L’amour, le désir et le vin

L'amour, le désir et le vin

Les quatrains millénaires d’Omar Khayyâm n’ont pas pris une ride : ce poète perse glorifie l’amour et le vin dans des chants d’une rare élégance, prémices au parfum délicieusement piquant du désir exalté. Mis en orbite par l’intervention du calligraphe, ce livre se déguste comme une liqueur, dans un silence recueilli, en esthète …

La tradition soufi est ici portée au pinacle de la versification arabe et, quelque soit le moyen utilisé, il célèbre l’idée que l’on peut jouir de la contemplation extatique. Point de ferveur religieuse pour Omar Khayyâm (1048-1131), brillant astronome et algébriste de talent, mais une adduction pour le vin, liquide aux pouvoirs magiques qui délie sa langue et ouvre ses sens.
Ce disciple d’Avicenne, surtout connu pour ses travaux philosophiques, fuyait les mondanités pour s’adonner à la rédaction de ses rubaïyat, ses quatrains vite devenus célèbres. Et les voici traversant les temps pour venir à nous porter la musique de ces exhortations à boire le soleil, le jour, la vie …

Les quatrains de Kyayyâm sont mille et un vers millésimés, du nectar à déguster sans modération. Quel sens de la mesure pour parvenir ainsi, en quatre ligne, à briser les sceptiques et offrir lucidité et pensées sur la vie, la mort et le vin ! Trois règles de vie édictées en maxime : vis, aime et bois.
Oui, le poète l’affirme, le seul rubis qui coule de la vigne peut nous aider à laver le mal d’une existence éphémère :

Fuis prière et science et loi : cela vaut mieux.
Va trouver quelque frais minois : cela vaut mieux. Avant que le destin verse ton sang, viens, verse
Le sang clair de la vigne, et bois : cela vaut mieux.

Tout comme nous le rappelait le très remarqué livre de Salwa al Neimi, La Preuve par le miel, récemment publié chez Robert Laffont, la culture arabo-musulmane n’a jamais réellement mis à l’index le plaisir, qu’il soit sexuel ou gustatif, au contraire … L’Islam fait malgré tout bon ménage avec les plaisirs terrestres, n’en déplaise aux ignorants qui lisent de biais et interprètent le Coran à l’envers.
En voici une nouvelle preuve magistralement mis en abîme par les calligraphies de Lassaâd Métoui, tantôt extrêmement détaillées, précises et finement arborées ; tantôt jaillissantes, explosant d’un trait, coup de fusil sur la toile, monochrome, comme une danse des gris serpentant entre les espaces …

Lucide malgré tout, Omar Khayyâm se complaît à voir basculer le ciel mais ne se berce pas d’illusions ; il sait que la vie possède sa finalité et que des amours passagères sont toujours bonnes à prendre … Son seul bagage, le moment venu, sera l’ultime gorgée de vin, alors, il s’adonne à ce doux plaisir qui parfume le temps qui passe, visite les papilles et amuse le cerveau. Calice jusqu’à la dernière goutte sera bu, comme une bravade inutile à la faucheuse et tant qu’à faire, boire, boire et boire encore jusqu’à l’hallali …

On se laissera porter lentement dans une douce torpeur par la musicalité de ces vers ; aussi par le calame habile qui vrille ses arabesques comme autant de corps féminins traversées par l’assise de cette poésie endiablée. Gravés désormais sur ces pages ivoires, l’amour et le vin dorment côte à côte dans la paisible demeure d’un livre, joignons-nous à eux.

Omar Khayyâm, L’amour, le désir et le vin, calligraphies de Lassaâd Métoui, broché avec rabats, 210 x 300, coll. "Calligraphie", Editions Alternatives, juin 2008, 128 p. – 24,00 €