Qui tient l’Afghanistan tient le Trafic de la Drogue

Qui tient l'Afghanistan tient le Trafic de la Drogue

L’émotion suscitée par la mort de 10 soldats français tombés dans une embuscade en Afghanistan a conduit le gouvernement à proposer un débat, suivi d’un vote, aux députés. Les Français seront alors fixés sur les buts de guerre poursuivis par les grandes démocraties occidentales en Afghanistan, pourvu que les bonnes questions soient enfin posées.

7 ans de réflexion auront suffi à l’exécutif pour exposer clairement aux citoyens l’engagement français en Afghanistan, en vertu de l’article 35 de la Constitution… Celui-ci stipule en effet que le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention, ou, si l’intervention excède quatre mois, il soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. Il était temps d’y songer ! Les Affaires étrangères et l’emploi des forces armées demeurent la prérogative du président de la République, chef des armées, en vertu du domaine réservé défini de façon fluctuante au gré des gouvernements par la doctrine et surtout la pratique institutionnelle.


C’est pourquoi la participation de la France à l’opération Enduring Freedom, déclenchée par George W. Bush pour se débarrasser d’Oussama Ben Landen et de son réseau d’Al-Qaïda après ses attaques aériennes du 11 septembre 2001, n’a jamais souffert d’aucun débat, ni d’autre explication qu’une part de la liberté du monde, ce qui en bon français moderne est le combat contre le terrorisme… Mais la France, en 2001, est engluée dans la cohabitation, et prépare des élections présidentielles que Lionel Jospin s’apprête à gagner, pour les perdre ! Pas question de mettre des questions qui fâchent sur le tapis, d’autant plus que George W. Bush n’a jamais vraiment fait recette au pays du marquis de La Fayette. Le régime de fer imposé par les Talibans en Afghanistan n’a pas non plus l’heur de plaire aux démocrates, et les gouvernements successifs se contentent d’appuyer mollement les États-Unis en envoyant un contingent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le conflit s’éternise, en s’appuyant dans l’opinion sur un consensus mou.

Une Part de la Liberté du Monde


On peut raisonnablement s’interroger sur ce qui intéresse réellement nos dirigeants en Afghanistan. À part eux, personne n’a idée où ça perche, à part peut-être un ou deux lascars de la Rue Saint-Guillaume… Il est vrai qu’ils sont plus près de toi, mon Dieu ! Coincé entre les contreforts de l’Himalaya et le Caucase, c’est un pays montagneux avec des plaines au Nord et au Sud-Ouest, nous décrit Wikipédia. Le point le plus haut du pays, à 7.485 m au-dessus de la mer, est Nowshak. De grandes parties du pays sont arides, et l’eau fraîche est limitée. L’Afghanistan a un climat continental, avec des étés chauds et des hivers froids. Le pays est fréquemment sujet aux tremblements de terre. Vous en prendrez bien une part ?


L’histoire de l’Afghanistan est jalonnée de nombreuses invasions : perse, grecque, arabe, turque, mongole, indienne, britannique et soviétique ! Partout, des ruines témoignent des dynasties successives qui s’y sont succédées. Aujourd’hui encore, les Afghans comptent en leur sein tous les peuples que les envahisseurs y ont envoyés. Avant l’expansion britannique en Inde, le pays s’étendait jusqu’à la mer, et comprenait les territoires couverts par l’actuel Pakistan.


Le rôle de l’Islam est fondamental dans l’histoire du pays. Les premières armées arabes ont pu profiter de la faiblesse de l’empire perse sassanide en désuétude, et s’emparer ainsi de la presque totalité des possessions de celui-ci. Pourtant, l’islamisation de l’Afghanistan a pris plus de 200 ans. La résistance légendaire des shahs de Kaboul, bouddhistes, l’a considérablement retardé. La région du Nourestân a été la dernière région du pays à se convertir à l’Islam. En effet, ses habitants ne sont musulmans que depuis le XIXème siècle, soit plus de 1.200 ans après les toutes premières conquêtes arabes !


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Au nord serpentait l’ancienne route de la soie, par laquelle transitaient la soie fabriquée en Chine bien sûr, mais aussi des épices, des objets d’arts ou manufacturés, ainsi qu’un produit agricole à la valeur très ajoutée : l’opium extrait de la culture du pavot. Si la majorité des spécialistes s’accorde à penser, sans preuve archéologique formelle toutefois, que le pavot à opium est originaire de la région comprise entre la Méditerranée orientale et l’Asie mineure, voire centrale, nous explique Pierre-Arnaud Chouvy, docteur en Géographie et spécialiste en la matière, ce sont en effet les Arabes qui ont probablement le plus contribué à la diffusion dans le reste du monde du pavot à opium et du savoir qui lui était lié.


Avec le déclin de l’influence arabe et le développement sans précédent du commerce maritime européen, le commerce de l’opium fut repris par les Vénitiens, la cité lagunaire étant devenue le centre majeur du commerce européen. L’opium était particulièrement prisé en Europe à cette époque puisque tous les grands navigateurs étaient entre autres chargés de rapporter la fameuse panacée de leurs voyages. L’un des principaux intérêts du pays, en plus qu’il est situé sur une des routes commerciales de la plus grande importance, est qu’il est l’un des principaux producteurs de pavot à opium, duquel on a extrait l’héroïne… Marco Polo en fut témoin dans son fameux Livre des Merveilles.


Depuis le retrait des troupes soviétiques, la production d’opium est une source importante de revenus, de l’ordre de 60%, selon le journaliste et sociologue Alain Labrousse. Même durant la période des Talibans, sa production a continué, avec plus ou moins de laisser-aller de la part du régime taliban. Le mollah Omar a ainsi déclaré à des journalistes allemands : à long terme, notre objectif est de nettoyer complètement l’Afghanistan de la drogue ; mais on ne peut pas demander à ceux dont l’existence dépend entièrement de la récolte de passer du jour au lendemain à d’autres cultures.

Le véritable enjeu de l’Afghanistan


Toute l’ambiguïté de la culture des fleurs de pavot en Afghanistan réside aujourd’hui dans le fait que celle-ci fait vivre la majorité de la population tout en menaçant l’avenir de la société tout entière. L’éradiquer complètement, c’est couper des milliers de familles de sources de revenu. Ne pas s’y attaquer, c’est mettre en péril le pays, encore plus qu’il ne l’est déjà. Supprimer la culture du pavot passe évidemment par la répression. Or, les petits producteurs sont toujours les premiers voire presque les seuls à pâtir de celle-ci. Par ailleurs, et à l’instar des autres pays où l’Administration américaine intervient dans la lutte contre les drogues, l’aspersion de défoliants est conçu comme une panacée. À l’heure actuelle, près de 50 des membres du Parlement seraient des seigneurs de la guerre impliqués dans le narcotrafic, soit près du quart. Cela participe du discrédit du Parlement aux yeux de la population, prétend Alain Labrousse, très souvent en déplacement dans la région.


Depuis la fin de la guerre d’Afghanistan en 2001 et la mise en place du nouveau régime présidé par Hamid Karzaï, la culture du pavot, déjà diffuse à l’époque des Talibans, atteint des niveaux records : 6100 tonnes en 2006, 8.200 tonnes en 2007, ce qui représente une augmentation de 34% et dépasse largement la demande mondiale et concurrence les autres stupéfiants. D’après des enquêtes de l’ONU, les terres utilisées pour la culture du pavot sont passées de 165.000 ha en 2006 à 193.000 ha en 2007. La culture du pavot se développe essentiellement là où la présence des Talibans est très importante, dans le Sud, soit à 80 % dans quelques provinces le long de la frontière avec le Pakistan. Mais la surface cultivée en pavot est passée de 7.606 ha en 2001 à 193.000 ha en 2007, ce qui représente 26 fois la surface cultivée la dernière année où les Talibans tenaient le pays ! Il est vrai que ces derniers avaient un moment affiché leur volonté de l’interdire !


La proximité d’un des plus illustres opiomanes anglais avec le Dr Watson n’est pas le fruit du hasard, et si ce dernier fut affecté au service de santé de l’Armée des Indes pendant la 1ère guerre d’Afghanistan, il est permis d’imaginer qu’il fut également le pourvoyeur du génial Sherlock Holmes en réflexions psychédéliques ! En réalité, la Compagnie des Indes envahit le pays en 1839 pour protéger la Route des Indes. Les Britanniques en chassent le souverain sous prétexte de contenir ainsi l’expansionnisme russe, mais cette intervention peut également se concevoir dans un contexte plus large, puisqu’à la même époque, la Compagnie des Indes fait pression sur le gouvernement de sa Majesté pour qu’il intervienne auprès de Pékin et l’autorise à introduire l’opium en Chine. Entre 1839 et 1842, les Anglais conduisent 2 guerres simultanément, en Afghanistan avec beaucoup de difficultés, en Chine avec plus de succès.


De nos jours, l’interconnexion des trafiquants de drogue avec des agents de la CIA ne fait plus mystère, et les turpitudes de l’agence américaine dans le triangle d’or, dans les pays andins ou dans le croissant d’or a fait l’objet de nombreux articles de presse et de livres à succès. Il est maintenant avéré qu’une partie de la lutte menée par les moudjahidin contre l’occupant soviétique a été financée par le trafic de drogue, avec le soutien embarrassé des autorités pakistanaises, un facteur non négligeable de déstabilisation de ce pays. La centrale talibane s’est reconstituée, après sa décapitation en décembre 2001, confie un observateur dans le pays. Elle s’est réorganisée pendant trois ou quatre ans au Pakistan. Le mouvement s’est durci, dans la clandestinité, et professionnalisé. On l’a vraiment constaté au printemps 2006, où il y a eu une explosion des violences. Jusqu’au XIXème siècle, les trafiquants agissaient pratiquement à visage découvert, et menaient sans vergogne leurs affaires au Palais des Doges, à la Chambre des Lords et dans les chancelleries. Aujourd’hui, la drogue est reconnue comme un fléau, et ils se font beaucoup plus discrets. Leur influence n’en est pas moins forte, dans la mesure où le trafic de drogue concourt à 2% du PIB mondial.

 

 


Faut-il qu’on soit confiant dans ces discours sérieux,
Qu’ils ont l’air fats, que leur langage est volontaire !
Mais s’il ont pour objet tel plan qu’il faut nous taire,
Nous saurons bien cerner les projets moins glorieux.


S’ils ont mené dans le temps des combats mystérieux,
Pour nous ouvrir les yeux, nous avions eu Voltaire,
S’il nous faut pour connaître un sursaut salutaire
Au fond, nous saurions être un beau jour plus curieux.


Sachez, chefs dans le monde, où vous placez nos hommes,
Car toujours dans le sang trop fortes sont les sommes
Qu’on verse à profusion sans haine au champ d’honneur !


Les rangs, de cécité, messe où longtemps l’or dure,
Regardez comme ils vont toujours trouver preneur :
L’errant de ces cités, mais où l’on tend l’ordure !