"Les Américains ont intérêt à ménager les Russes en Ossétie"

"Les Américains ont intérêt à ménager les Russes en Ossétie"

La Russie a du mal à retirer ses troupes du territoire géorgien et tout le monde se demande si ses objectifs militaires ne sont pas d’occuper le terrain laissé libre après l’effondrement du bloc soviétique. Le MAGue a demandé à un expert de décrypter les tenants et les aboutissants de la crise en Ossétie du Sud. Chercheuse à la Fondation pour la Recherche stratégique depuis 1991, Isabelle Facon est spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. Elle s’intéresse notamment à la réforme militaire et à l’évolution des relations civilo-militaires. Diplômée en Langues étrangères appliquées et en Études slaves, elle a passé un an à l’Université d’Oxford et elle a consacré de nombreux travaux à la politique étrangère de la Russie, en particulier ses relations avec l’Union européenne et sa politique vis-à-vis de l’espace post-soviétique.

Le MAGue : Existaient-ils des signes avant-coureurs au conflit en Ossétie du Sud ?

Isabelle Facon : Oui, c’est le moins que l’on puisse dire ! Depuis l’indépendance du Kosovo et le sommet de l’OTAN, en avril dernier, indiquant, dans une déclaration commune, que la Géorgie et l’Ukraine deviendraient membres de l’OTAN, les Russes avaient intensifié leur présence politique et militaire en Ossétie et en Abkhazie, ce qui n’a évidemment pas échappé aux autorités géorgiennes… Les conflits gelés permettaient jusqu’alors de ralentir ce mouvement d’adhésion — en tout cas, c’est ce que les Russes escomptaient. Quant à Mikhail Saakashvili, il a pu se sentir encouragé par la déclaration de l’OTAN, et tenté de faire évoluer la situation sur ces conflits qui le freinaient, alors qu’il avait fait une priorité dans ses engagements électoraux. Toujours est-il qu’il y a eu juste avant la crise une série d’incidents et d’accrochages en Ossétie du Sud, les Russes et les Géorgiens s’en imputant mutuellement la responsabilité. Mikhaïl Saakashvili a fait un faux-pas en précipitant les choses, peut-être a-t-il voulu briser le statu quo, le cadre de règlement des conflits gelés réservant une part trop belle à la partie russe. Pourquoi maintenant ? Je n’en sais rien. Sans doute a-t-il fait un mauvais calcul sur beaucoup de paramètres — dont le degré de soutien américain qu’il pouvait escompter, et la détermination de la Russie.

Le MAGue : Le président géorgien a-t-il pris les États-Unis de court, ou a-t-il agi de façon concertée avec eux ?

Isabelle Facon : Il existe plusieurs thèses à ce propos, mais j’ai l’impression que les Américains ont été pris de court. Le retard à l’allumage en matière diplomatique semble en témoigner : les États-Unis ont été très lents à réagir, et sont demeurés initialement circonspects. Condolezza Rice en visite à Tbilissi récemment, semblait plutôt y avoir passé le message au président géorgien de garder la tête froide et de ne pas répondre aux éventuelles provocations en Ossétie, où, encore une fois, la situation se tendait. À mon avis, il n’y a pas eu de feu vert américain. Il est possible en revanche que Mikhaïl Saakashvili ait lu dans le soutien américain de ces dernières années davantage que ce qu’il pouvait en attendre !

Le MAGue : Quels sont les enjeux de la crise et sont-ils uniquement régionaux ?

Isabelle Facon : N’oublions pas que le retour des territoires perdus à la souveraineté géorgienne était l’une des promesses électorales de Mikhaïl Saakachvili. Il était peut-être désireux de faire bouger les lignes avant les élections américaines, c’est-à-dire de mettre à profit le soutien de George Bush depuis la révolution des roses en 2003 — jusqu’à récemment avec le forcing américain à la veille du sommet de l’OTAN à Bucarest pour accélérer l’adhésion de la Géorgie à l’Alliance atlantique. L’imminence du départ de George Bush crée une incertitude, or Mikhaïl Saakashvili voulait absolument sortir de l’impasse des conflits gelés, et mobiliser pour ce faire le soutien international. Les 2 candidats à la présidence américaine ont dénoncé le caractère disproportionné de l’intervention militaire russe et souligné leur soutien à l’intégrité territoriale de la Géorgie. John McCain est plus virulent sur ce dossier, comme il l’est déjà sur le thème des relations avec la Russie en général, Barack Obama se montre plus enclin à considérer qu’il est important de coopérer avec la Russie. Il est plus prudent aussi dans ses propos sur la crise en Géorgie, tout en profitant de la présence d’un lobbyiste connu pour défendre des intérêts géorgiens dans le staff de campagne de John McCain pour stigmatiser son adversaire. On a pu observer la gesticulation de la flotte russe sur zone, et on a vu l’Ukraine imposer des restrictions au mouvement des navires russes de la flotte de la mer Noire. Il convient de fait d’évoquer aussi le problème récurrent de l’accès russe aux mers chaudes, la Russie entendant rester un acteur majeur en mer Noire. La question s’est faite encore plus délicate ces derniers mois suite à l’élargissement de l’Union européenne à la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’OTAN, et la perspective annoncée de l’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine et la Géorgie. Ici comme dans l’ensemble de l’ex-URSS, la Russie veut réaffirmer qu’elle y a des intérêts et qu’elle veut rester un acteur majeur, et ne pas être évincée d’un espace qui deviendrait trop marqué par l’influence occidentale. Enfin, les Russes, de toute évidence, utilisent la crise pour manifester leur mécontentement sur un certain nombre de dossiers, qu’il s’agisse de l’indépendance du Kosovo, ou de l’installation d’un système anti-missile américain en Pologne et République tchèque…

Le MAGue : Quel intérêt l’Europe a-t-elle à se mêler des problèmes du Caucase ?

Isabelle Facon : Avec son élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie, l’Europe est désormais au contact des problèmes de la région. Le Caucase et la mer Noire sont dans son voisinage. Les conflits gelés sont des zones de non droit, une source d’instabilité (on le voit) et un terreau fertile pour la criminalité. Ce sont des plaques tournantes pour tout type de trafic. Drogue, armes et trafic d’êtres humains sont des fléaux dont il convient de se protéger. L’Union européenne est cependant prudente dans son engagement. L’énergie est un autre facteur de cet engagement, l’Europe recherchant dans le Caucase et en Asie centrale des pistes pour une diversification de ses approvisionnements, dans lesquels domine la Russie. Pour autant, le pétrole n’apparaît pas comme une cause directe de la crise actuelle, même si la Russie supporte mal les efforts des Occidentaux pour faire transiter les hydrocarbures du Caucase et de l’Asie centrale en contournant son territoire. Elle peut ainsi chercher à discréditer la Géorgie comme site stable pour le transit de l’énergie vers l’Europe.

Le MAGue : Quel jeu les États-Unis jouent-ils dans cette affaire ?

Isabelle Facon : Les États-Unis affichent leur soutien politique à la Géorgie, mais ils ont fait savoir qu’ils n’interviendraient pas militairement. Ils n’ont pas l’intention de déployer une base militaire en Géorgie. Ils sont depuis les années 1990 intéressés par l’espace ouvert par l’effondrement du bloc soviétique et sont soucieux de limiter l’emprise de la Russie dans son ancien empire. En outre, les États-Unis recherchent des amis et des alliés sur tous les points du globe, pour rendre leur action stratégique et militaire plus souple. Rappelons les aspect énergétiques de la mer Caspienne — les États-Unis ont été en pointe pour le déploiement de tubes contournant le territoire russe depuis la mer Caspienne… Ici, les États-Unis sont directement concernés par les messages que la Russie veut passer à l’Occident, dans les dossiers sur lesquels elle estime n’avoir pas été écoutée : l’indépendance du Kosovo, l’élargissement de l’OTAN, l’affaire du bouclier anti-missile et la guerre en Irak, etc. C’est un élément important dans la montée des tensions. Le Kremlin veut ainsi montrer où sont les limites à ne pas franchir. Les États-Unis se trouvent donc dans une posture difficile, dans la mesure où il existe tout de même un certain nombre de choses où la coopération avec la Russie est sinon bonne, du moins importante : la question iranienne et les autres dossiers de prolifération, la lutte contre le terrorisme… Ils ont donc intérêt à ménager les Russes à propos de la crise en Ossétie du Sud.

Le MAGue : Cette affaire est-elle de nature à barrer la route aux ambitions russes ?

Isabelle Facon : Dans l’espace post-soviétique, c’est plutôt la réaffirmation brutale de ces ambitions. Elle ne veut pas reconstituer un empire, certes, mais montrer qu’elle a des intérêts spécifiques propres dans son voisinage et qu’elle tolère mal l’action des autres puissances si elle n’est pas plus ou moins concertée. La crise actuelle peut être un frein aux ambitions internationales de la Russie si elle détériore trop les relations avec l’Occident. La Russie le pressent-elle lorsqu’elle accepte que l’Union européenne joue le rôle de médiation qu’elle s’est proposé de jouer ? Il est positif que l’Europe se soit montrée présente sur la question comme acteur responsable, désireux de jouer un rôle constructif et immédiat (ce n’est pas toujours le cas) dans son nouveau voisinage. Le revers de la médaille est toutefois que c’est dans une situation très complexe que le président en exercice de l’Union, Nicolas Sarkozy, est intervenu. Le Kremlin ne lui a pas laissé de marge de manœuvre.

 

 


Et pourquoi, de la guerre, on ne voit pas l’issue ?
Tout le monde est d’accord pour s’en passer ce soir
Puisque autour de la table, ils ont bien pu s’asseoir :
La mort a pris du champ quand le char d’assaut sue…


Ce conflit fait son lit et se mue en sangsue
Alors qu’on aurait dû passer outre ou surseoir
Quand l’index était prêt sur le bouton-poussoir,
Le meurtre est à son œuvre et la paix mal reçue !


Des soldats vont marcher derrière un corbillard
Et les enfants, devant, sont tous dans le brouillard
Qui couvre un soleil noir sur la vigne et les villes.


Ils ont sculpté leur viande avec un vieux guipoir
Pour mettre au bout de grands fusils les mots serviles
Dont se sont trop servi tous nos marchands d’espoir.