Il est temps de changer notre regard sur l’animal

Il est temps de changer notre regard sur l'animal

Si « Un éternel Treblinka » de Charles Patterson dérange autant, ce n’est pas tant par le choix de son titre que par la force et la clarté de son message : l’homme est prêt à toutes les ignominies lorsqu’il place sa victime au rang de l’animal.

Dans les premiers paragraphes de son livre, l’historien américain démontre comment le fait d’avoir considéré comme « moins qu’humains » certains individus a conduit à l’esclavage et au massacre de populations entières.

Mais le plus terrifiant est de constater que ces génocides se sont faits dans une indifférence générale ; les indiens d’Amérique, les Africains, les juifs étant alors considérés, par leurs bourreaux, comme des animaux.

Pour l’auteur, qui a beaucoup étudié et écrit sur la Shoah, la production animale a servi de « modèle » à l’organisation des camps d’extermination : convois à bestiaux, bâtiments clos, abattage « industrialisé », jusqu’au traitement des corps qui renvoie aux centres d’équarrissage… La description de cette épouvante, qui entache à jamais l’histoire de notre civilisation, est insoutenable d’horreur.

Un éternel recommencement

L’auteur yiddish, prix Nobel de littérature, Isaac Bashevis Singer a écrit : « Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer [à l’homme] de la nourriture, des fourrures, pour être martyrisées, exterminées. Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c’est un éternel Treblinka »

C’est sûrement l’un des objectifs de ce livre, nous montrer que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement et que l’homme, s’il veut faire preuve d’humanité, doit changer son regard sur l’animal, sur ces êtres vivants, sensibles, condamnés à l’esclavage, à l’exploitation et à la mort, dans des conditions ignobles.

Il arrive, parfois, que quelques tueurs des abattoirs soient touchés par cette lueur d’humanité. Ils éprouvent alors certaines difficultés, des scrupules peut-être, à égorger des veaux, des agneaux, tous ces bébés animaux qui s’approchent confiants, cherchent à téter les doigts de celui qui leur tranchera la gorge. Ce comportement « enfantin » pose problème dans les chaînes d’abattage, certains refusant même de tuer les chevreaux qui, au moment de la saignée, pleurent comme des bébés… Mais au bout de la chaine, celui qui guide le couteau et qui condamne irrémédiablement les animaux reste, bien entendu, le consommateur.

Indifférence coupable

Alors, des millions de veaux, de cochons, de moutons sont condamnés à mort, nés pour être découpés, transformés en gigots, en tranches de jambon ou en steaks, ces bêtes n’ont droit à aucune pitié alors qu’elles ont une sensibilité réelle, des sens beaucoup plus développés que les nôtres (odorat, ouïe…). Pour qui s’est rendu dans un abattoir, il est insupportable de voir ces animaux en alerte, paniqués dans cet univers de sang et de souffrance. Comment soutenir le regard implorant d’un agneau quelques secondes avant son abattage ? Ce regard est insoutenable, non seulement parce qu’il traduit la souffrance mais aussi parce qu’il nous renvoie à notre propre impuissance, voire notre indifférence coupable face à ce génocide animalier.

Voilà ce qu’est l’exploitation animale dans les élevages, une vie de souffrance, de violence, au vu et au su de tous… sans personne pour s’interposer, pour sortir les animaux de cet enfer dans lequel nous les avons plongés, personne pour les empêcher de monter dans les bétaillères qui les conduiront à l’abattoir, personne pour arrêter ces convois de la mort ni les chaînes d’abattage… personne, jamais, pour arrêter cette machine infernale qui a fait de l’homme un monstre d’inhumanité.

Animal de laboratoire

Pour s’enlever toute culpabilité lors des souffrances extrêmes qu’il inflige aux animaux, l’homme a trouvé une parade : il rabaisse l’animal au rang d’objet. Ainsi, le meilleur ami de l’homme n’est plus un animal de compagnie lorsqu’il a le malheur de passer les portes d’un laboratoire. Le chien devient alors outil de recherche pour des expériences aussi cruelles qu’inutiles, il s’agit pourtant du même animal, de ce fidèle compagnon qui place en l’homme toute sa confiance… Que dire du sacrifice de primates non humains, nos proches cousins, avec lesquels nous partageons jusqu’à 99% du patrimoine génétique… 1% suffit à justifier, chez l’animal, un « sacrifice » qui serait considéré comme un crime chez l’homme.

Le livre de Charles Patterson ne peut laisser indifférent car il nous interpelle tous, y compris nous qui œuvrons au sein d’associations de défense des animaux pour limiter la souffrance alors qu’il faudrait la combattre entièrement, totalement et sans compromis.

D’ailleurs, il est révélateur d’apprendre qu’aux Etats-Unis de nombreux défenseurs des animaux sont des rescapés des camps nazis. Certains ont été expérimentés dans les camps de la mort, d’autres ont été parqués dans des conditions tellement similaires à celles du bétail qu’ils ne peuvent aujourd’hui s’empêcher de faire un parallèle entre la souffrance passée et celle, bien présente, de millions d’animaux qui connaitront le pire avant d’être égorgés ou gazés.

Plus que la violence, les victimes des camps ont souffert de l’indifférence, du sentiment d’abandon ; c’est aussi ce qui leur a donné la force d’ouvrir les yeux et refuser d’ignorer les massacres perpétrés chaque jour, en toute impunité.

Mais l’exploitation animale a de « beaux » jours devant elle, la fourrure revient en force dans les collections, la consommation de viandes et autres produits animaux ne fait qu’augmenter, le nombre de cobayes dans les laboratoires est en progression… Voilà pourquoi nous nous battons à limiter la souffrance car il est évident que la majorité n’est tout simplement pas prête à la bannir.

Qui sont les terroristes ?

Face à ce terrible constat, les paroles du prix Nobel de la Paix Eli Wiesel résonnent en nous : « Prenez parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le bourreau, jamais le torturé. »

Ces paroles ont d’autant plus de sens aujourd’hui que les mouvements de libération des animaux (laboratoires, élevages de fourrure…) sont stigmatisés, présentés comme de dangereux mouvements terroristes alors qu’ils n’ont qu’un objectif, dénoncer la violence quotidienne, insupportable, infligée aux animaux.

Pour la Fondation Brigitte Bardot, il est important de condamner toute forme de violence, quelle qu’elle soit, mais aussi de se placer en résistance face à l’exploitation animale. Nous ne devons plus accepter l’inacceptable, l’homme n’est qu’une espèce animale parmi des milliers d’autres, un maillon de la chaîne. Continuer à l’ignorer le conduira inexorablement à sa perte… Qui a dit que ce ne serait peut-être pas une si mauvaise perte pour les autres espèces ?

« Un éternel Treblinka – des abattoirs aux camps de la mort », de Charles Patterson, éditions Calmann-Lévy (20,50 €)

Autres livres indispensables :

« Liberté et inquiétude de la vie animale » de Florence Burgat, éditions Kimé (28,00 €)

« Le silence des bêtes » d’Elisabeth de Fontenay, éditions Fayard (32,00 €)

« Ethique animale » de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, éditions PUF (26,00 €)