Négligence et Pingrerie dans l’Industrie nucléaire

Négligence et Pingrerie dans l'Industrie nucléaire

11 jours après un premier incident à Tricastin, une fuite d’uranium vieille de plusieurs années a été signalée jeudi à l’Autorité de Sûreté nucléaire (ASN) par une usine du groupe Areva, à Romans-sur-Isère. L’industriel et le ministre de l’Environnement et du Développement durable Jean-Louis Borloo ont assuré que cet incident n’avait eu aucune conséquence sur la santé humaine et l’environnement. La rupture d’une canalisation dans cette usine exploitée par une filiale a causé jeudi un épanchement d’uranium d’une quantité comprise entre 120 et 750 grammes.

La nouvelle fuite, qui aurait été constatée lors d’une opération d’entretien, durait depuis plusieurs années, reconnaît l’exploitant, la société franco-belge FBFC, qui fabrique du combustible nucléaire à partir d’uranium. La canalisation qui reliait un atelier de fabrication de combustible à une station de traitement n’était pas conforme à la réglementation, qui demande une capacité de résistance aux chocs suffisante pour éviter toute rupture, a constaté l’ASN. L’industriel assure que la fuite est circonscrite au site et propose de classer l’incident au niveau 1 de l’échelle internationale des incidents. Le dispositif de surveillance montre que cet incident n’a eu aucun impact sur l’environnement. La tuyauterie défaillante a été fermée par les équipes, explique Areva dans un communiqué.


Selon Roland Desbordes, président de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité (Criirad), Romans n’a rien à voir avec l’ampleur de Tricastin : ce que nous a dit l’exploitant, que nous avons eu au bout du fil, tient la route, estime-t-il. Un tuyau en plastique conduit de l’uranium fortement enrichi d’un bâtiment à un autre, le tuyau est entouré de parpaings et recouvert d’une dalle de béton… Lorsque la dalle de béton a été soulevée, l’exploitant s’est rendu compte d’une fuite, de quelques centaines de grammes et non d’une dizaine de kilos comme c’était le cas pour Tricastin ; de plus, la nappe phréatique, qui est loin, n’a pas été touchée.


Le porte-parole d’Anne Lauvergeon, PD-G d’Areva explique : nous avons découvert que la canalisation était percée au moment où l’on était entrain de la changer pour en mettre une plus performante, ce qui peut arriver sur n’importe quel site. Savoir pourquoi cette canalisation était percée, par contre, est une vraie question, reconnaît-il. Effectivement, comment de l’uranium peut-il être transporté dans une simple canalisation en PVC, fragile, et sans bac de rétention ? renchérit Roland Desbordes. La canalisation à l’origine de la fuite dans la Drôme n’avait pas été inspectée par l’exploitant depuis longtemps, a reconnu lors d’un point presse le directeur général de l’ASN Jean-Christophe Niel, la rupture daterait même de plusieurs années.


Il s’agit de deux incidents de niveau 1, l’année dernière nous en avons eu 7. Pour Tricastin comme pour Romans, il n’a pas de conséquence pour les riverains et l’environnement, fait observer le porte-parole. Ce sont des installations industrielles, et il y a donc forcément des incidents, a répondu devant la presse le directeur général de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN), Jacques Repussard. C’est pourquoi le ministre Jean-Louis Borloo a souligné que le nombre d’incidents de niveau 1, le plus faible sur une échelle internationale qui en compte 7, était de 114 en 2006 et de 86 en 2007, soit une baisse de quelque 30% !

Les incidents nucléaires souvent le résultat de négligences


Ces fuites interrogent la Criirad : j’ai noté la volonté de faire traîner les choses pour qu’il n’y ait pas de débat, raconte Roland Desbordes. Au sujet de celle de Tricastin, l’incident est le fruit d’un manque de coordination entre deux équipes chargées de travaux et de l’exploitation de l’usine, temporise le porte-parole d’Areva, une cuve étanche était accidentellement fissurée : les personnes chargées de faire des travaux avaient programmé la réparation de la cuve de rétention pour le 8 juillet, d’ailleurs, mais n’avaient pas prévenu les exploitants de l’usine de la fissure ; les personnes chargées de l’exploitation ont procédé au changement de cuve, transvasant le liquide d’une cuve à l’autre, le liquide a débordé dans la cuve de rétention… et la cuve étanche censée empêcher toute fuite a fui.


Un mois plus tôt, les autorités slovènes, mises en causes pour des cafouillages dans leur système d’alerte, ont insisté sur le caractère mineur de l’incident signalé le 4 juin dernier dans leur unique centrale nucléaire à Krsko, à l’origine d’une alerte européenne. Le ministre de l’Environnement a reconnu que l’agence de sûreté nucléaire de Slovénie avait dans un premier temps signalé par erreur l’incident comme un test et non comme une panne réelle. L’agence de sûreté nucléaire a déjà présenté ses excuses. Elle a utilisé le mauvais formulaire, un formulaire pour les tests. C’était une erreur, une authentique erreur humaine, a-t-il déclaré. Il a ajouté que l’erreur a été détectée en quelques minutes, et le bon formulaire a été envoyé immédiatement


Anne Lauvergeon a visité vendredi le site de Tricastin. Elle a vu les salariés, les élus, et les riverains. Les salariés étaient inquiets sur le fait que le site s’arrête, ce qui est hors de question : il est en cours de modernisation, nous y investissons. Et pour cause ! Le site de Tricastin, dont Socatri fait partie, est un très gros maillon de la chaîne et constitue un important pôle d’exportation pour Areva. La Criirad a essayé de se refaire une santé militante sur l’affaire Socatri, réagit le porte-parole d’Areva, nous avons pour notre part proposé aux autorités de tutelle de lancer une commission plurielle pour mettre tout cela sur la table, avec des membres de la société civile, du gouvernement, et des industriels, et travailler sur les pistes d’optimisation de la sécurité du site.


Ces 2 incidents de niveau 1 ont suscité de vives critiques des associations écologiques et beaucoup d’inquiétudes chez les riverains. Pour les opposants au nucléaire, ces incidents illustrent les dangers de cette source d’énergie. L’ancienne ministre de l’Écologie Corinne Lepage a ainsi jugé qu’ils mettaient en lumière les défaillances de la filière nucléaire, dues notamment à un sous-investissement dans la sécurité, la protection de la santé humaine et de l’environnement. Greenpeace estime que derrière ces incidents à répétition se dessine la faillite de toute une filière dangereuse, coûteuse et inutile. L’organisation Sortir du Nucléaire réclame la démission d’Anne Lauvergeon, présidente du Directoire d’Areva et la CGT demande à Matignon l’organisation d’une table ronde sur la sûreté nucléaire… On ne doit pas perdre de vue la particularité émotionnelle du nucléaire, a reconnu le porte-parole d’Areva.


En juin 2006, le Parlement a approuvé 2 projets de loi sur le nucléaire, l’un sur la gestion des déchets, l’autre sur la sécurité et la transparence. 2 ans après le vote de ces lois supposées apporter plus de transparence et de sécurité, 2 fuites radioactives dans le sud de la France en 10 jours ont conduit le ministre Jean-Louis Borloo à demander une mise à plat dans le secteur : je veux tout remettre à plat, notamment dans les dispositifs d’information, d’analyse et de sécurité, a-t-il assuré vendredi à la presse.

Le recours massif à la sous-traitance est remis en question


Apparemment, tant qu’on est au cœur du sujet, on a l’impression qu’il y a une très, très grande rigueur, mais quand on est sur le traitement des effluents, de l’eau, etc., on a le sentiment qu’il y en a moins, a estimé le ministre de l’Écologie en citant le cas de la sous-traitance. Le respect des règles et procédures tend à devenir l’objectif principal, et ce indépendamment des contradictions qui apparaissent dans la réalité du travail. On aboutit ainsi à des situations ubuesques, pitoyables ou tragiques suivant les cas et le regard que l’on porte. Une constante étant la suspicion générale envers les travailleurs extérieurs, sur qui on fera retomber la faute en cas d’incident.


Ces tâches de maintenance des installations nucléaires sont très coûteuses en doses d’irradiation, et elles le sont d’autant plus que les installations vieillissent. Elles ont été progressivement confiées à des prestataires extérieurs à EDF, pratiquant souvent une sous-traitance en cascade qui conduit les travailleurs à exercer dans des conditions extrêmement précaires sur le plan sanitaire, psychologique et social. Le risque de contamination externe et interne, les exigences de mobilité d’un chantier à l’autre sur l’ensemble du territoire français, la flexibilité extrême du travail, le peu de fiabilité de la dosimétrie, l’impossibilité d’un suivi médical sérieux et de reconnaître les qualifications professionnelles sont autant de caractéristiques de cette catégorie d’intervenants qui assurent dans la plus grande invisibilité sociale une responsabilité de prévention du risque majeur.


Un autre problème est le manque de concertation directe entre les agents EDF et les prestataires. Tout passe par des documents écrits préformatés, rendant ainsi invisible toute trace du travail réel. La grande mobilité des prestataires, associée à leur dispersion soigneusement organisée, rend impossible la connaissance de l’état réel d’une installation et ne permet pas de conserver la mémoire vivante de cette installation. L’évaluation d’une situation est donc la plupart du temps purement formelle et fondée sur des traces écrites. Jean-Louis Borloo a appelé jeudi le Haut Comité sur la transparence à remettre à plat l’ensemble du système de procédures, évaluer l’ensemble des nappes phréatiques sous les installations nucléaires, faire le point sur les déchets nucléaires anciens.


Le débat sur l’énergie dépasse ce type d’incident, mineurs, et on peut considérer qu’ils n’auront pas d’impact sur Areva ou le nucléaire en général, mais cela nous rappelle à notre devoir de vigilance, a estimé le porte-parole d’Areva. À Romans-sur-Isère, les responsables ont immédiatement prévenu l’ASN. Notre réactivité sur cette affaire a été accrue par l’émotion qu’il y a eu ces jours-ci, a noté le directeur général de l’ASN. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, le nucléaire revient sur la plupart des agendas. Il y a une convergence de vue des experts sur l’utilité et la nécessité du nucléaire en Europe, a expliqué Maïté Jaureguy-Naudin, coordinatrice du programme énergie à l’Institut français des Relations internationales.


Dans un contexte de hausse des prix du pétrole et de lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement veut mettre en avant cette filière dans laquelle la France est en pointe, et plusieurs experts, interrogés par l’Agence France-Presse, estiment que les derniers incidents ne devraient pas remettre en cause cette volonté. Face au renouveau du nucléaire, cela apparaît relativement mineur et cela passe au second plan, estime Maïté Jaureguy-Naudin.


Le nucléaire semble en effet en plein renouveau et Nicolas Sarkozy a annoncé au début du mois la construction en France d’une 2ème centrale nucléaire EPR, issue d’une technologie développée par Areva et l’allemand Siemens, pour faire face à la crise énergétique. L’hypothèse d’une ouverture du capital d’Areva, dont l’État détient plus de 90%, ne devrait pas non plus être remise en cause. Si un gouvernement de droite arrive au pouvoir en Allemagne, le nucléaire pourrait aussi y revenir au premier plan, d’autant que les industriels sont très actifs et poussent en ce sens, a jugé Maïté Jaureguy-Naudin, rappelant qu’un accord actuellement en vigueur en Allemagne prévoit l’arrêt de toutes les centrales nucléaires d’ici 2020. Pour le porte-parole d’Areva, l’impératif de sûreté est réel pour les industries nucléaires, qu’elles soient publiques ou privées. La filière nucléaire française, que le gouvernement souhaite relancer, ne devrait pas, selon des experts, souffrir des 2 incidents qui viennent de toucher des sites d’Areva, malgré les vives réactions des opposants à cette énergie.

 

 


Quand chacun court après l’énergie à bas prix,
Le monde, avec aplomb court à la catastrophe :
Tout directeur d’usine a cru dans l’anastrophe
Et connaît bien l’adage aussi pas vu, pas pris !


De leur confort, les cœurs de nos chefs sont épris
Pour ne pas s’occuper d’un accroc limitrophe,
Il faut qu’on les limoge et qu’on les apostrophe
Pour montrer autre chose aux gens que du mépris.


Tout va très bien ainsi dans le meilleur des mondes
Et nous sentons dans tous ces faux procès immondes
Tant d’efforts pour nous nuire et un bien triste esprit.


Ces tout petits tracas ne sont que des obstacles
Qu’il faut nous laisser faire, aussi, bien lui en prit,
Celui qui vit tout ça de loin, comme au spectacle !