FRANCIS ZAMPONI se fait le bras armé (d’un stylo) de Roger Marion !

FRANCIS ZAMPONI se fait le bras armé (d'un stylo) de Roger Marion !

Si vous ne connaissez pas encore Zamponi, au moins vous souvenez-vous sans doute de « Mon Colonel », scénarisé pour l’écran en 2006 par Costa Gavras, d’après le roman éponyme de mon interviewé du jour. Un auteur et un journaliste prolifique, qui nous revient en librairie avec le récit de vie qu’il a coécrit avec le célèbre flic Roger Marion : ON M’APPELLE EAGLE FOUR, au Seuil ! Moi, ma culture, c’est plutôt « Mort aux vaches ! »…, mais il me parait toujours stratégique de bien connaître l’adversaire.

Alors mon cher Francis, qui est Roger Marion ?

De quel Roger Marion parlons-nous ? Du sportif qui pratique régulièrement le marathon ou escalade le Mont Ventoux à vélo ? Du préfet qui fréquente les plus hautes sphères de l’Etat ? Du flic de PJ qui ne connaît pas d’horaires lorsqu’il est sur une enquête et n’admet pas que ses hommes puissent songer à noter leurs heures supplémentaires ? Du fonctionnaire exemplaire qui, parti du bas de l’échelle policière, en a gravi les échelons pour parvenir, en fin de carrière, au poste de directeur central adjoint de la police judiciaire puis de préfet ?

Choisis…

Je n’ai pas choisi duquel de ces Roger Marion j’allais devenir le porte-parole. C’est l’éditeur qui a décidé pour moi : au mois de juillet 2007, le Seuil m’a demandé de recueillir les souvenirs professionnels de Roger Marion. Le livre devant paraître au mois de novembre, au moment du procès d’Yvan Colonna dont il était un des témoins essentiels. Je ne disposais donc que de trois mois pour lui extorquer les informations nécessaires… Faute de temps, je me suis contenté de lui faire raconter son vécu de patron de la Division nationale antiterroriste, (la DNAT) à travers des enquêtes symboliques comme celles menées sur les indépendantistes basques et bretons, sur les attentats islamistes de 1995 et… sur l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac. Nous n’avons donc pas abordé d’autres épisodes prometteurs des trente ans de carrière de Roger Marion et en particulier les quatre années passées à Marseille, de 1986 à 1990, au cours desquelles il s’est occupé de l’obscur dossier des cliniques privées et des rois du Milieu. Pour tout dire, il n’était pas évident pour moi d’amener un homme dont le métier a toujours été de poser des questions à répondre aux miennes. Roger Marion a, je crois, joué le jeu mais je ne prétendrais pas qu’il m’ait tout dit…

Et c’est vrai qu’il gueule fort ?

S’il est une chose dont je sois certain, c’est bien celle-là ! Roger Marion passe avec une rapidité stupéfiante du ton de la conversation à celui de l’invective. Certes, il ne m’a pas engueulé mais je l’ai vu s’emporter contre lui-même, par exemple lorsqu’il recherchait un document qu’il ne retrouvait pas. J’ai compris la raison pour laquelle ses hommes l’avaient surnommé Eagle four, la transcription phonétique de « Y gueule fort » Lorsque j’ai proposé à l’éditeur d’utiliser ce surnom comme titre du livre, il a hésité, craignant de froisser Roger Marion. Je ne partageais pas cette inquiétude car je m’étais vite rendu compte qu’il assumait parfaitement ses coups de gueule au nom de ses origines méridionales.

Dans le cadre d’un tel travail, est-il possible de faire la part entre le biographe amical et le journaliste intransigeant que tu es également ?

Je rappelle que mon boulot était de recueillir les souvenirs de Roger Marion et non de réaliser une enquête sur lui. Ma mission, que j’ai acceptée en toute connaissance de cause, était de l’aider à réaliser son autobiographie pas de rédiger sa biographie. Un rôle qui, pour le journaliste que je suis, représentait un exercice inédit et, je dois l’avouer, un peu frustrant. J’aurais aimé parfois confronter son récit avec les témoignages de ses patrons, de ses subordonnés et bien entendu de ceux qu’il avait interrogé.

Tu es le spécialiste reconnu de la chose policière et du monde du renseignement : tu aurais désiré y faire carrière ?

Je n’ai aucun regret de ce côté là. Je préfère de beaucoup être voyeur plutôt qu’acteur. Je suis devenu journaliste un peu par hasard et j’ai vite découvert que ce métier m’offrait le plaisir d’observer les autres, de fréquenter des personnages différents du mien et des milieux fermés au public. Tout en essayant de me faire oublier. A Libération où j’ai travaillé une douzaine d’années, je me suis spécialisé dans le domaine judiciaire puis policier. J’en ai appris les codes et le langage mais je n’ai jamais été tenté de passer de l’autre côté. Cela m’aurait amusé, je le confesse, mais seulement si j’avais pu le faire quelques mois, à titre d’expérience.

On apprend forcément des choses qu’on ne peut pas dire… pour garder la confiance qu’on a su gagner, non ?

Je ne parlerai pas de l’armée, je n’en suis pas spécialiste ! Mais à propos de la police ou de la justice que je connais bien, il y a plein de choses que je n’ai pas fait figurer dans mes articles. En particulier des informations que je ne pouvais pas étayer faute de témoignages utilisables ou de documents mais je n’ai jamais caché une info pour ne pas déplaire à mes interlocuteurs. Mon souci a plutôt été de faire en sorte que l’on ne puisse pas identifier mes sources.C’est grâce à cette exigence que j’ai pu obtenir des confidences. Je ne les ai pas toutes publiées mais elles ne sont pas perdues pour autant. Je m’en sers dans mes romans...

Tiens, si je te nommais maintenant ministre de l’intérieur, quelle serait ta première mesure ?

Voilà une question que je ne m’étais jamais posée tant elle me paraît peu probable. A vrai dire, mon expérience d’observateur du ministère de l’Intérieur me fait penser que le vrai pouvoir n’est pas entre les mains du ministre mais des directeurs centraux. Le ministre possède les attributs du pouvoir mais n’a pas accès aux manettes qui permettent de l’exercer. D’ailleurs, je partage cette impression avec cet excellent observateur de la vie politique qu’est Charles Pasqua. Il m’avait un jour avoué qu’il était tombé de haut en devenant ministre et en se rendant compte des obstacles que la haute administration pouvait insidieusement dresser pour empêcher un ministre de réaliser ses objectifs… Pierre Joxe avait rêvé d’un grand projet de réforme de la police, il n’est jamais parvenu à le réaliser tant les policiers y étaient opposés. Ce sont eux les vrais patrons de la place Beauvau, pas le ministre.


J’ai vu que tu sortais aussi un nouveau roman, apparemment fidèle à tes obsessions historiques ! Tu nous en dis deux mots ?

Mes obsessions historiques, pour reprendre ton expression, portent essentiellement sur la guerre d’Algérie. Il faut dire que j’étais fils de policier et que j’ai passé une grande partie de mon enfance dans les commissariats de Sétif et de la banlieue d’Alger.
Si j’y suis retombé l’an dernier pour écrire « le boucher de Guelma », c’est que j’avais retrouvé les notes prises par mon grand-père en 1945 lors des émeutes déclenchées à l’occasion de la célébration de la victoire des alliés sur le nazisme et de leur répression par la France. Cette lecture m’a donné le désir de raconter ce qui a été un des épisodes les plus sombres de la présence française en Algérie.

Tu es un écrivain très sérieux… et le plus drôle des hommes, bon vivant comme pas deux et nous avons suffisamment levé le coude ensemble pour que tu ne puisses pas prétendre le contraire ! Serais-tu un être double… ?

J’aimerais bien être double et même triple ! Je n’apprécie pas les personnages monolithiques et c’est pour cette raison, on me l’a d’ailleurs parfois reproché, que mes héros présentent plusieurs facette apparemment contradictoires. Le personnage central du « Boucher de Guelma », par exemple, est un préfet à la retraite qui a organisé en 1945 les « milices » de colons chargées de « punir les indigènes ». Mais ce n’est pas un fasciste. Bien au contraire, c’est un ancien résistant qui, deux ans plus tôt a organisé le débarquement des Américains à Alger.

Pour finir, quelle question aurais-je dû te poser si j’étais un journaliste vachard ? Et je ne t’interdis pas d’y répondre…

Monsieur Zamponi, comment un journaliste qui affiche une façade de déontologie professionnelle irréprochable et qui donne même des cours à ses jeunes collègues sur ce thème a-t-il pu utiliser sa relation amicale et personnelle avec un sénateur pour se faire décorer de l’ordre du Mérite agricole ?
Je n’oserai pas répondre que je mérite cette distinction pour avoir écrit nombre d’articles sur la viticulture et avoir tenu un restaurant. Je dois donc avouer que je ne déteste pas les honneurs. Autant la perspective de devenir policier ou ministre ne me tente point, autant celle de revêtir un jour l’habit vert d’Académicien peut me faire rêver. Peut-être un Académicien lira-t-il ces lignes et songera-t-il à moi pour rajeunir sa vénérable assemblée…

C’est tout le malheur que je te souhaite !

Article publié en partenariat avec le mensuel Marseille La Cité