La famille algérienne : foyer d’affection ou de violence ?

La famille algérienne : foyer d'affection ou de violence ?

La violence physique à l’égard des enfants est une méthode d’éducation qu’on croyait révolue. Malheureusement, cette pratique avec tout ce qu’elle suscite comme vices et fléaux continuent de sévir au sein de la famille algérienne. En effet, pour éduquer, maîtriser et contrôler les comportements de leurs enfants, les parents algériens n’hésitent toujours pas à faire usage de la loi du gourdin. Une récente étude du ministère de la Famille et de la Condition Féminine vient de révéler à ce sujet un état des lieux qui, pour le moins qu’on puisse dire, ne laisse guère l’observateur indifférent. Et pour cause, selon les auteurs de cette étude, plusieurs enquêtes approfondies ont démontré que plus de 80% des familles algériennes, continuent à infliger des souffrances physiques à leur progéniture au nom du sacro-saint principe de l’éducation.

En conséquence de cette mentalité, archaïque certes, mais toujours dominante dans notre contexte social, plus de 94% des familles algériennes souffrent de grandes difficultés à élever leurs enfants, signalent encore les auteurs de l’étude réalisée par le ministère de la Famille et de la condition féminine.

Ainsi, l’application de ces anciennes méthodes d’éducation, basées essentiellement sur le châtiment corporel, sur nos enfants, est toujours considérée par les parents algériens d’aujourd’hui comme le meilleur procédé afin de discipliner les enfants dans l’optique de leur inculquer une éducation correcte. Et certains témoignages nous ont même appris que les choses sont arrivés jusqu’à causer une mort atroce à des enfants meurtris par des châtiments corporels inhumains.

L’histoire de cette jeune mère d’El-Harrach qui s’est rouée de coup sur le corps frêle de son gosse, âgé à peine de 8 ans, après sa querelle avec le fils des voisins en est une parfaite illustration. En effet, la mère, aveuglée par un accès de colère, n’a même pas mesuré la gravité de son comportement et ne s’est rendue compte de son crime qu’après avoir remarqué que son enfant respirait difficilement, sous le poids de ces gifles et coups. Prise de panique, elle se dirige en courant vers le centre sanitaire de sa commune où le gosse succomba suite aux difficultés respiratoire occasionnées par les violences subies.

Un héritage social

Sur un autre registre, de nombreux sociologues, psychologues et autres observateurs avertis de la société algérienne, estiment que cette violence exercée à l’égard des enfants est un héritage social qui pèse sur la tête des Algériens. En réalité, dans notre imaginaire collectif, soulignent les auteurs de l’étude ministérielle, la tyrannie parentale a toujours été légitimée.

Jusqu’à aujourd’hui, de nombreux parents croient que leurs enfants nécessitent dans leur éducation l’usage de la force et de la sévérité pour s’imprégner des valeurs morales. Cette croyance est si ancrée dans la mentalité algérienne que les Algériens obligent toujours et par tous les moyens possibles, y compris les plus brutaux, leurs progéniture à se soumettre à l’aveuglette à l’autorité des parents. Dans ce contexte, pour parvenir à instaurer la loi et faire régner l’ordre dans son foyer, la plupart des parents algériens adoptent la violence comme unique voie de communication.

Les spécialistes, participant à l’étude du ministère de la Famille, qui se sont penchés sur la question de l’usage de la violence dans l’éducation au sein de la famille algérienne ont fait ressortir également de nombreux facteurs expliquant cette violence parentale. Il s’agit entre autre de l’influence de la vie moderne marquée par des contradictions et les complexités d’ordre mental et sociologique, ainsi que la forte exposition au monde extérieur à l’image de la rue.

Cependant, pour d’autres sociologues, la violence de la famille algérienne à l’égard de ces enfants tire ses origines aussi de la discrimination sexiste entre femme et homme.

Dans le passé, les femmes algériennes étaient privées d’éducation. Leur unique tâche était de répondre aux besoins des hommes et de se soumettre, pour ainsi dire, à l’autorité des mâles.

Discrimination entre les sexes

Aujourd’hui, même si la femme n’a plus ce statut d’autrefois, elle ne continue pas moins à subir la discrimination sexiste dans la mesure où, dans divers milieux, les familles continuent à discriminer entre la fille et le garçon d’une manière flagrante. Ainsi, au sein des foyers, l’autorité parentale est beaucoup plus dure avec les filles, car si ces dernières risquent de causer le déshonneur de la famille si elles échappent au contrôle parental, estiment certains. Dans un pareil contexte, les parents algériens se montrent plus tolérants avec leurs fils qu’avec leur fille. Ce qui confirme, selon les auteurs de l’étude sus citée, que l’homme sous-tend toujours la supériorité et la femme et par ricochet, l’infériorité. Or, dans une société, expliquent certains experts, qui idolâtre la virilité, la violence est toujours la notion qui fonde l’autorité parentale dans la cellule familiale.

Force est de constater enfin que les auteurs de l’étude du ministère de la Famille n’ont pas omis de souligner que les conditions socioéconomiques difficiles et la cherté de la vie font que de nombreux parents s’investissent beaucoup plus dans leur quête de revenus pour subvenir aux besoins de leur progéniture en manquant à leur rôle parental. Néanmoins, cela ne pourrait justifier en aucun cas le recours à la violence comme unique voie pour éduquer ces enfants. Ce constat amer nous pousse même à s’interroger si la famille algérienne n’est pas plutôt un foyer de violence au lieu d’être un espace d’affection.

Chiffres clefs :

76,82%, les parents sont les auteurs de maltraitance des enfants dans 76, 82 % des cas

44,44%, les pères sont les auteurs de violences sexuelles à l’égard des enfants dans plus de 44 % des cas

51% des jeunes délinquants ont eu des parents démissionnaires

Ce que pensent les psychologues, Education ne rime pas avec violence

Questionnée sur les dangers de l’usage de la violence dans l’éducation des chérubins, Mme Z. Fatima, psychologue clinicienne, affirme que la violence n’a jamais été une méthode d’éducation. Au contraire, ce moyen traditionnel rétrograde ébranle la structure de l’enfant et le prédispose à développer des comportements violents. Par ailleurs, selon notre interlocutrice, la violence familiale, qu’elle soit physique, psychologique, sexuelle, isole les enfants, diminue leur estime personnelle, et entraîne chez certains d’entre eux des problèmes de dépression, voire des idées suicidaires. « Si elle fait d’eux des victimes, elle en fait aussi, dans certains cas, de futurs agresseurs qui, à leur tour, feront souffrir d’autres personnes. Et ce, surtout, quand cette violence est à l’origine de séquelles difficiles à surmonter ».

D’autre part, pour notre interlocutrice, la négligence est aussi une forme de violence très répandue. Celle-ci peut même blesser profondément de jeunes enfants livrés à eux-mêmes. Mme Z. Fatima trouve, par ailleurs, que les meilleurs procédés éducatifs sont le dialogue et la communication qui renforcent chez l’enfant sa confiance en soi. Elle déclare à ce titre que « les difficultés scolaires des enfants, leur agressivité, leur colère excessive, leur tendance au mensonge et au vol, sont en majorité attribués à la violence et à l’absence de dialogue au sein de la famille »

En guise de conclusion, notre interlocutrice attire notre attention sur le fait que la violence peut avoir de graves répercussions sur le développement des enfants. Dans les cas les plus graves, elle peut causer leur mort ou leur infliger des blessures indélébiles. Aussi, elle peut aussi nuire à leur santé, diminuer leur capacité d’apprentissage, voire réduire leur volonté même d’aller à l’école. Elle peut inciter les enfants à fuir leur foyer, ce qui les expose à d’autres risques. A ce propos, il convient de signaler que la violence détruit la confiance des enfants en eux-mêmes et peut compromettre leur aptitude à être eux-mêmes plus tard de bons parents. « Les enfants victimes de la violence courent enfin un plus grand risque de dépression et d’envie de suicide dans leur vie future », conclut Mme Z. Fatima.

Châtiment corporel à l’encontre des enfants en Algérie, Le mutisme du code pénal

Lamia est une jeune femme victime de violence qui a fui son foyer à cause des violences qu’elle subissait de la part de son mari au quotidien. Rencontrée dans un centre d’accueil, affirmant avoir ras-le-bol de sa condition de femme violentée, elle ne se garde pas de maltraiter et brutaliser à la moindre bêtise son enfant âgée de 10 ans.

La petite Lynda terrorisée, les yeux chargés de douleur et de peine, le regard évasif porte sur son corps frêle les séquelles d’un sévère rappel à l’ordre. La maman plaide la légitimité de son acte avançant que son rôle de mère lui dicte sa conduite.

Entre des parents ou des instituteurs qui clament tout haut la nécessité du châtiment corporel dans une optique disciplinaire et le vide juridique qui ne protège pas l’intégrité physique et psychologique de l’enfant, nos chérubins souffrent le martyre en silence.

Le châtiment corporel pénalisé dans de nombreux pays

La triste vérité est en réalité simple : notre société approuve certaines formes courantes de violence à l’égard des enfants, notamment celles infligées dans le cadre familial. Au sein de notre société, les enfants subissent des violences physiques, dans l’école ou au sein de leur famille, considérés souvent comme légitimes et ayant pour visée l’éducation de l’enfant. Il est de bon aloi de souligner qu’un tiers des Etats membres du Conseil de l’Europe ont aboli les châtiments corporels et d’autres se sont engagés à réexaminer leur législation en la matière. Malgré cela, les châtiments corporels à l’encontre des enfants demeurent légaux, voire admissibles dans nombres de pays qui les considèrent comme une forme admissible de discipline, en particulier à la maison.En Pologne, le gouvernement polonais songe à adopter une loi qui interdit aux parents l’usage de la violence dans l’éducation des enfants.

Qu’en est-il de la situation en Algérie ?

En Algérie, quel est le regard que porte la loi sur la question des châtiments corporels à l’encontre des enfants ? Comment la famille algérienne considère-t-elle les violences faites aux enfants ? A l’école, existent-ils des textes de loi qui empêchent actuellement les instituteurs à recourir à la violence pour imposer la discipline ?

Aucune peine répressive n’est prévue par le code pénal algérien

Le code pénal n’évoque malheureusement aucune peine répressive à l’encontre des parents ou des éducateurs qui recourent souvent à la violence comme moyen d’éducation.

Pour la psychologue, Mme S. Ferhat, « le recours au châtiment corporel, comme méthode disciplinaire, est monnaie cournte au sein de la famille algérienne qui, faute de dialogue, privilégie l’usage de la force. « Au sein de la famille, ou même dans l’école, des enfants sont exposés à un harcèlement moral et physique au non toujours de l’éducation. Malheureusement, la conception d’une éducation fondée sur le châtiment corporel est prédominante chez nous. Les parents se donnent le droit de brutaliser leurs enfants croyant bien faire. Or, psychologiquement parlant, les châtiments corporels avilissent celui qui les donne et celui qui les reçoit. Ils n’ont pas d’efficacité éducative véritable et dressent une barrière, parfois définitive, entre les parents et les enfants. Aussi, la violence génère la violence. De ce fait, le châtiment corporel est loin d’être une méthode éducative adaptée », explique la psychologue.

Concernant la condamnation du châtiment corporel à l’école et au sein de la famille par l’adoption de sanctions pénales à l’égard des parents, la psychologue estime que l’interdiction devra d’abord commencer par des campagnes de sensibilisation générale à l’adresse de la société civile.

« Plutôt qu’une nouvelle interdiction, une campagne d’information serait mieux adaptée à l’abolition des châtiments corporels et même de toute forme de châtiment », renchérit Mme Ferhat.

Lutter contre la violence par l’adoption de mesures préventives et répressives

Selon Mme Ibouchoukane, avocate près de la cours d’Alger, rien ne saurait justifier toutes les pratiques portant atteinte à la dignité de l’enfant. Les instruments internationaux des droits de l’homme reconnaissent aux enfants le droit à une protection contre toutes les formes de violence, notamment les châtiments corporels, et cela dans tous les environnements (maison, école, établissements pénitentiaires, structures d’accueil alternatives, etc.). L’avocate affirme qu’il n’existe encore pas dans la législation algérienne des textes de loi qui protègent les enfants contre toute forme de violence, considérées souvent comme légitimes. Aussi, la sensibilisation et l’information de la société civile sur les dangers du châtiment corporel sur l’évolution des enfants soient fondamentales pour lutter contre cette forme de violence nuisible.

« Abolir le châtiment corporel des enfants nécessite d’agir à différents paliers. Cela suppose de modifier, d’abord, la législation en profondeur et d’adopter de nouvelles mesures permettant de garantir la bonne application des lois et d’orienter les personnes qui travaillent avec les enfants et les familles. Une sensibilisation générale s’impose également, afin d’informer le public des droits des enfants et de changer les attitudes et les comportements », poursuit notre interlocutrice. Le châtiment corporel subi par les enfants au nom de la rigueur disciplinaire reste un fait quotidiennement observé dans la société algérienne. Loin d’avoir des retentissements positifs sur l’évolution des enfants, les spécialistes appellent à l’usage de la communication parents-enfants et un recours pour une éducation plus performante et une évolution psychologique plus sereine des enfants.

Ces parents qui violentent leurs enfants

La protection de l’enfance en Algérie est loin de connaître ces heures de gloire. Si plusieurs initiatives louables ont été adoptées par le gouvernement, elles demeurent malheureusement incompatibles avec la réalité amère de l’enfance en Algérie, confrontée non seulement à la misère, mais aussi à la déperdition scolaire et surtout à la violence. Les statistiques à ce sujet sont effarantes et montrent que cette frange vulnérable n’est pas suffisamment protégée par les textes.

Une enquête récente du ministère de la Solidarité sur les maltraitances subies par les enfants a révélé que les violences physiques prédominent largement, suivies de la violence psychologique, associée à la maltraitance sexuelle et à la négligence. L’enquête a montré que les parents sont les premiers auteurs de maltraitance avec 76,82%. Dans cette catégorie, le père occupe la première position avec 40,9% suivi de la mère, 19,5%, puis les deux parents, 17,07%. Les autres membres de la famille se classent en deuxième position avec 17,07%, alors que les enseignants occupent la dernière position. Ces résultats se confirment pour toutes les violences, sauf celles dites sexuelles qui sont le fait d’autres membres de la famille avec 55,55% des cas, et des pères avec 44,44%. Ainsi, le foyer familial censé être le berceau de l’amour et de l’affection, peut se révéler un lieu de souffrance et de violence, que conforte, malheureusement la loi de l’omerta.

Les textes juridiques restent insuffisants, du fait que le code de la famille appréhende encore la maltraitance physique des enfants au nom du respect dû aux parents et de la puissance paternelle. Idem pour le code pénal qui évoque, et donc admet, des violences légères. Pourtant, l’article 27 de la Convention internationale des droits de l’enfant fait obligation à tous les citoyens, notamment les enseignants, de signaler les cas de maltraitance. Malheureusement, cette culture reste exceptionnelle pour ne pas dire inexistante dans notre société faute d’un mouvement associatif offensif sur le terrain des droits de l’enfance. Même la législation reste très insuffisante en la matière puisque les services de l’action sociale, de la police ou de la gendarmerie ainsi que le procureur de la République sont les seuls habilités à recevoir une plainte dans le cas d’un enfant maltraité. Le code de déontologie médicale, quant à lui, fait obligation aux médecins, chirurgiens et dentistes d’informer les autorités en cas de constat d’un cas de maltraitance sur une personne mineure.

Dans un autre registre, de nombreuses études réalisées par des sociologues et des universitaires ont prouvé que la démission parentale est à l’origine de la progression de la délinquance juvénile. La violence familiale prédispose, par ailleurs, les enfants à la délinquance juvénile. Preuve en est, une récente étude, portant sur un échantillon de 811 mineurs délictueux internés actuellement dans les centres de rééducation de Benachour à Blida et de Birkhadem à Alger, a prouvé que 51 % des parents de ces gosses sont démissionnaires, 27 % d’entre eux recouraient à la violence physique et 12 % violentent leurs enfants, tandis que 43 % sont totalement absents. Les chercheurs ont relevé également que dans la majorité des cas de délinquance de mineurs, l’absence de communication au niveau de la cellule familiale est criante.

Enfin, pour contrecarrer le phénomène de la délinquance juvénile, psychologues et sociologues s’accordent à dire que la première mesure serait de lutter contre les vraies causes du phénomène, à savoir la violence familiale. Cultiver le dialogue entre parents et enfants, bannir la violence physique et psychologique de son éducation sont incontestablement des mesures préventives incontournables pour protéger les enfants de tout danger.