exhiber coûte que coûte ce sentiment de fierté qui semble le valoriser et lui donner confiance en soi.

Réussite économique ? Ouverture sur le monde ? Mentalités libérales ? Liberté d’expression même si celle-ci est illusoire ?

Renouvellement de soi ? Vie meilleure ?

Oui. Mais pas à n’importe quel prix. Car les migrant(e)s rencontré(e)s mettent l’accent sur la somme des difficultés vécue lors des premiers temps de leur installation dans un pays où toutes les valeurs et tous les codes qui le régissent sont totalement étrangers à leur habitus culturel.
Les sensations de fascination, d’émerveillement et d’enchantement des premiers jours sont très vite effacées laissant place à un profond sentiment d’isolement, d’incertitude, de déstabilisation, de perte de repères et de précarité psychologique car ces migrant(e)s se retrouvent dans une situation de perte de repères, de déstabilisation et de changement fondamental « où il faut apprendre à nouveau, parfois repartir à zéro ».
De toutes les difficultés vécues, il semble que la non connaissance voire la non maîtrise de la langue, instrument de communication, de mise en lien avec autrui et moyen d’expression, de verbalisation et de compréhension soit l’un des éléments qui contribue le plus à l’entrave de l’intégration de ces migrant(e)s dans le pays d’accueil.

« J’avais une bonne connaissance de la langue anglaise, explique Dylana. Je me disais que le problème de compréhension de la langue ne se poserait pas pour moi. Pourtant, quelle a été ma surprise lorsque je suis arrivée ici ! C’était comme si je n’avais jamais étudié cette langue. Il m’a fallu quelques mois et beaucoup d’attention et de concentration pour que je commence enfin à comprendre l’anglais américain et à interagir. Aujourd’hui, je m’en sors très bien. J’ai une position importante dans la boîte qui m’emploie. Mes patrons comptent beaucoup sur moi car je joue le rôle d’interface entre eux et l’extérieur ».

Lorsque Farida est arrivée, sa connaissance de l’anglais se limitait à quelques mots appris au lycée et à l’université. Cette situation semble de ce fait rendre sa compréhension de la société angeline très difficile au point de générer un malaise qui se traduit par un sentiment de dévalorisation de soi.

« Dès fois, j’ai l’impression que mes collègues me prennent pour une débile, car je ne saisis pas très bien les nuances de leurs discours », raconte-t-elle avec un regard empreint de tristesse. Mais iIs ne savent pas que j’ai plus de diplômes qu’eux ». Puis elle poursuit, « J’ai des idées, mais je ne peux pas les appliquer à cause de la langue. En Algérie, j’étais orthophoniste. J’aidais les gens qui avaient un problème de communication. Ici, j’ai l’impression que les rôles sont inversés. C’est moi qui ne peux pas m’exprimer et donc communiquer. »

Pendant que l’apprentissage de la langue et de ses subtilités fait son chemin, ce problème linguistique qui fait obstacle à l’immersion dans le pays d’accueil est momentanément surmonté grâce à la solidarité et à l’entraide manifestées par les « anciens » arrivants qui très souvent jouent le rôle d’informateurs et de conseillers auprès des nouveaux « débarqués » et agissent en tant qu’intermédiaires avec les administrations et les institutions.

« Nous sommes un peu les grands-parents de ceux qui arrivent », explique Dylana qui vit à Los Angeles depuis plus de huit années. « C’est important d’avoir quelqu’un de ta culture pour t’aider, car un Américain ne peut pas comprendre ta situation », ajoute-t-elle.

« Ma prise de contact avec cette ville fut un véritable choc. Tout en grand. Des espaces énormes et moi dans tout cela, je n’étais qu’un minuscule point hanté par une seule et unique envie : fuir à toute allure sans se retourner. Sans escale et me réfugier au cœur de ce cocon protecteur que j’ai laissé derrière moi », raconte Brahim.

Après un long silence, il ajoute, Ce qui m’a aidé en partie à supporter le poids de ce dépaysement total, c’est l’aide et le soutien de compatriotes qui vivaient là depuis plusieurs années Leur rôle a consisté à m’expliquer le fonctionnement de cette société qui m’était totalement étrangère. »

Cette attitude solidaire s’applique également à l’épineuse question d’hébergement des nouveaux arrivants au début de leur installation.

« Dès que nous sommes arrivés avec mon mari, nous avons été hébergés par un couple qui était déjà installé ici et qui avait, à ses débuts, été hébergé par un autre couple, raconte Noura.

« Ils nous ont beaucoup aidé dans nos recherches de logement. Et comme nous ne voulions pas être un poids pour eux, nous avons décidé de ne pas être très exigeants en matière de logement. L’important était d’avoir notre propre toit. Mais eux, ils avaient insisté pour que nous soyons logés dans des conditions décentes »

Enfin installés ces migrants du Pacifique ? Oui. Euh … Enfin presque. Car pendant que de plus en plus d’Algériens, hommes et femmes rêvent de s’exiler vers des horizons inconnus à la recherche d’une vie meilleure et d’une promotion sociale rêvant d’un "Eldorado" très souvent fantasmé voire mythique. Dans cette aventure californienne, sur la côte pacifique, à la tombée de la nuit, humant l’odeur de la mer. Contemplant la beauté éclatante des lumières qui scintillent telles des perles irradiant des éclats de rires aux vertus bienfaitrices. Hantées par le souvenir des visages familiers et l’appel incessant des voix qui s’incrustent dans les dédales des mémoires en perpétuelle gestation, des trajectoires humaines poursuivent leur chemin. Lentement. Sûrement...

« Amer est l’exil » ? Oui. Mais Ô combien source d’émerveillement. De nouveauté ! Et de renouvellement ! Inévitablement...