L’éloge de la rencontre, selon André Breton

La poésie unit le rêve et l’action puisque la mission du poète est si hautement symbolique. Nonobstant, il lui incombe aussi d’inspirer le monde et de prévenir les maux de demain quand il ne combat pas l’obscurité du jour. Il lui arrive aussi de servir de pont entre deux civilisations, d’aller à la rencontre de l’Autre. C’est ce que fit André Breton, notamment lors de son exil aux Amériques lors de la Seconde Guerre Mondiale.

L’idée de ce livre est née d’un loupé, un de ces rendez-vous que l’Histoire a boudé : Breton devait réaliser pour le compte des éditions Sagittaire un livre portant sur ses souvenirs du Mexique et de la Martinique et sur ses notes prises au contact des Indiens des pueblos. Malgré un contrat signé le 2 juin 1946, le projet resta lettre morte. Malgré tout, le lecteur put retrouver l’ébauche des Indiens Hopi dans l’Ode à Charles Fourier ; mais en partie seulement …
Le présent ouvrage traite donc de ces voyages, de ces lieux qu’André Breton a découverts et aimés au cours de son exil. On y parlera de la Martinique, de la Gaspésie, des réserves indiennes et d’Haïti.
Mais cet essai n’est en rien un compte-rendu, il s’ouvre plutôt sur les faits pour alimenter une réflexion plus spécifiquement centrée sur les questions de la rencontre et sur celle de la relation au lieu ; et de là, en découle tout naturellement l’aspect étrange de Breton, sa manière d’étudier les impossibles mondes autres et cette attirance si forte pour les œuvres et les objets.

D’ailleurs, dans l’atelier d’André Breton – que Julien Gracq qualifie de condensé de l’univers surréaliste tout entier – s’exerce une pratique singulière du regard. Breton, en effet, considère la peinture comme un médium : en cela il renforce et multiplie cet effet magique en se confrontant à cette impression étrange qui émane d’un tableau … Dans cet environnement où le regard est sollicité, la mission du découvreur est ardue mais Breton ne se laisse pas piéger si facilement : "La signification propre d’une œuvre n’est-elle pas, non celle qu’on croit lui donner, mais celle qu’elle est susceptible de prendre par rapport à ce qui l’entoure ?"

La rencontre n’est-elle pas à associer à l’éblouissement, à l’enthousiasme et au vertige ; de même qu’au désastre, à la catastrophe ou au drame ? Car la rencontre renvoie aussi bien à une conjonction heureuse qu’au combat. Lorsqu’elle désigne un adversaire elle mène à l’affrontement : cette rencontre-collision s’empare du temps et devient rencontre-conquête. Et elle provoque un séisme.
Quelle soit douce ou amère, docile ou violente, la rencontre est à l’opposé de ce qui est figé : elle est mouvement, donc elle induit une réaction en chaîne. Imprévisible par définition, elle brise la réalité pour reconstruire un espace nouveau, une relation troublante quoi qu’il arrive …

De même, ici, la question du lieu est abordée par l’œil du surréalisme et cela nous prouve combien elle est importante : être dans le monde, c’est agir sur lui ; mais c’est aussi être agi par lui, en subissant le mouvement général. Oui, tout rapport au monde entraîne une modification. En cela, la rencontre qui découle sur la relation au lieu, dynamise et métamorphose le dit lieu en y imprimant une empreinte …
Car le lieu n’est pas neutre, jamais silence n’aura été si assourdissant. Fermez les yeux et écoutez lorsque vous arrivez dans un endroit pour la première fois. Qu’entendez-vous ? Une action tout en sourdine, une tectonique des plaques à peine audible mais ne vous y fiez pas, le monde est en marche, et tout acte se conforte dans l’interaction générale des comportements et donc des réactions qui en découlent.
Le lieu, en tant qu’espace central regroupant l’ensemble des conditions qui l’entourent, aura une influence sur votre organisme, et donc sur votre pensée. Car le lieu est à la fois site, environnement et contexte ; il est aussi une ambiance, un climat, des odeurs et des sons, bref, il vit.

Tous les lieux ne sont pas égaux, certains deviennent des hauts lieux car ils prennent une dimension poétique lorsque la rencontre s’opère. A vous de vous amuser à appliquer la formule d’Hölderlin : essayer d’habiter poétiquement le monde.
Pour André Breton, ces moments pleins et denses qui l’ébranlèrent fortement se produisirent en Arizona, au Nouveau-Mexique ou en Gaspésie : ils furent déterminants tout autant que ces rencontres sur lesquelles s’ouvre cet étonnant ouvrage, des lieux qui ont intrigué, ému, fasciné et inspiré l’écrivain.
Au cours de ces voyages, Breton rencontra l’inattendu, et n’hésita pas à faire l’éloge de cet Autre si différent mais si semblable. Il fut même impliqué dans le déclenchement d’une révolution …
Au tour du lecteur de s’ouvrir à d’autres univers en parcourant ces pages qui restituent l’apport des Antilles à l’œuvre de Breton, et plus généralement à l’imaginaire surréaliste.

Dominique Berthet, André Breton, l’éloge de la rencontre, HC Editions, juin 2008, 155 p. – 14,95 €